Opération 'Maurice'

– Tu es celui que j’ai été, Noé. Et je suis celui que tu seras… si je te laisse faire.
Il me regarde droit dans les yeux. Je ne comprends rien à ce qu’il me dit.
– Je connais ton avenir, Noé, car il est mon passé, reprend-il. Mais il y a dans nos vies des moments où, sans le savoir, nous nous trouvons à un carrefour. Selon le choix que nous effectuons alors, notre destin prend une direction ou une autre. La plupart du temps, nous n’en avons pas conscience. C’est bien plus tard que nous nous rendons compte des conséquences… Pour toi, quelque chose d’extrêmement important va se jouer aujourd’hui, à cet instant précis. Aussi, écoute bien ce qui s’est passé après que Laurent t’a accusé de tricherie devant toute le classe. Euh… m’a accusé de tricherie.
« Aveuglé par la colère et le sentiment d’injustice, j’ai oublié en quelques secondes tout ce que m’avait transmis mon père : la non-violence, la tolérance, le respect de l’autre et de soi-même. J’étais tellement furieux que je n’avais plus qu’une idée en tête : me venger ! Alors j’ai versé de l’eau de Javel dans le bocal.
« J’ai tué Maurice.
« Qui n’y était pour rien. Et qui n’avait certainement pas mérité ça.
« On l’a retrouvé le lendemain ; flottant le ventre à l’air. Laurent a tout de suite deviné qui était le responsable. Il m’a dit : “Tu vas le regretter”.

Au fond de la classe se trouve un petit placard.
Il contient tout ce qui est nécessaire pour un « nettoyage d’urgence » (par exemple, quand un enfant vomi) : seau, balai, serpillières, éponges, etc. Encore tout tremblant de colère et de chagrin, je quitte ma place et traverse la salle à pas de loup, l’oreille aux aguets. Aucun bruit en provenance du couloir, la maîtresse est sans doute bien trop occupée ! J’ouvre le placard et farfouille dedans jusqu’à ce que je déniche ce qu’il me faut. Yes ! Je regagne ma rangée et m’approche du bocal.
– Allez, Maurice, on va faire plaisir à ton patron. C’est l’heure du grand nettoyage…
Je m’apprête à dévisser le bouchon de la bouteille d’eau de Javel.
– Et maintenant, comme dirait l’autre, « on va voir ce qu’on va voir »…

Aveuglé par la colère et le sentiment d’injustice, j’ai oublié en quelques secondes tout ce que m’avait transmis mon père : la non-violence, la tolérance, le respect de l’autre et de soi-même. J’étais tellement furieux que je n’avais plus qu’une idée en tête : me venger !

Il faut dire que les maths, j’adore ça ! Pour moi, c’est comme un jeu, mais quelquefois j’aimerais bien que la maîtresse nous donne des exercices un peu moins faciles.

Mon père m'a expliqué que c'était mal de dénoncer. Que pendant la guerre ça avait tué des milliers de gens.