Vie et Destin

Je demande à mon collègue ce qu'il est en train de lire. Il me parle de Vassili Grossman. Ce nom me dit quelque chose. J'entends le mot Stalingrad. L'information tombe d'un coin de ma tête. Ah oui...ce Guerre et Paix du 20ème siècle...
Cela n'est pas pour moi...mais mon collègue m'en parle plus amplement, me titille, me donne envie de me lancer dans ce périple. Mais il me met en garde sur la complexité et la diversité du roman...Ces paroles restent et m'intriguent.

Quelques semaines plus tard, je termine un roman. le choix du nouveau se pose. Les paroles de mon collègue reviennent. Suis-je prêt ? Je commence Vie et Destin avec quelques à priori..

Et il avait raison...
Que ce roman fut complexe !

Il n'a pas été facile à appréhender. Les personnages sont nombreux et parfois difficilement reconnaissables (je fais référence aux appellations, patronymes...). Les lieux et les histoires changent, les personnages restent mais changent de manière constante. le récit n'est pas linéaire et ce n'est pas toujours facile.

Au-delà des destins croisés de tous ces personnages, l'oeuvre nous apporte une réflexion incroyable sur le système soviétique (et sur la notion de liberté, de peur, de patriotisme que cela implique)...Par ses personnages, Vassili Grossman nous donne une image de la société soviétique face à ce système en constante évolution. Et face à cela, les hommes et les femmes ne s'y retrouvent pas toujours....

Je voudrais même l'accent sur deux moments du roman.
Même si le passage de la lettre que Strum reçoit de sa mère m'a terriblement marqué, il en est un autre encore plus bouleversant : les derniers instants de Sofia et du petit David au sein d'un camp d'extermination. Rarement, je n'ai ressenti une telle proximité avec les personnages, de la sortie des wagons jusqu'à cette fin tragique dans une chambre à gaz....

Enfin, je reviendrai aussi sur cette conversation entre l'officier SS et le bolchévique, deux personnages totalement opposés, dans un camp allemand. Une conversation politique (mais aussi philosophique) extraordinaire ! Ce moment reste un passage marquant pour la plupart des lecteurs et des critiques et je comprends pourquoi !

Vie et destin est un roman complexe, qui m'a demandé beaucoup d'énergie, de temps et de concentration. Mais cela reste un témoignage incroyable, un roman que l'on se doit de lire par la richesse du réalisme et des réflexions qu'il apporte.

C'est une oeuvre impressionnante, remarquablement explicite, dans sa dénonciation des abus du régime stalinien, et courageuse pour son époque. A ce titre, elle doit être lue. Certaines tranches de vie sont intéressantes et pathétiques. Les protagonistes sont très nombreux et leurs caractères finement dessinés.

Les réflexions philosophiques de Grossman sur le bien et le mal, la vie et le destin sont parfois un peu lourdes et didactiques. Mais ces aspects sont largement balayés par le roman et la grande humanité de tous les personnages du livre. Grossman fixe son roman autour de Stalingrad présenté comme le point de bascule de la seconde guerre mondiale mais en fait point de bascule également de la Russie, de l'empire sovitétique, bascule du monde occidental, parallèlement les personnages basculent tous également dans le doute, les remises en cause et grandissent au travers des épreuves terribles qu'ils subissent. Grossman apporte une image terrifiante des totalitarismes (nazie et communiste) et des conséquences sur l'homme et son humanité perdue tout en gardant un espoir que par le besoin absolu de liberté l'homme consevera son humanité malgré tout.

témoignage poignant sur le 20ème siècle en Ukraine. A lire pour son importance historique.

Je ne donnerai pas 5 étoiles en raison d'une chose seulement.

Étant donné la panoplie de personnage présent dans ce livre, n'aurait-il pas été moins ardu à lire si l'auteur avait cessé de constamment changer le nom utilisé pour désigner un personnage ? Tantôt le prénom, tantôt le nom de famille, tantôt le surnom. Cela m'a agacé au plus haut point, d'autant plus que je n'ai pas l'habitude des noms Russe. On est constamment en train de se demander de qui il y est question exactement. Par exemple, j'ai pris plusieurs pages avant de comprendre que Strum était Victor et que Vitia était également Victor. Sa mère lui écrit une lettre, elle le nomme Vitia tout au long de celle-ci. Ce n'est que plus tard que j'ai compris que Vitia était Victor. On fini par comprendre après coup, selon le contexte, mais lorsqu'on lis le passage en question, on se retrouve confus, a essayer de rétablir l'arbre généalogique, au lieu de pleinement profiter du moment.

Bref, je ne suis pas un lecteur grandement expérimenté et par conséquent, cela m'a donné beaucoup de misère à me placer dans l'histoire sans être totalement confus par cette multitude de personnages. Assurément que les lecteurs d'expérience n'ont pas éprouvés ce genre de malaise.

Malgré tout, une fois les personnages bien établis dans notre tête, ce récit est simplement époustouflant !

Un grand roman sur la condition humaine ou comment les hommes vivent sous les deux totalitarismes que sont le nazisme ou le communisme. Destins croisés. Un roman interdit sous le régime soviétique.