Citations sur La Faim (103)
Fallait-il toujours m’estimer trop chic pour accepter ceci ou cela, secouer la tête avec arrogance et dire : Non, merci ! Je voyais maintenant où cela menait ; je me retrouvais sur le pavé. Même alors que j’avais la meilleure occasion de le faire, je ne conservais pas mon bon gîte chaud ; l’orgueil me prenait, je bondissais au premier mot, je montais sur mes grands chevaux, je payais dix couronnes à droite et à gauche et je m’en allais…
Est-ce que cela avait un sens, est-ce que c‘était selon l’ordre et la mesure ? J’avais tiré sur le collier, je m’étais échiné jour et nuit, comme une haridelle à traîner un pasteur, j’avais étudié à m’en faire sortir les yeux du crâne, j’avais jeûné à m’en faire sortir la raison du cerveau. Que diable avais-je en retour ? Même les filles des rues priaient Dieu de leur épargner ma vue. Mais maintenant c’était fini… Comprends-tu ?... fini. Quand le diable y serait, il fallait en finir !...
Mes nerfs se mirent à vibrer comme s’ils résonnaient à l’unisson et un instant après, je tombai à la renverse sur le banc, gémissant et fredonnant l’air de Weber. Que n’inventeraient vos sensations quand on a faim ! Je me sens absorbé par cette musique, dissous, devenu musique, je ruisselle et je me sens très distinctement ruisseler, planant très haut au-dessus des montagnes, dansant dans des zones lumineuses.
Depuis ce jour de mai où avaient commencé mes tribulations, je pouvais constater une faiblesse qui s’accentuait peu à peu ; j’étais devenu en quelque sorte trop las pour me conduire et me diriger où je voulais ; un essaim de petites bêtes malfaisantes avaient pénétré dans mon être intime et l’avaient évidé. Etait-ce l’intention arrêtée de Dieu de me détruire complètement ?
Cette chambre vide dont le plancher ondulait à chaque pas que j’y faisais était pareille à un lugubre cercueil disjoint. Il n’y avait pas de serrure convenable à la porte et pas de poêle dans la chambre ; j’avais coutume de coucher la nuit sur mes chaussettes pour les avoir à peu près sèches le lendemain matin.
Et il me mit au travail....
Dans le fjord je me redressai un moment,moite de fièvre et d'épuisement, je regardai du côté de la terre et dis adieu pour cette fois à la ville ,ce Christiana où brillaient avec tant d'éclat ,les fenêtres de toutes ces demeures--tous ces foyers.( Page 285).
Des taches de putréfaction commençaient à apparaître dans mon être intime, des moisissures noirâtres qui s'étendaient de plus en plus. Et du haut du ciel Dieu me suivait d'un œil attentif et veillait à ce que ma déchéance s'accomplit selon toutes les règles de l'art, lentement et sûrement, sans rompre la cadence.
Conscience, dis-tu? Pas d'enfantillages ; tu es trop pauvre pour entretenir une conscience.
Tout en marchant je la regarde et je deviens de plus en plus vaillant ; elle m’encourage et m’attire à soi par chacune de ses paroles. J’oublie pour un moment ma pauvreté, ma bassesse, toute ma lamentable existence, je sens mon sang courir, chaud, par mon corps, comme autrefois, avant ma déchéance
L'obscurité régnait autour de moi, tout était tranquille, tout. Mais dans les hauteurs bruissait le chant éternel de l'atmosphère, ce bourdonnement lointain, sans modulation, qui jamais ne se tait. Je prêtai si longtemps l'oreille à ce murmure sans fin, ce murmure morbide, qu'il commença à me troubler. C'étaient certainement les symphonies des mondes tournant dans l'espace au-dessus de moi, les étoiles qui entonnaient un hymne...