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Critique de dourvach


Peinture miniaturiste de personnages humbles, passant toujours "à côté de l'Histoire"... Science des profondeurs appliquée à cette humanité ordinaire... Amour du "petit détail (poétique) vrai" - pour tout ce qui pourra "exprimer" le plus finement chacun des êtres humains ici dépeints... Sens instinctif du lyrisme (lyre discrète mais jouant toujours juste)... Plaisir communicatif du conteur, fier de partager ses humbles découvertes... Maîtrise de la forme romanesque... Nathaniel HAWTHORNE (1804-1864) est décidément tout cela. Et plus encore...

La lecture enthousiaste des vingt-et-un chapitres de son second roman de 1851, "The House of the Seven Gables" nous a fait resonger, à la fois, à la science orale du conteur funambule anatolien Yachar KEMAL (1923- 2015) et à l'Animal liégeois Georges SIMENON (1903-1989) à la prodigalité infinie, prisonnier du même défi éthique (qu'il appliqua, lui, à s'intéresser sans cesse à cette "tragédie de l'Homme nu" tout ce qu'il y a de plus ordinaire)...

Comme si nous passions aussi par "l'Ecole" (très humble) où nous serait enseigné l'art d' "apprendre à regarder" - celle de Julien GRACQ (1910-2007) pour la littérature (Cf. "Les eaux étroites", "Un balcon en forêt", "La forme d'une ville", "Carnets du Grand Chemin") ou de Nuri Bilge CEYLAN (né en 1959) pour son cinématographe captant - patiemment - les mêmes profondeurs humaines (Cf. "Kasaba", "Nuages de mai", "Uzak", "Les Trois Singes", "Les Climats", "Il était une fois en Anatolie", "Winter Sleep", "Le poirier sauvage").

Alors non, décidément non ! il n'est pas d' "écriture désuète" - chez Hawthorne encore moins que chez tout autre artiste bâtisseur d'un monde personnel, inventeur de "sa" propre langue ("désuète" : cela me f...tra toujours en pétard de surprendre ce genre d' "argument" navrant et injuste, tragiquement et abyssalement bébête... ).

Juste le respect et la connaissance intime de chaque personnage.

On part de la sombre "Dynastie" de ce damné Colonel Pyncheon (l'aïeul filou, drapé dans ses bondieuseries puritaines : dans une main le glaive, dans l'autre sa foutue "Bible") - et l'on traverse les siècles pour faire connaissance avec une Galerie de Personnages : telle Hepzibah, cette touchante "vieille fille" (contrainte de travailler, malgré toutes ses "lettres de noblesse" - eh oui, quand la misère finit par vous menacer, que faire d'autre ?) et que le mois de Novembre symbolisera (son contrepoint presque parfait se retrouvera dans "La fenêtre des Rouet" de Simenon).... ou bien sa jeune cousine Phoebé s'invitant dans le récit (rayon de soleil inattendu sur le Jardin délaissé et la "Boutique de cannelle" à réveiller...), être que le mois de mai symbolisera... l'oncle Venner (sympathique marginal "donneur de conseils")... ou bien ce timide et bien poli Monsieur Holgrave (photographe locataire, réalisateur de daguerréotypes)... ou l'hypocrite cousin Jaffrey (foutu Juge, délivreur automatique de jugements dépréciatifs)... et jusqu'à ce "petit bouffeur de Jim Crow en pain d'épices" (véritable cannibale en culottes courtes, assidu visiteur de la Boutique)... le cousin Clifford, de retour après un long voyage (et l'on repense au retour du fantomatique mari de la femme dérangée des "Autres" d'Alejandro AMENABAR, recraché par le Royaume des Morts... ) ... mais aussi ces fantômes - presque réels, eux - du colonel Maudit (par le vieux Maule qu'il avait dépossédé de son terrain et de sa source) et d'Alice Pyncheon (au clavecin fermé qui joue seul la nuit et au Jardin secret sur le toit de chaume aux Sept Pignons).

Tout le roman fourmille ainsi de personnages humbles, savoureux dans leurs étrangetés et profondément "vrais"... jusqu'à la découverte de l'incroyable duplicité du très patricien Juge Pyncheon, véritable chef d'oeuvre humanoïde fait de bien ordinaire crapulerie hypocrite puritaine (double pléonasme) et très digne "successeur" du Colonel Pyncheon en matière de bassesses d'âme et de matérialisme criminel.

Le chapitre de la vie secrète des premières heures de rigidification puis lente décomposition du cadavre du Juge "cloué dans son fauteuil de chêne" (chapitre XVIII ironiquement intitulé : "Le Gouverneur Pyncheon") est un modèle du genre... On y relate tout ce que cet homme transformé en statue cadavérique "loupera" du fait de ce petit contretemps créé par ce regrettable passage de l'existence à un décès fort "invalidant" : la perte du poste de Gouverneur du Massachussets est évidemment le plus gros inconvénient de sa nouvelle (et définitive) position dans la société... sans parler de la mouche attirée par l'odeur et venant se poser sur l'aile de son nez puis sa cornée.

L'organisation en chapitres dûment titrés "à l'Ancienne" est charmante (avec ses titres tendrement ou férocement ironiques) :

I. - La dynastie Pyncheon
II. - La petite vitrine
III. - le premier client
IV. - Une journée derrière le comptoir
V. - Mai et novembre
VI. - La source de Maule
VII. - L'hôte
VIII. - L'héritier Pyncheon
IX. - Clifford et Phoebé
X. - le jardin Pyncheon
XI. - La fenêtre en ogive
XII. - le photographe
XIII. - Alice Pyncheon
XIV. - Phobé s'en va
XV. - Sourires et grimaces
XVI. - La chambre de Clifford
XVII. - L'envol des deux hiboux
XVIII. - le gouverneur Pyncheon
XIX. - Les bouquets d'Alice
XX. - La fleur d'Eden
XXI. - le départ

On se souviendra longtemps des accents désolés du clavecin de la belle Alice Pyncheon (autre "sacrifiée" au destin tragique !) jouant seul sous les boiseries vermoulues de la Maison que la mousse envahit...

On regrettera évidemment la fin très conventionnelle (qui était bien faite pour complaire à Sophie Peabody, l'épouse d'un auteur très amoureux) : la jeune Phoebé - à laquelle la future "Mrs Hawthorne" (Sophia Peabody) servit de modèle - enfin séduite, au chapitre XX : "La fleur d'Eden", par les agissements du très anti-conventionnel artiste Holgrave "aux daguerréotypes d'Outre-tombe" (porte-parole de l'auteur ?), tous deux s'avouant ENFIN leur amour réciproque. Etrangement, le couple invitera "Cousine Hepzibah" et son frère Clifford (l'ancien proscrit accusé à tort et rétabli dans son honneur) mais aussi l'Oncle Venner, sympathique quasi-mendiant pousseur de brouettes - pour quitter l'infâme Maison aux Sept Pignons et partir tous vivre "en communauté" (de vies juxtaposées) dans la Maison de campagne de leur ancien "bourreau" et rapace latifundiaire.

Utopie communautaire réjouissante, au final, qui annonce discrètement le thème de "The Blithedale Romance" / "Valjoie" qui sera publié l'année suivante en 1852]

Alors ? Plaisir d'adjoindre ce minuscule avis à ceux (déjà enthousiastes et/ou intrigués) de Fanny, Béatrice, Ladyoga et Icath ...

Ce livre (Garnier-Flammarion poche, excellemment traduit par Claude Imbert) vous coûtera 7 € : autant dire une petite fortune ! :-)
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