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Luba Jurgenson (Traducteur)
EAN : 9782253157816
1056 pages
Le Livre de Poche (09/02/2011)
4.21/5   118 notes
Résumé :
En février 1943, le mot " Stalingrad " est sur toutes les lèvres : ce mot aux sonorités tranchantes deviendra le symbole de la citadelle sur laquelle s'est brisé le raz de marée allemand. C'est à cette époque, immédiatement après les combats auxquels il a assisté en tant que correspondant de l'Étoile rouge et dont il a rendu compte dans ses chroniques, que Vassili Grossman entreprend sa fresque monumentale, Pour une juste cause, dont la seconde partie, mondialement ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (21) Voir plus Ajouter une critique
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Année 1942, tous les regards sont portés sur Stalingrad et les bords de la Volga. Deux régimes totalitaires vont s''affronter pendant 1 an " pour une juste cause". Vassili Grossman journaliste à l'étoile rouge va être le témoin de cette sanglante bataille.
Dans le roman " pour une juste cause" l'écrivain va raconter l'histoire de ces gens qui vont devenir des héros malgré eux. Comme le fit Tolstoï dans son gigantesque roman " La guerre et la paix " sauf qu'entre temps la révolution d'octobre a balayé l'aristocratie. Vassili Grossman nous présente des personnages venus de tout horizon, ouvriers, paysans ingénieurs....
Le récit serait il un roman national ?
Adolescent lors de la révolution bolchévique Vassili Grossman est un pur produit de la pensée Marxiste Léniniste, et cette pensée on l'a retrouve à multiples reprises dans son récit.
on suit cette famille Chapochnikov qui ne vivent et respirent que par la grandeur de l'union soviétique face au fascisme hitlérien.
" Pour une juste cause" est le premier tome de ce combat entre deux régimes inhumains.
Un livre énorme et une écriture magnifique de Vassili Grossman que j'ai découvert sur France culture, en attendant la suite du second tome "Vie et destin".
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Premier volet d'une impressionnante fresque sur la bataille de Stalingrad (le second volet étant le célèbre Vie et Destin, dont rien que la parution est une épopée à elle seule), Pour une juste cause est celle du bien contre le mal, de la liberté contre l'oppression incarnée par le « diable de l'hitlérisme ». Dans ce domaine, il a tendance à verser un peu trop radicalement dans le manichéisme mais quand même… quel souffle !
Car au-delà du fracas de la guerre et des idéologies, comment ne pas entendre la voix du peuple résonner et vibrer sourdement, tantôt avec ferveur, tantôt avec résignation, ponctuée parfois de « ces rires incomparables des Russes, capables de s'amuser avec une merveilleuse simplicité dans les instants les plus terribles, les plus durs de leur destin. »
C'est la voix des ouvriers, des paysans, des ingénieurs, des hommes et des femmes de la vieille garde, de la jeunesse, des soldats que nous découvrons à l'oeuvre dans les usines, dans les mines, dans les hôpitaux, dans les villes, sur les routes, dans la vie de famille, en première ligne, dans la réserve ou à l'arrière, dans tous les recoins de la vie, ou de la mort.

J'ai trouvé la mise en place un peu longue. Je ne sais si j'ai manqué de concentration mais j'ai eu du mal à m'approprier les personnages (et les villes !). Combien de fois ne suis-je pas revenue en arrière parce que j'avais oublié le contexte ou la filiation d'un personnage ! Ils sont présentés à la chaine dans un contexte et un historique qui leur sont propre, si bien qu'un personnage peut ne pas réapparaitre avant plusieurs centaines de pages. Ce manque d'interaction et d'alternance m'a gênée. C'est plus proche d'une mosaïque de personnages et de destins, même si une grande partie d'entre eux sont les membres (étendus) d'une même famille.

A noter que j'ai également été surprise de découvrir dans la préface de Luba Jurgenson que, déjà, ce premier volet avait valu des ennuis à son auteur. Si le décès de Staline lui a évité des poursuites, il a quand même été contraint d'en publier « une version expurgée ». J'ose espérer que mon exemplaire est la version originale, rien n'est précisé à ce sujet. Il lui aurait été reproché de « déformer l'image des Soviétiques » alors qu'il me semble au contraire qu'il la sublime. La foi envers le Parti est d'ailleurs omniprésente. Il y a bien une ou deux remarques à demi-mots un poil plus critiques mais pas de quoi fouetter un chat, encore moins un Staline. Franchement, je n'ai pas bien compris ce qui avait pu lui défriser la moustache…

Une chose est sûre, la résilience des Russes est à l'honneur. Ode au patriotisme, à la Mère patrie, au travail aussi, ce n'est pas tant un livre sur la guerre qu'un livre sur le quotidien de la guerre, celle des soldats comme celle des civils. La guerre s'installe peu à peu dans les discussions, dans la vie quotidienne, devient un état d'esprit, fait corps. « À cette époque la guerre était cette mer dans laquelle se jetaient tous les fleuves et dans laquelle naissaient tous les fleuves. »

Ce premier volet se termine à Stalingrad en septembre 1942, alors que les dernières poches de résistance russes sont fortement mises à mal, et ce n'est rien de le dire. Forcément, cela appelle une suite ; d'autant que certaines destinées restent en suspens. A suivre donc…
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Il y a un moment où il faut se décider, il ne suffit pas d'acheter deux pavés de plus de mille pages et de les laisser traîner dans le mouton à lire ....
Ce moment est arrivé, pourquoi, je ne sais pas vraiment, je tourne autour de la Russie actuellement alors pourquoi ne pas découvrir ce que certains ont appelé l'un des grands romans du XXe siècle, "vie et destin" mais j'ai souhaité respecter la chronologie et commencer par le début ...
Ce sera pour quelques temps .... pour une juste cause.

Les jours se sont enchaînés, les pages se sont tournées avidement, convulsivement .... deux années se sont écoulés 1941 et 1942, j'ai été éblouie par le malheur, les morts, les scènes de combat, les discours traumatisant de ceux qui se croyaient les maîtres du monde, la tranquillité de ceux qui étaient sûrs de combattre pour la survie de leur territoire, les scènes invraisemblables où l'âme russe nous amenait à la contemplation de ce que l'on pourrait nommer l'horreur et qui se transformait en sentiment de jouissance face à la beauté du monde.
C'est une lecture renversante, épuisante de par son volume et par l'éclatante élégance de l'écriture.
Il faut lire "pour une juste cause", pour comprendre l'engouement d'un peuple sûr de sa force, de ses certitudes, qui est à ce moment là une façon de résister à l'invasion fasciste.
1942 était encore une époque où l'on pouvait croire en la grandeur du communisme !
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Je viens de terminer les 1.050 pages de ce roman-récit, épopée, écrite par un journaliste de guerre, observateur : Vassili Grossman) entre l'armée nazie d'Hitler et l'armée soviétique. de Staline.
Le thème principal : victoire des russes sur les allemands en gagnant la bataille de Stalingrad.
J'ai eu, non pas des difficultés de lecture, l'écriture reste claire et parfaitement accessible, mais les principales pierres d'achoppement furent : la complexité des grades militaires à laquelle est ajoutée des qualifications précises par rapport à la profession civile ou politique; les noms russes des personnages, : trois mots, plus souvent, des diminutifs, pour une seule personne (je sais c'est comme cela en russe), j'ai dû me faire une petite liste,; les nombreuses petites villes éparpillées : sur un bout de carte géographique, et enfin les tactiques, les stratégies militaires : avances, retraits, encerclements, attaques, contre-attaques, qui font une grande partie du récit, où viendra apparaître les personnages, avec pour chacun un morceau de son histoire personnelle.
Le commissaire politique est un agent de surveillance, chargé d'orienter les hommes de tous grades dans le sens voulu par le parti communiste.Il reflète la discipline et la propagande inhérente à toute dictature.
La guerre, les destructions massives, la mort, le courage face à un ennemi puissant sur-armé, la force, la volonté de défendre sa terre, son pays, son honneur face à une armée d'envahisseurs décidée à tuer, à éliminer tout ce qui n'est pas allemand afin de conquérir un monde qui serait à sa merci
Je ne regrette pas cette lecture ayant été jusqu'à la dernière page avec ténacité. Je vais lire la suite "Vie et Destin" paru en 1980., universellement reconnu comme l'un des plus grands romans du XXe siècle.. Mais sincèrement, j'ai eu quelquefois un peu de mal à suivre les troupes, les régiments, les bataillons etc n'ayant pas l'esprit militaire..
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En retrouvant la famille Chapochnikov, j'ai eu le sentiment de pousser la porte d'une maison familière. C'est l'anniversaire d'Alexandra Vladimirovna, le thé, la chaleur du repas partagé, tous sont réunis là, trois générations jusqu'aux petits fils à la vieille de partir au front. Je me suis sentie chez moi, par la force des mots de Grossman, tellement proches de la réalité humaine de ces années de guerre dans lesquelles il fut lui même plongé comme correspondant . Ma première lecture du livre remonte aux années 90 et depuis, « Pour une juste cause » est resté dans l'ombre de « Vie et destin » que j'ai relu trois fois et qui est devenu mon livre de référence. Je m'aperçois à cette relecture de « Pour une juste cause » que cette négligence n'est pas justifiée, au contraire.Ce roman se lit comme une genèse du suivant et il est passionnant de suivre l'écrivain dans la construction de son épopée, de réfléchir avec lui au profil de ses personnages, qui change entre les deux volumes, de guetter à travers les lignes ce qui fera la force du livre suivant avec cette lucidité exceptionnelle qui lui fera décrypter le stalinisme à l'échelle humaine de chacun de ses personnages.
Oui, les deux livres sont différents. Grossman écrit « Pour une juste cause » sous le feu des combats, à partir de 1943, il a en tête la fresque historique qu'il veut construire, « Vie et destin est déjà en gestation à travers les premiers chapitres publiés, tout entiers dominés par la bataille de Stalingrad. La lecture du livre fait ressentir à quel point Grossman est alors entièrement habité par l'invasion du pays par les armées allemandes et par les déconvenues militaires de l'armée rouge en 1941. Il revient longuement sur la stupeur du pays alors, et s'attache ensuite à montrer comment il relève la tête et organise les conditions de la résistance, par les armes ,mais aussi par un effort énorme de production, les industries étant transportée à l'est. Grossman prend soin de montrer que la victoire se joue également loin des champs de bataille. La première partie du livre les présente, dans le recul inexorable de l'armée rouge jusqu'au Don, que les armées ennemies finissent par franchir, la route est ouverte pour Stalingrad. La deuxième partie du livre est centrée sur la bataille de Stalingrad, de l'assaut des bombardiers contre la ville le 23 aout 42 à 16h aux premiers combats acharnés dans les rues et les bâtiments de la ville en septembre. Les chapitres consacrés aux combats pour le contrôle de la gare, sont emblématiques de ce que sera la suite de la bataille, les soldats russes se battent jusqu'au dernier sans rien céder des positions occupées. Grossman prend soin de montrer la volonté de chacun de s'engager ainsi, sans que l'ordre de Staline de ne plus reculer ne soit rappelé pour l'occasion.
Dans les usines ou sur les champs de bataille, c'est bien le peuple russe qui paie le prix de la guerre.
Peuple magnifique, dans sa simplicité et son désir de vivre, magnifique dans cet élan vital qui le pousse à résister coûte que coûte. Grossman est un peintre de l'humain, si près de tout ce qui fait agir et penser ces hommes et ces femmes, que son popos a la force de l'universel et prend une actualité féroce en ces temps de guerre de la Russie contre l'Ukraine. La résistance des Ukrainiens est toute entière dans les pages de Grossman.Il est un écrivain messianique, dont la lucidité politique et idéologique s'est forgée progressivement, jusqu'à la pleine maturité de sa pensée, telle qu'elle s'exprime dans « Vie et destin » et ensuite dans « Tout passe ». Il est interessant d'en apercevoir les prémices dans « Pour une juste cause ». Ses personnages plongés dans la guerre révèlent leur nature profonde. La confrontation entre le bien et le mal, qu'il développera dans « Vie et destin » est déjà là, dans ce premier opus. Elle s'exprime à travers les figures évoquées. L'héroïsme y occupe une place importante ,les petites mesquineries, lâchetés au quotidien, sont présentes aussi, malgré la relecture de la censure qui a tenté de les gommer. Grossman condamne le conformisme des idées reçues qui préfère regarder la norme que s'intéresser aux individus. La cadette des Chapochnikov en montrera elle même l'exemple dans le jugement hâtif qu'elle porte sur Tokareva à l'orphelinat. Les plus belles figures brossées par Grossman sont celles des personnages secondaires qui ne font que traverser le récit et traduisent toutefois la force et la grandeur humaines au quotidien, ainsi l'ouvrier Vavilov qui regrette de n'avoir pas eu le temps de couper le bois avant de partir au front et figurera parmi les derniers tués dans les combats de la gare.
La construction du récit elle aussi, annonce la symphonie de « Vie et destin ». Hitler et Mussolini ouvrent le roman avec la décision d'envahir l'URSS, les soldats allemands sont mis en scène dans leur quotidien, du soldat Bach à von Paulus, Stalingrad, les steppes du Don, celles de l'outre Volga, Kazan Kouybichev, Moscou, sont autant de champs d'action. La critique du stalinisme n'est pas développée explicitement mais elle est totalement en germe dans l'hymne convaincu que Grossman adresse à l'humanité à travers chaque individu respecté et glorifié pour ce qu'il est.
Un livre majeur.
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critiques presse (1)
Lexpress
04 juillet 2011
Un des plus beaux témoignages sur l'héroïsme du peuple russe, incarné par de formidables personnages à la Tolstoï.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Citations et extraits (59) Voir plus Ajouter une citation
- Moi, j’ai été chez Boubnov, dit l’un des correspondants, ce sont des gars formidables, camarade général, ils vont à la mort comme à une fête.
Le général regarda celui qui parlait en plissant les yeux.
- Là vous exagérez, dit-il, à la mort comme à une fête…Qui a vraiment envie de mourir ? […] Personne n’a envie de mourir, ni vous, camarade écrivain, ni moi, qui suis un soldat de l’Armée rouge. […]
La guerre, c’est un travail. A la guerre comme au travail, il faut avoir de l’expérience, il faut avoir travaillé, avoir roulé sa bosse, avoir réfléchi à tout. Vous croyez que les soldats passent leur temps à crier « Hourrah ! » et à courir à la mort comme à une fête ? Ce n’est pas simple de faire la guerre. Le travail d’un soldat est dur, compliqué. Quand le devoir le lui commande, le soldat dit : c’est dur de mourir, mais il le faut !

Deuxième partie, Chapitre 4
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Le vieux Poukhov trouvait que la vie avait empiré. Il avait calculé le coût des céréales du temps du tsar, ce qu’on pouvait acheter au magasin, ce que valait une paire de bottes, comment était la soupe aux choux : il en résultait qu’autrefois, la vie était plus facile. Vavilov n’était pas d’accord, il considérait que plus le peuple aidait l’Etat, et plus l’Etat pouvait aider le peuple.
Les femmes âgées disaient : à présent, on nous considère comme des êtres humains, nos enfants deviennent des hommes importants ; tandis que du temps du tsar, les bottes coûtaient peut-être moins cher, mais nous autres, et nos enfants, on nous traitait comme des moins que rien.
Poukhov répondait : un Etat tient toujours grâce à ses paysans, et un Etat, c’est lourd à porter, et du temps du tsar, il y avait des famines, aujourd’hui aussi, il y en a, sous l’ancien régime on pillait le moujik, aujourd’hui aussi, on lui impose des taxes, il y en a toujours qui ont prospéré sur son dos, et il y en a encore…

Première partie, Chapitre 3
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A l’intérieur, cette isba possédait une qualité étonnante, propre aux isbas russes : elle était à la fois étriquée et spacieuse. Elle avait pris de la patine, réchauffée par le souffle de ses maîtres, et de leurs parents, imprégnée de leur présence au-delà de toute mesure, semblait-il, et en même temps, on aurait dit que les gens n’avaient pas l’intention d’y vivre longtemps, qu’ils y étaient venus pour déposer leurs affaires et que d’un instant à l’autre, ils allaient se lever pour repartir, laissant les portes ouvertes…

Première partie, Chapitre 4
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[...] ... Déjà, à l'époque, avant la guerre, il était évident qu'Hitler avait triomphé de dix pays d'Europe occidentale presque sans effort, que l'énergie de ses troupes n'avait presque pas été entamée. D'immenses armées terrestres étaient concentrées à l'est de l'Europe. Sans cesse, de nouvelles configurations politiques et militaires provoquaient de nouveaux débats. La radio avait transmis la déclaration d'Hitler selon laquelle selon laquelle le sort de l'Allemagne et du monde était fixé pour mille ans.

En famille, dans les maisons de repos, dans les entreprises, on parlait guerre et politique. L'heure de la tempête avait sonné : les événements du monde s'étaient mêlés au destin de chacun, avaient fait irruption dans la vie des gens et on ne prenait plus de décision concernant les vacances d'été à la mer, l'achat de meubles ou d'un manteau d'hiver sans consulter les communiqués de la presse militaire, les discours et les études publiés dans les journaux. Les gens se disputaient souvent, remettaient en question leurs relations. On se disputait surtout au sujet de la puissance de l'Allemagne et de l'attitude à prendre envers cette puissance.

A cette époque, le professeur biochimiste Maximov était revenu d'une mission scientifique. Il avait été en Tchécoslovaquie, en Autriche. Strum n'avait pas de grande sympathie pour lui. Cet homme aux cheveux blancs, aux joues rouges, aux gestes onctueux et à la voix douce lui semblait timide, veule, une bonne âme. "Avec son sourire, on peut obtenir du thé gratis," disait Strum, "deux sourires pour un verre."

Maximov avait fait un exposé dans une petite réunion de professeurs. Il n'avait presque rien dit sur le caractère scientifique de son voyage mais avait parlé de ses impressions, de ses conversations avec des savants, avait décrit la vie dans les villes occupées par les Allemands.

Comme il parlait de la situation de la science en Tchécoslovaquie, sa voix s'était mise à trembler, et il avait poussé un cri :

- "On ne peut pas raconter ça, il faut le voir ! Les gens ont peur de leur ombre, de leurs collègues de travail, les professeurs ont peur de leurs étudiants. La pensée, la vie intérieure, la famille, l'amitié, tout est sous le contrôle du fascisme. J'avais un camarade qui avait fait ses études avec moi, nous avions bûché à la même table les dix-huit synthèses en chimie organique, cela fait trente ans que nous sommes amis, eh ! bien, il m'a supplié de ne pas lui poser de questions. Il était terrorisé à l'idée que je puisse me servir de son récit et que la Gestapo le reconnaisse même si je ne révèle ni son nom, ni sa ville, ni son université. Le fascisme sévit dans la science. Ses théories sont effroyables , et demain, elles deviendront de la pratique. Elles le sont déjà d'ailleurs. Car on y parle sérieusement de sélection, de stérilisation, et un médecin m'a raconté qu'on avait tué des malades mentaux et des tuberculeux. C'est l'anéantissement total des âmes et des esprits. Les mots "liberté", "conscience morale", "compassion" sont traqués, il est interdit de les transmettre aux enfants, de les écrire dans les lettres privées. Voilà comment ils sont, les fascistes ! Qu'ils soient maudits !"

Ces dernières paroles, il les avait criées ; puis, prenant son élan, il avait donné un puissant coup de poing sur la table : on eût dit un matelot de la Volga fou de rage et non pas un professeur à la voix douce, à la tête blanche, au sourire agréable.

Son exposé avait produit une forte impression. Strum avait dit :

- "Ivan Ivanovitch, vous devez noter vos observations et les publier, c'est votre devoir ..."

Quelqu'un avait dit alors, prenant le ton d'un adulte qui s'adresse à un enfant :

- "Tout cela n'est pas nouveau et ce n'est pas le moment de publier des souvenirs de ce genre : nous avons intérêt à consolider la politique de paix et non pas à la fragiliser.*"

* : Pendant la période entre la signature du pacte Molotov-Ribentropp et l'agression allemande, le 22 juin 1941, la presse soviétique avait cessé de traiter l'Allemagne nazie de fasciste et accusait au contraire les Alliés d'avoir déclenché une campagne de haine. L'Allemagne était désormais présentée comme un pays agressé auquel l'Union soviétique devait apporter son soutien. Dans ce contexte, toute déclaration anti-allemande devenait dangereuse.... [...]
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Le pouvoir du fascisme sur les gens n’est pas infini ! […] Toute la lie de la vie populaire, inévitable sous le capitalisme, tous les déchets, toute la racaille, tout ce qu’il y avait d’enfoui, de caché, le fascisme l’a soulevé, et tout cela est remonté à la surface, a commencé à sauter aux yeux, tandis que les forces bonnes, raisonnables, populaires, le sel de la vie, se sont tapies dans les profondeurs, sont devenues invisibles, mais continuent à vivre, à exister. Bien sûr, le fascisme a mutilé, a souillé de nombreuses âmes, mais le peuple restera. Le peuple restera.

Première partie, Chapitre 42
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Vidéo de Vassili Grossman
Comment écrire la guerre ? de nombreux écrivains s'y s'ont frottés, et Emilienne Malfatto comme Olivier Weber évoquent des figures littéraires majeures qui ont influencé leur propre écriture de l'expérience guerrière. Sorj Chalandon, Malraux, Vassili Grossman ou encore Romain Gary... autant de plumes convoquées par ces deux reporters.
Emilienne Malfatto est auteure et journaliste et publie "Le colonel ne dort pas" (Editions du sous-sol, août 2022). Olivier Weber, lui, est auteur, grand reporter et ancien correspondant de guerre, et publie "Naissance d'une nation européenne" (éditions de l'Aube, août 2022).
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