Je fus une petite fille, puis je ne le fus plus
Je fus une "bascha posh", puis je ne le fus plus
Je fus la fille de mes parents, puis je ne le fus plus.
Je fus une mère, puis je ne le fus plus
Dès que je m'adaptais à une situation, elle changeait. Je changeais.
Le dernier changement fut le pire.
Mon père veut nous marier de force.
Un frisson d'effroi parcourut ma colonne à cette idée. Je compris ce que ma mère savait déjà. Les hommes pouvaient faire ce qu'ils voulaient des femmes.
- Tu verras plus tard. Chaque petit effort porte ses fruits. Regarde-moi. j'ai la chance de savoir lire. C'est une bougie dans une pièce sombre. Ce que j'ignore, je peux le découvrir par moi-même. Il est plus facile de duper quelqu'un qui n'a pas cette autonomie.
- Bah. Le dos du bébé hérisson est comme du velours pour sa mère lorsqu'elle le frotte.
Je ne pouvais m'imaginer Parwin mariée, pas plus que je ne pouvais nous imaginer mariées, mes autres soeurs et moi. Je m'endormis après cela. Je rêvai de filles sous des voiles verts, des centaines de jeunes filles, gravissant la montagne vers le nord de la ville. Un courant émeraude glissant vers le sommet, où, une par une, elles tombaient de l'autre côté, les bras ouverts comme des ailes mais n'ayant jamais appris à voler.
- Ta mère va s'en sortir , dit Khala Shaima devant mon expression sceptique. L'esprit humain...Tu sais ce qu'on dit de l'esprit humain ? Il est plus dur qu'une pierre et plus délicat qu'un pétale de fleur.
- Si tu le dis.
- Ta mère se protège. Elle protège son esprit, rend le délicat pétale aussi solide qu'une pierre à l'aide de la drogue que ton père apporte à la maison, car c'est le seul moyen qu'elle connaisse pour survivre.
La vie est difficile ici-bas. Nous perdons nos pères, nos frères, nos mères, nos oiseaux chanteurs, et des fragments de nous-mêmes. Les fouets s'abattent sur les innocents, les honneurs vont aux coupables, et il y a trop de solitude. Je serai idiote de prier pour que mes enfants échappent à tout cela. Trop demander peut faire empirer les choses. Mais je peux prier pour de petites choses, comme les champs fertiles, l'amour d'une mère, le sourire d'un enfant - une vie plus douce qu'amère.
Le hakim lâcha un long soupir et fit claquer sa langue.
- Petite, tu ne connais rien à la tradition, dit-il.
Puis il déchira l'acte en morceaux.
- Crois-tu sincèrement qu'ils m'auraient écoutée ?
- Tu es leur mère.
- C'est bien tout ce que je suis, dit Madar-jan d'une voix triste.
Shekiba naquit au début du XXè siècle, dans un Afghanistan convoité par la Russie et l'Angleterre, qui promirent l'une et l'autre de protéger le pays qu'elles venaient d'envahir, tel un pédophile prétendant aimer sa victime.