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Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Pourquoi désobéir ? Car notre monde est injuste, car notre environnement se dégrade, car on spécule et on s'endette plutôt que de créer des richesses durables. La désobéissance est devenue une évidence.

Pourquoi obéissons nous ? Face à la monstruosité des régimes totalitaires, l'obéissance à L'Etat, de victime consentante, peut nous amener à devenir bourreau.
L'obéissance prend plusieurs formes. La soumission est une obéissance de pure contrainte ; c'est aussi le confort de ne pas se sentir responsable. Car la responsabilité est un fardeau. Pour La Boetie cette servitude est volontaire car la masse est supérieure en nombre à la minorité régnante. Elle doit cesser par une prise de conscience. Il faut s'entendre pour résister. La force du pouvoir est aussi d'être pyramidal : chacun y participe, opprime l'autre. Il faut refuser cette subordination. Refuser de se divertir pour oublier sa servitude.
La loi de la masse, c'est la chaleur du troupeau, le conformisme, l'habitude, la coutume. Mais l'obéissance peut mener au crime comme le montre l'expérience nazie ou bien l'obéissance à l'autorité scientifique.

Comment désobéir ? On peut refuser d'obéir comme Antigone pour obéir à la loi divine, ou comme Diogène par la provocation cynique d'une vie dépouillée de tout.
La vie en communauté rassure par rapport à la dangerosité de la vie sauvage. le fondement du consentement est lointain, perdu dans les origines de l'humanité : il est toujours trop tard pour désobéir. On renonce à son intérêt personnel pour l'intérêt général. Mais le contrat ne doit pas être passif, il doit être réactivé pour donner naissance à une vraie démocratie. Comme Thoreau dans sa forêt, refusant de payer ses impôts par conviction, chacun doit se laisser guider par sa conscience plutôt qu'obéir aveuglément. C'est un devoir quand les décisions de l'Etat sont iniques, quand le monde va mal, que l'injustice règne. Chacun est irremplaçable, personne ne peut désobéir à ma place, la désobéissance est un retour à soi, comme sujet indélégable, responsable, majeur, courageux. Et c'est cela le rôle de la philosophie, cette prise de conscience qui nous mène à l'essentiel.

Par son analyse sur les notions d'obéissance et de désobéissance, Frédéric Gros nous amène à une réflexion nourrie de nombreux exemples sur notre responsabilité individuelle face au désastre collectif de notre monde actuel, aussi bien pour les hommes que pour la planète : c'est à chacun à refuser de participer à cette catastrophe que nous alimentons par notre conformisme, notre lâcheté, notre soumission à un ordre du monde qui est devenu une menace pour l'avenir de l'humanité. Une très belle leçon de philosophie. Merci à Babelio et aux éditions Albin Michel.
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« Ce livre pose la question de la désobéissance à partir de celle de l'obéissance, parce que la désobéissance, face à l'absurdité, à l'irrationalité du monde comme il va, c'est l'évidence. »

Dès les premières pages, Frédéric Gros s'interroge sur les raisons qui nous font accepter l'inacceptable dans un monde qui va mal. Il décrit les motifs qui auraient dû et devraient encore susciter notre désobéissance. Pourquoi avons-nous laissé faire ? Pourquoi cette passivité collective ? Pourquoi chacun d'entre nous obéit ?

«Affirmer qu'une fois les lois votées par la majorité, elles ne peuvent être contestées sous peine de trahir la volonté populaire est une mystification», prévient Frédéric Gros. «Etre un sujet politique, assure-t-il, c'est d'abord se poser la question de la désobéissance».

Frédéric Gros reprend la provocation de Howard Zinn qui affirmait : le problème ce n'est pas l'obéissance, le problème c'est l'obéissance…

Toutefois, au lieu de se demander pourquoi on désobéit, Frédéric Gros analyse les mécanismes de l'obéissance. Il questionne non seulement notre volonté de désobéir mais également notre malaise à le faire. «Les raisons de ne plus accepter l'état actuel du monde sont presque trop nombreuses. Et pourtant rien n'arrive, personne ou presque ne se lève. » Son propos, tout au long de l'essai, est de démontrer que la désobéissance est justifiée, ainsi ce qui le choque c'est l'absence de réaction et la passivité qui sont les conséquences de l'obéissance. Désobéir est un acte par lequel l'individu exprime sa dignité en affirmant sa liberté par son refus d'obéir.

Le premier chapitre s'intitule : « Nous avons accepté l'inacceptable ». Pourquoi et comment obéissons-nous ? Pourquoi sommes-nous si soumis, alors que les motifs de rébellion sont de plus en plus nombreux ? Désobéir prend plusieurs formes et Frédéric Gros explore quatre styles d'obéissance : la soumission, la subordination, le conformisme et le consentement.

La soumission est un rapport de force contrainte car elle repose sur le sentiment d'une impossibilité de désobéir. Nous devons pourtant apprendre à ne plus accepter l'inacceptable car les circonstances devraient nous amener à réagir : injustice sociale, accroissement des inégalités, privilèges injustifiés d'une minorité, dégradation de notre environnement. L'essai défend l'idée d'une démocratie critique, la désobéissance civile ne doit être ni délinquance, ni anarchie.

Le conformisme est la principale cause de la servitude volontaire, c'est la coutume qui entraine l'inertie passive, la peur de sortir du rang et de se singulariser. Chacun aligne son comportement sur celui des autres, on obéit par conformisme. La soumission à l'autorité s'est longtemps imposée par la force de la tradition. La désobéissance civile est pour Frédéric Gros un des moyens d'action les plus pertinents dans notre démocratie, aussi, tout au long de son essai le philosophe nous incite à abandonner les conduites conformistes qui sont si confortables et sécurisantes.

« Désobéir » nous entraine ensuite du conformisme au consentement qui est une obéissance libre, une aliénation volontaire, une contrainte pleinement acceptée.

Frédéric Gros ne défend pas la désobéissance à tout prix, ce serait aussi dangereux que de faire de l'obéissance une vertu inconditionnelle. Il s'agit pour lui de toujours savoir à quoi l'on obéit ou désobéit.

L'obéissance est confortable car on laisse les autres décider et penser à sa place, la responsabilité est un fardeau et l'obéissance permet de se décharger auprès d'un autre du poids de sa liberté.

Frédéric Gros interroge ce que signifient la démocratie et la désobéissance pour le sujet politique. Pour illustrer ses propos, il cite de nombreux auteurs et philosophes, de l'antiquité à nos jours, en s'appuyant sur des exemples concrets et réels afin de dégager une ligne de conduite à tenir.

Le philosophe américain Thoreau refuse de payer ses impôts au nom d'une certaine conception de la justice, il ne veut rient verser au fisc d'un état qui admet l'esclavage. La désobéissance civile, dont il va rédiger le manifeste, est l'acte réfléchi d'un homme chez qui l'éthique et le sens de l'avenir entrainent l'insoumission.

Il convient de s'interroger sur la nature de l'obéissance et de son illégitimité. C'est ce qu'expose Hannah Arendt dans son ouvrage, « Eichmnan à Jérusalem », où ce dernier apparait plus comme un exécutant contraint que comme un décideur antisémite. D'un point de vue philosophique Eichmann obéit illégitimement à une morale détestable. le danger est que chacun peut en rajouter dans son obéissance, ce qu'on appelle la surobéissance qui fait tenir le pouvoir politique mais les expériences totalitaires ont fait apparaitre des monstres d'obéissance. L'histoire nous apprend ainsi que la démocratie est plus souvent menacée par l'obéissance aveugle des citoyens que par leur désobéissance. Avec leurs procès, leur obéissance apparait inhumaine et la désobéissance comme une démarche d'humanité.

Frédéric Gros est souvent provocateur dans le but de réveiller les consciences et d'attiser la réflexion du lecteur pour le confronter à sa propre expérience. Finalement, dans cet essai qui est toujours clair, abordable, passionnant et qui comporte de nombreux textes et références historiques, le philosophe souligne combien le choix entre obéissance et désobéissance tient principalement à une affaire de responsabilité éthique. Il explique avec habileté les mécanismes de la soumission et de la résignation. La désobéissance civile, loin d'être une posture commode ou immature, est un moyen de questionner et de faire évoluer les lois sous une forme d'action politique acceptable ; elle n'affaiblit pas la démocratie mais au contraire la protège et la renforce. « Désobéir » n'est pas un essai faisant appel à la désobéissance mais il interroge sur ce que signifient la désobéissance et l'obéissance pour le sujet politique, comment s'opposer à ce qu'on estime être de mauvaises décisions. On peut donc accorder une valeur morale à l'acte de désobéissance. Cette responsabilité éthique doit conduire le citoyen à choisir ce qui offre le plus de possibilités de favoriser la justice et la liberté dans le monde. Cet essai a pour objectif de nous faire réfléchir et de nous inciter à garder une certaine distance critique par rapport à sa propre docilité et à rester attentif.
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Et si désobéir , devenait une nécessité vitale ? refuser d'aller se faire tuer à la guerre , refuser de dénoncer , refuser l'interdiction d'aider les migrants à survivre dignement , refuser de voter par défaut etc ....
Ce livre ne pousse nullement à la désobéissance , il retrace simplement le parcours de cette attitude à travers l'histoire .
Nous avons été éduqués à croire que l'obéissance nous était bénéfique , il serait judicieux de relativiser cette assertion et ce livre donne des exemples à méditer .
Désobéir dérange les intérêts de ceux qui donnent ordre , peut-être pas les nôtres ( d'intérêts ) , les réactions peuvent s'avérer violentes , mais ..... en cas de nécessité vitale ? Et puis , une fois que le pli est pris , tout devient plus simple .
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A défaut de servir à quelque chose, la philo contemporaine se réclame subversive, agressive, en lutte contre ceci, en combat contre cela. Elle pourrait l'être, d'ailleurs, si elle ne s'en réclamait pas, mais qu'elle le revendique dissimule autre chose. N'allez pas vous imaginer que je n'aime pas la philo : au contraire, j'aime ce qui, à mon image, ne sert à rien.

Frédo traite la déso sur le mode philo. Ainsi, la désobéissance sera déclinée en multiples catégories : dissidence, surobéissance, objection de conscience, consentement, subordination, rébellion… ça permet de faire des chapitres en couches superposées : Eichmann, Arendt, Thoreau, Socrate, Hume, Rousseau… ce n'est pas inintéressant et ceux qui aiment faire le ménage et ranger les différents petits objets qui traînent par terre dans des tiroirs bien séparés aimeront ces classifications qui simplifient le découpage du monde par un tour de pirouette intellectuelle. N'allez pas vous imaginez que je n'aime pas la catégorisation : au contraire, j'aime ceux qui, à mon image, veulent s'éviter de trop réfléchir en se prenant la tête une fois pour toutes, puis en faisant la sieste tout le reste de leur vie.

J'ai toujours aimé l'idée de la désobéissance, même si dans la réalité, il est plutôt recommandé d'obéir à certaines dispositions légales. Il est vrai que je dis souvent « oui » aux ordres que je reçois mais je n'en fais jamais la moitié. Quand mon patron me dit de prendre un seau, de l'eau chaude, une éponge sale et du vinaigre blanc pour nettoyer les frigos pleins de chantilly séchée, j'approuve du chef avant d'aller me cacher dans la réserve pour trier les produits surnuméraires pendant que mon collègue se bat avec des cagettes de rhubarbe en me parlant du Brexit. D'une manière générale, il convient de donner à chacun la satisfaction qu'il recherche, fut-elle entièrement imaginaire, afin de ne pas être dérangé dans la recherche de sa propre satisfaction. Combien de mes projets auraient été déprimés par les conseils d'autrui si je les avais présentés dans leur plus simple appareil ? Avec le temps, et en raison de la résistance de mes proches à l'originalité des prises d'initiatives, j'ai appris à mentir comme je respire, même si c'est fatigant. C'est pourquoi aujourd'hui, je ne fais plus grand-chose, comme ça je n'ai plus besoin de mentir, ou si peu. Frédo appelle ça la soumission ascétique, mais je vous jure que ça n'a rien d'une ascèse.

A part ça, je n'ai jamais aimé les gens qui appellent à la désobéissance comme s'ils lançaient un ordre, et ce n'est pas parce qu'ils appellent ça la désobéissance à l'Etat que mon point de vue en sera drastiquement modifié. En effet, je préfère pouvoir désobéir quand je veux et contre qui je veux. Je préfère parfois même ne pas désobéir et m'en foutre.
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Désobéir, voici un sujet brûlant d'actualité après le mouvement des Gilets Jaunes puis celui contre la Réforme des retraites et certainement un autre à naître après le confinement. Les révolutions sont toujours réussies selon Kant car on y goûte, un bref instant, à ce sens du politique comme aventure partagée et elles ne s'oublient pas.

L'auteur s'appuie sur les écrits de nombreux penseurs et philosophes, de Socrate à Kant, de Hannah Arendt à Foucault, afin d'analyser le problème de l'obéissance/ désobéissance civile.

Dès le départ, le postulat est posé : « le problème, ce n'est pas la désobéissance, c'est l'obéissance ». Nous voilà partis sur les traces des écrits d'Hanna Arendt et de son concept de la banalité du mal car à Nuremberg, pour la première fois des hommes ont été condamnés non pour avoir désobéi, mais pour avoir obéi.
Difficile de désobéir quand on nous a répété depuis l'enfance qu'il fallait au contraire toujours appliquer les consignes et les ordres.

Il faut donc résister à notre désir d'obéir et à notre adoration du chef, il ne faut pas sur obéir (La Boétie). Car l'autorité politique ne tient que par une adhésion secrète qui fait surobéir et les puissants, y compris les pires, ne tiennent que grâce à cette surobéissance.

Il faut donc développer son sens critique et développer son moi éthique (Socrate) et au besoin, refuser un ordre inhumain. Il faut obéir à soi. L'obéissance citoyenne et politique doit être volontaire et réfléchie.

Voilà les pistes de réflexion évoquées brillamment par cet essai qui constitue une belle vulgarisation de la question de l'obéissance politique. J'y ai trouvé quelques longueurs et passages un peu obscurs mais globalement, c'est plutôt passionnant et bien expliqué.

Ce livre fait écho pour moi à celui de Todorov sur les insoumis (Mandela, Germaine Tillion, Malcom X, Boris Pasernak etc.). Frédéric Gros expose la théorie et Todorov relate la pratique en rappelant l'exemple de quelques personnes, célèbres ou non, qui ont fait prévaloir leur moi éthique et se sont refusés à la contrainte et à la majorité.
Une saine et belle lecture !

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Spécialiste de Michel Foucault, Frédéric Gros est l'auteur de « Marcher une philosophie » qui, en 2009 connut un succès commercial légitime. Quelques années après Michel Onfray et notamment son « Anti manuel de philosophie », dans un style plus sobre, Frédéric Gros faisait oeuvre pédagogique en démontrant que la philosophie pouvait être appréhendée à travers des situations du quotidien, telles que la marche, qu'il s'agisse du simple déplacement urbain ou au grand air.
Frédéric Gros reprend la recette de « Marcher.. », il met en ordre de bataille les stars de la sagesse (occidentale) pour argumenter sur la dialectique obéissance/désobéissance, dans un propos qui se veut clair et didactique, sans être académique.

L'obéissance est le ciment de la société, en premier lieu avec l'ordre judéo-chrétien même si celui-ci n'exerce plus son pouvoir comme par le passé. La malédiction du péché originel provoquée par le refus d'obéissance à Dieu, la tentation de la chair et de la connaissance. L'homme doit faire soumission au Dieu biblique.
Il faudra attendre Spinoza, Marx et Nietzsche dans des registres différents pour dévoiler et dénoncer les ressorts de la création et du pouvoir de ce Dieu anthropomorphe, qui punit, culpabilise…
Mais si en apparence l'homme s'est libéré de cette aliénation religieuse d'autres formes d'idéologies, d'autres idoles asservissent le monde contemporain.

Si dans « Marcher… » Frédéric Gros prend le lecteur par la main pour l'introduire à l'univers de sages le faire cheminer paisiblement, comme on alimenterait un herbier, on guetterait le lever du soleil sur les crêtes dentelées, dans « Désobéir » c'est le poing levé que le philosophe accueille le lecteur.
Poing levé pour appeler à la révolte, ne plus accepter l'inacceptable. Ne plus accepter ce « modèle » planétaire qui produit la paupérisation de l'immense majorité et entretient les privilèges injustifiés d'une minorité, provoque une désertification spirituelle, conduit à une catastrophe écologique fatale.

En cela, le philosophe rejoint d'autres réquisitoires incisifs, comme ceux (liste non exhaustive…) de Stiglitz sur les méfaits de la finance (« La grande désillusion » 1997) et la grande récession de 2008 (« le triomphe de la cupidité » 2013), de Valérie Charolles sur les manipulations idéologiques relatives aux problèmes budgétaires et macroéconomiques s (« le libéralisme contre le capitalisme » 2006, « Et si les chiffres ne disaient pas toute la vérité ? 2008), de Pierre Rabhi et Jean-Pierre Dupuy sur la crise écologique et spirituelle (« La convergence des consciences » 2016 « La marque du sacré » 2009). Assez curieusement, alors que ces questions existentielles d'actualité constituent la rampe de lancement de son livre, l'auteur de « Désobéir » ne cite aucun de ces analystes ou d'autres dans la même radicalité et préfère appeler à la barre les philosophes du panthéon classique, antiques ou contemporains.

Les politiques sont imposées comme répondant à des lois scientifiques, une réalité « objective » qui devient un impératif catégorique kantien, les « marchés » ces idoles modernes auxquelles il faut faire des sacrifices pour ne pas provoquer leur courroux et leur colère. On pense au « salammbô » de Flaubert. Sacrifier à Baal les enfants pour apaiser la divinité et faire pleuvoir.
Iconoclaste le rapprochement ? Est-ce que le sacrifice des droits sociaux sur l'autel du « CAC 40 », le démembrement de ce qui reste de l'Etat providence sont légitimes ? Est-ce que l'existence de ces droits sociaux est à l'origine de la grande récession apparue en 2008 ?
Dans ces politiques d'austérité sans fin il y a incontestablement une dimension punitive, comme si la vie pouvait se résumer à la fable de « la cigale et la fourmi » de la Fontaine.
On retrouve Nietzsche et sa seconde dissertation (« La faute »…) de « la généalogie de la morale », la culpabilisation, comme instrument de domination.

Le propos de Frédéric Gros est sans ambiguïté, Il est plus qu'urgent de désobéir de ne plus accepter cet « ordre »politique, économique, idéologique mortifère.
Comment désobéir, remettre en cause l'ordre, alors que depuis Hobbes, Locke, Rousseau il semble établi que hors du contrat politique, point de salut, c'est le retour à l'état sauvage le plus brutal ?
Le conformisme est si confortable, si sécurisant et le prix à payer n'est-il pas exorbitant ? Perdre sa place dans la chaine alimentaire, tous ces sacrifices, ces souffrances pour un statut social ou tout simplement pour survivre. Dans l'univers romanesque mais pas si éloigné que cela de la réalité, Winston Smith le héros de « 1984 » de Georges Orwell qui se révolte avec l'issue épouvantable que l'on sait. Non cité par l'auteur, on pense aussi à Tomas dans le chef d'oeuvre de Kundera, «L'Insoutenable légèreté de l'être », le courage de pas obéir, avec la menace de tout perdre y compris la vie..

La motivation et les causes des actes d'obéissance/désobéissance sont complexes et en définitive il existe une réversibilité une ambivalence.

Le cas de Socrate, figure de proue de la philosophie occidentale, interpelle à cet égard. Condamné à mort injustement, son ami Criton lui offre la liberté par la fuite. C'est le dialogue du même nom inséré dans le fameux triptyque Apologie de Socrate/Criton/Phédon. Socrate choisit d'obéir à la décision de justice fut-elle révoltante. En réalité cet acte d'obéissance correspond à un choix individuel, après un débat argumenté dans le dialogue du Criton. Dans cet esprit, c'est Socrate qui choisit sa condamnation et fait éclater pour l'éternité la puissance de son choix. Ce n'est pas un message de servilité par principe.

Servilité que l'on retrouve dans l'affaire Eichmann développée par l'auteur. le contexte historique est aussi bien connu. le maitre d'oeuvre de la mort industrielle, de la solution finale est jugé en 1961 à Jérusalem. le monde entier retient son souffle pour découvrir dans le box, sinon Lucifer en personne, tout au moins un avatar de Faust.
En réalité, pas l'ombre de la trace d'un pied fourchu, ce qui est fourchu c'est le courage de cet homme et de tous ceux qui ont oeuvré au fonctionnement de la terreur nazie. Hannah Arendt découvre un chef de service médiocre, la terrible banalité du mal qui permet à chacun(e) ou presque de devenir bourreau. Oui naturellement il y avait cet abominable appareil répressif mais une chose est d'obéir sous la contrainte pour sauver sa peau et une autre de servir.
Car le rappelle fort à propos Frédéric Gros, contrairement aux apparences, l'univers nazi se caractérisait d'abord par l'irrationnel, le chaos, au niveau de la gouvernance, des institutions. Il y avait des rivalités féroces entre dignitaires, leurs réseaux. Dans ce contexte, Il faut le zèle des petites mains..
C'est ainsi que Eichmann ne peut se remparer dans sa posture d'exécutant contraint par un système coercitif irrésistible. Si l'extermination a pris cette dimension c'est bien parce qu'Eichmann et un réseau d'acteurs convaincus ont porté le fer et le feu avec conviction.

On retrouve là toute la force et la profondeur du « Discours de la servitude volontaire » de la Boétie écrit au XVI siècle
« D'où il a pris tant d'yeux par lesquels il vous épie, si vous ne les lui donnez ? »
« Comment il a tant de mains pour vous frappez, s'il ne els prend de vous ? »
« Les pieds dont il foule vos cités d'où les a-t-il s'ils ne sont pas les vôtres ? »

Cette prise de conscience suppose que chacun puisse intérieurement s'exfiltrer des mécanismes de domination, ce qui signifie (re)trouver, son existence, sa dimension, son propre destin, le fameux « connais toi toi même », l'injonction de Socrate, mais aussi la connaissance de soi libératrice de Spinoza ou plus récemment l'irremplaçabilité de Cynthia Fleury.
Ne plus être un exécutant servile, un simple rouage sans conscience, sans histoire, sans racine au sens de Simone Weil.
Etre irremplaçable, être conscient de son irremplaçabilité, c'est d'abord se nourrir d'une pensée libre, qui vit notamment par un langage qui permet de mettre les mots sur les émotions intimes, résister aux injonctions, en trouvant également les mots pour les identifier, les qualifier. C'est le péril de la tentation totalitaire de la « novlangue » de 1984 d'Orwell, quand le pouvoir supprime les mots, les défigure, les dissous dans des raccourcis utilitaires. Somme nous si éloignés de ce cauchemar ?

Ce livre zoome aussi sur la pensée de philosophes, sur des oeuvres que le format du présent exercice ne permet pas de développer (Thoreau, Sophocle…)

Ombres au tableau, ce livre compte de mon point de vue, deux faiblesses.
La première est certains emprunts « sans rendre à César ce qui est à César ». Je pense en particulier à Cynthia Fleury évoquée précédemment, dont le nom n'apparait pas. La seconde est la faiblesse de la conclusion, comme si après avoir, avec réussite, mis en ordre de bataille les principes, les analyses, Frédéric Gros ne savait plus trop comment les utiliser.
Le livre s'achève sur un retour à Platon, sur « la République », le guerrier, le sage, le travailleur, et leurs vertus respectives présumées, courage, sagesse, tempérance. Il faut certes « retrouver la lumière grecque ».
Voilà une conclusion qui ne fâchera personne.
Le lecteur n'attendait pas un programme politique mais la partie finale manque de souffle.

Quoiqu'il en soit, un livre d'une grande richesse, stimulant à lire, en profitant de cette période estivale qui permet en principe, de se « pauser », pour bénéficier d'un peu plus de nourriture spirituelle.

Contribution faite dans le cadre de masse critique. Je remercie babelio et les éditions Albin Michel.
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Qu'attendre d'un essai qui prend pour titre Désobéir ? Un peu d'eau au moulin de vos désirs de résistance ? Allez, avouez, vous avez tous eu un jour envie de tout faire valser, espéré le grand soir révolutionnaire, pensé un instant dire non face au char pseudo-démocratique, planifié un Vézelay-Compostelle avec un sac à dos minimaliste, Thoreau en poche. Après avoir refait le monde toute une soirée, bien arrosée si possible, en compagnie de bons vieux camarades, vous allez vous coucher sur vos rêves de rébellion, parce qu'il faut entrer dans le rang demain ! Désobéir se résume à un fantasme pour la plupart d'entre nous. On salue la bravoure de ceux qui veulent bien se battre à notre place, les Bové, Snowden, plus récemment Cédric Herrou et tant d'autres. Mais dès qu'il s'agit de mettre la main à la pâte, ça devient difficile. On est comme gêné aux entournures, coincé par un je ne sais quoi de culpabilisant. Pour expliquer ce que signifie "désobéir", il faut donc remonter le courant, comprendre comment et pourquoi on obéit. Qu'est-ce qui fait qu'un peuple (ça devient sérieux là, on oublie le bock de bière avec les copains) se soumet à l'autorité, même dans "la désespérance de l'ordre actuel du monde" ? L'éducation, l'école, les lois, nous enseignent très tôt que désobéir c'est" mal", vu comme "de la sauvagerie" mue par un "instinct anarchique". Frédéric Gros applique la piqûre de rappel du bon philosophe : surtout ne pas se contenter des évidences! Et si désobéir était LA condition pour redonner à la démocratie son sens noble ? Si désobéir était le moyen de sauver l'humain en l'homme ? Pour développer cette réflexion, l'auteur s'appuie sur les piliers du concept : de Platon à Simone Weil, en passant par La Boétie et Thoreau (of course!). le raisonnement est solide, il nous éclaire sur ce qui fait de la désobéissance un choix possible, certes, mais aussi tortueux, difficile pour nos esprits conditionnés.
Prêts à ne plus suivre le troupeau ? Lisez, d'abord. On en reparle ensuite...
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Dans le premier numéro du Nouveau Magazine Littéraire, Frédéric Gros nous fait part de son analyse de la Boétie sur l'obéissance, dans un article intitulé « le Syndrome de l'enfant sage ». Pour lui la Boétie analyse la tendance à se complaire dans l'obéissance et se demande : Pourquoi avons-nous peur de la liberté ? Il nous explique que la Boétie n'appelle pas à l'insurrection, c'est d'un autre courage qu'il s'agit. le Dé de dé-sobéir agit comme dans détachement, défection, déliement, mais pas défaite. Il s'agit d'une conquête, se défaire de la docilité. Pour la Boétie nous obéissons pour rester avec nous-mêmes dans un paysage connu, par habitude : « La servitude volontaire, c'est la coutume ». Il existe une marge au-delà de laquelle nous accomplissons plus que ce qui nous est strictement demandé. Nous sur-obéissons. Si nous n'étions pas soumis, l'autorité politique s'effondrerait d'elle-même. Notre déférence, celle qui donne consistance au pouvoir est inépuisable. Frédéric Gros remarque le penchant que nous avons à nous placer du côté des dominants, des décideurs, par une sorte de jouissance qu'il appelle le syndrome de l'enfant sage. La liberté il ne faut que la désirer et la Boétie nous dit qu'elle est à portée de main, de décision. C'est aussi simple que le bonheur est à portée de main à condition d'arrêter de se comparer aux autres, de tirer plaisir de la jalousie des autres. Mais le plus difficile justement, c'est d'être simple, de vouloir la liberté qui est à portée de responsabilité. Il faut donc que les hommes ne la désirent pas car sinon il l'aurait. Nous n'arrêtons pas de trouver des excuses dans l'allégeance, par habitude, par fatigue. C'est de notre fait que les dirigeants puisent leur pouvoir.
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Comme c'est difficile de désobéir, que ce soit à un ordre donné par un supérieur hiérarchique ou une loi qui nous parait injuste. Pourquoi nous comportons-nous comme des petits soldats bien obéissants ? La peur de sortir du rang, de se singulariser ? le conformisme ? La peur du changement, le confort de la routine ? Ou bien un mélange de paresse et de lâcheté ? Voilà la question primordiale à laquelle s'efforce de répondre Frédéric Gros en balayant les motivations humaines, les blocages culturels ou psychologiques et en puisant de nombreux exemples dans l'Histoire ou la littérature, d'Antigone à Thoreau en passant par La Boétie, ou encore le procès Eichmann et l'analyse d'Hannah Arendt ou la glaçante expérience de Milgram (l'obéissance à l'autorité).

Si j'ai tout de suite postulé pour cet ouvrage, c'est évidement car le propos m'intéressait au plus haut point mais aussi parce que la désobéissance civile s'inscrit à mes yeux dans une résistance citoyenne à la destruction de notre planète. Quand je pense désobéissance, je pense en particulier aux zadistes partout dans le monde, aux lanceurs d'alerte, mais aussi les objecteurs de conscience. Ces personnes ont trouvé le moyen de désobéir en engageant leur responsabilité, en opposant devrais-je écrire, leur responsabilité individuelle à la passivité collective. de toutes les pistes de réflexion proposées par Frédéric Gros, l'une d'elle en particulier m'a frappée, et qui fait écho à cette fameuse « banalité du mal » évoquée par Hannah Arendt à propos du nazisme. Lorsqu'on ne désobéit pas, lorsqu'on renonce à critiquer, à défendre la justice et l'égalité, on devient complice, et même, aussi sûrement coupable que ceux qui cherchent à nous soumettre.

Pour autant, cet essai n'est pas un appel à la désobéissance, il est plus que ça : c'est un outil destiné à nous faire réellement réfléchir, à nous mettre face à nos responsabilités. Il ne s'agit de désobéir pour le plaisir, histoire de mettre le bazar en société, il s'agit de s'interroger sur la façon dont on peut s'opposer à des mauvaises décisions, à des ordres stupides, dont on peut endiguer le flot des injustices, par des moyens divers et variés, adaptés à la situation et à la personne. Désobéissance ne rime pas forcément avec violence.

Et parfois, la désobéissance, la résistance, se nichent dans de petits actes anodins. J'aime à donner souvent le même exemple sur un thème qui me tient à coeur, dont je parsème souvent mes billets : quand le citoyen se rend compte que les autorités, le gouvernement, à grands renfort d'explications scientifiques destinées à nous rassurer, font main basse sur notre alimentation et notre santé, quand les intérêts économiques priment sur tous les autres, quand ils interdisent l'échange de semences bio, permettent aux multinationales de breveter le vivant, et déclarent la guerre au purin d'ortie, alors, le devoir de chacun c'est de désobéir en cultivant un carré de légumes bios, en utilisant le purin d'ortie au potager, en aidant à développer des jardins familiaux, en échangeant graines et plants avec son voisin. C'est peu et c'est beaucoup à la fois. Et c'est un premier pas.

Voilà en tout cas un essai à mettre entre toutes les mains, clair et abordable même pour une hermétique à la philo comme moi, à lire et relire. Merci à Babelio et Albin Michel.
Lien : https://labibliothequedefolf..
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Frédéric Gros, je vous en avais déjà parlé pour Marcher, une philosophie (sorti en 2009), est prof de Philo à Sciences Po Paris. C'est dommage, j'aurais bien aimé l'avoir !
Un peu comme pour Marcher il s'agit ici d'une sorte de cours sur la désobéissance, l'ouvrage fourmille de références (heureusement les notes sont bien faites et l'explication est claire). le tout découpé en chapitres assez courts et très articulés. En somme pour quelqu'un qui n'est pas expert de la question et qui ne tient pas à lire une vingtaine d'ouvrages sur le sujet avant d'en avoir une vision d'ensemble ce livre est une mine d'or !

En ce moment je vois passer pas mal de livres sur ce thème (mentionnons juste la parole contraire dont je parle par ici), je ne sais pas vraiment à quoi c'est du… peut-être à la nécessité criante de bouger ? C'est de ce postulat que part l'auteur : Comment faisons nous pour être si immobiles ? Pour accepter ainsi ? Les philosophes ne nous ont donc rien appris ?

Finalement ce n'est pas la désobéissance qui est surprenante mais notre constance à supporter un monde qui part en vrille. L'obéissance, qui est tour à tour présentée comme un élément fondamental de la société, une aliénation ou une acceptation consciente est peut-être encore plus étudiée que son opposée. Car plus présente dans nos vies, par notre obéissance aux lois mais de façon plus insidieuse dans notre conformisme. On sent l'interrogation permanente de l'auteur nous rappellent du Reich à Antigone ce que l'obéissance donne : des bourreaux et des injustes. La paix clique mise en avant n'est pas forcément le synonyme idyllique du bonheur qu'on nous vend. Mais comment ne pas comprendre que ceux que cette paix place au plus haut de l'échelle, nous en vantent les vertus ?

J'ai particulièrement apprécié les résumés qu'il nous offre, notamment de la pensée de Platon : l'écriture est si vive et légère ! On saute de Kant à Dostoïevski, de Thoreau à l'expérience de Milgram, tout ça sans que ça pose le moindre problème.
Le tout avec ce qu'il faut de provocation pour réveiller le lecteur et le confronter véritablement à sa propre situation, plus efficacement (car plus contemporain) que le discours de la Boétie.
Notre propre jugement est finalement le garde fou de notre comportement : pourrais-je vivre avec telle ou telle action sur la conscience ? Même en obéissant aux ordres qui me sont donnés, puis-je me pardonner mon action ? L'exemple de l'homme ayant fait les repérages pour le lancement de la bombe atomique à Hiroshima est frappant. J'ai obéis mais je ne peux le supporter : c'est MOI qui l'ai fait. Cet aspect de la réflexion m'a vraiment intéressée. Au delà de la classique accumulation de références, replacer l'individu conscient au centre me semble fondamental. Certes depuis l'école (coucou Kant) nous sommes formés à l'obéissance mais ce n'est peut-être pas la finalité absolue que cela semble être… Notre conscience (notre « bonne » conscience dirais-je) nous accompagnant également dans cette obéissance parfois nécessaire.

Vivre avec soi est après tout une nécessité, autant se faciliter la cohabitation !

Le dernier chapitre m'a beaucoup plu, il résume très bien l'ouvrage Tout en reprenant l'avis réel de l'auteur, le « sourire de la pensée ».

Ce n'est pas de ces ouvrages de philo qu'il faut reprendre 10 fois pour espérer parvenir à la fin (d'autant qu'il est plutôt court), C'est prenant et bien mené. Logique et rieur.
Un peu dans la veine de « ceci n'est pas un manuel de philosophie » de Charles Pépin bien que ce dernier soit ouvertement plus scolaire. La simplicité d'accès de ce livre est un vrai point fort : parler philo sans devenir chiant c'est agréable !
Un ouvrage nécessaire que j'aimerais voir dans toutes les bibliothèques…
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