L'adepte de littérature fantastique que je suis ne pouvais que fréquenter régulièrement les écrits de
Lauric Guillaud. Ce dernier en effet, professeur émérite de littérature et de civilisation américaines à l'Université d'Angers, a commis nombre d'articles sur l'imaginaire anglo-saxon . Ses principaux ouvrages incluent Des mines du roi Salomon à la quête du Graal,
La Terreur et le sacré : la nuit gothique américaine,
Jules Verne face au rêve américain, King Kong, ou la revanche des mondes perdus, Nouveau Monde, autopsie d'un mythe (Ed. Michel Houdiard), L'Atlantide de A à Z (Ed. E-dite, 2001, en collaboration avec
Jean-Pierre Deloux) et
le retour des morts (Rouge Profond). Une production foisonnante qui, pour érudite qu'elle soit, sait rester claire et inviter le lecteur à découvrir par
lui-même les oeuvres originales. J'en ai régulièrement fait les frais !
Et puis, il n'y a pas de hasard dans la vie, nous nous rencontrâmes à l'occasion de la réunion d'une société savante à laquelle nous participions tous les deux. Et nous avions tellement de choses à partager qu'une foultitude de projets se mirent à fuser. Nous étions en juin 2014 et dès le mois d'août 2015, nous co-organisions un colloque à Rennes-le-Château sur Imaginaire et Maçonnerie tout en affûtant nos crayons pour un projet éditorial commun. Cela donnera en mars 2016 le Polar Ésotérique (L'Oeil du Sphinx), ouvrage qui fera l'objet d'un colloque, toujours à Rennes-le-Château, en août 2016.
Lauric Guillaud est un personnage sympathique et affable dont la grande culture se dissimule souvent derrière une guitare aux accents du rhythm'n'blues et une bonne table, deux instruments d'une convivialité nécessaire à la pratique du gay-sçavoir qu'il affectionne. Dans les multiples cordes propres à son arc, il en est une qui résonne particulièrement entre nous : celle du mystère qui se cache derrière l'immense talent de l'écrivain américain
H.P. Lovecraft. Un sujet qu'il vient de prendre à bras le corps, d'abord par une contribution remarquée dans le numéro d'avril 2016 de la
Revue Europe » : «
H.P. Lovecraft et l'Imaginaire Américain : le passé et sa camisole d'acier rouillé ». Il y montre le poids de l'Amérique traditionnelle dans sa fiction, avec son anglophilie, son attachement aux traditions de la noblesse, le rejet du progrès et le sens de la hiérarchie. Mais il insiste aussi sur un continent marqué par le puritanisme et dont le paysage rural ou urbain continue de receler les terreurs de la wilderness mythique. Avec le présent ouvrage, il franchit un pas supplémentaire en allant traquer ce que sont les généalogies littéraires de
Lovecraft, nous faisant plonger pour notre plus grand plaisir dans les univers des civilisations disparues, des continents perdus, de la terre creuse, des mystères des pôles et ceux de l'archéologie alternative. Ses principales accroches seront
Dans l'Abîme du Temps et Les
Montagnes de la Folie, les deux textes les plus aboutis de l'Ermite de Providence.
On ne trouvera certainement jamais la clef du génie de l'écrivain américain. Mais en lisant l'étude de
Lauric Guillaud, je ne peux m'empêcher de penser à la démarche du réalisme fantastique introduite par Pauwels et Bergier. Car
Lovecraft, en pur matérialiste qu'il était, nous propose une démarche réaliste, presque scientifique, jusqu'au moment où tout bascule. Non pas pour des raisons surnaturelles, mais parce qu'en l'état actuel de nos connaissances, le phénomène étudié demeure incompréhensible. Et c'est là, et seulement là, que le fantastique apparaît, avec sa couleur terrifiante qui n'est rien d'autre que celle de l'impossible.
Jacques Bergier écrivait dans le courrier des lecteurs de
Weird Tales (septembre 1937), à l'occasion du décès de l'auteur : je me surprends à penser que peut être
Lovecraft a pu jeter un coup d'oeil, par-delà d'impensables abysses, sur des faits concernant la structure de notre univers que la science découvrira un jour. Il est vrai que le réalisme fantastique est un produit du fortéanisme, discipline que son ami
Donald Wandreilui avait fait découvrir avec
le Livre des Damnés de
Charles Fort (1919).
La quête de
Lauric Guillaud est audacieuse, et sa conclusion, faisant appel aux intuitions du philosophe
Jean-Charles Pichon (1920-2006), interpellera plus d'un lecteur. La cosmogonie lovecraftienne n'est-elle pas une « Machine », à savoir un ensemble auto-explicatif en perpétuel mouvement du fait de ses adjonctions permanentes, mais avec une curieuse tendance à revenir toujours à son point de départ ? Et cette attente du retour des Grands Anciens ne revoie-t-elle pas à cette inquiétante phase de l'histoire, celle de « la Forme Vide », où les Anciens dieux ont disparu faute de disciples, alors que les nouveaux ne sont pas encore apparus (où n'ont pas encore été reconnus) ? A l'instar des divinités païennes, les Grands Anciens subsistent à l'état d'une mince égrégore qui ne demande qu'à…..
Philippe Marlin, octobre 2016