Un recueil de nouvelles autour d'un fait divers difficile : le suicide d'une jeune fille.
Treize personnes vont raconter comment elles ont vécu cette situation et ce en quoi ça les ramène.
C'est joliment écrit, c'est parfois dur sur certains témoignages. Une jolie introspection sur la vie
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Quand je n’y arrivais plus, à me voir exister avec bonheur dans ma tête, à me figurer ma place dans l’espace qui nous entoure, il me restait toujours les miroirs ou les vitrines dans la rue pour me rappeler qui j’étais. Quand je ne savais plus pourquoi je bougeais ainsi, quand je me dissolvais, je courais me recoiffer ou me remettre du rouge. Pas par coquetterie; j’allais me repoudrer le nez rien que pour avoir l’occasion de me regarder dans une glace et de réintégrer ma peau.
Parce qu’un jour, un bête petit jour comme les autres mais enfoncé dans la chaleur, on craque. Et tout à coup déferle sur nous la somme des détails. La montagne des petites morts pas douces qu’on a avalées tous les jours pendant des années. Qu’on a repoussées loin au fond de l’eau en se disant ça n’a pas d’importance, ce qui compte ce sont les grands sentiments, les rêves, demain... Parce qu’il y a toujours demain qui est là pour nous sauver... Et cette maison qu’on bâtira, et ces enfants qu’on se donnera, et ces jours et ces nuits à se côtoyer en s’aimant... Ça n’a plus aucun poids dans la balance le jour où tout à coup la chaleur nous monte à la tête et fait rejaillir à la surface ce qu’on voulait croire sans importance...
Il n’était pas question que je m’envole à nouveau. Je refusais de battre des ailes. Battre des ailes aurait signifié que tout avait été inutile, que ma décision d’en finir ne valait rien, que c’était une rébellion d’enfant gâté, un simple appel à l’aide. Recommencer à voler aurait signifié que le choc contre la vitre était un accident et non l’aboutissement d’une décision.
J’ai laissé mes ailes s’atrophier, mais mon cœur battait comme si j’avais eu envie de vivre. J’ai cessé de m’alimenter, mais mon cœur battait toujours. Je levais parfois la tête et rencontrais le regard de Lisbeth.
Elle m’a dit qu’elle m’aimait, que je lui manquais, mais que je ne devais pas fuir ce qui m’était arrivé. Je ne la mérite pas. Je n’ai jamais mérité les femmes qui m’ont aimé. Je suis ce qu’on appelle un homme chanceux.
J’avais toujours aussi soif, même après avoir vidé la bouteille d’eau. Je me suis levé. Je ne supportais plus de rester immobile. Je suis allé marcher dans le village. Je suis allé vers les gens. J’ai posé n’importe quelle question. Ils m’ont regardé avec méfiance. Tout ce que je voulais – tout ce que je veux –, c’est qu’on me parle, qu’on me prouve que je suis toujours vivant.