C'était une nuit suffocante, tellement suffocante que la ville exhalait une vapeur, une sorte de condensation qui s'élevait jusqu'au dessus des grattes-ciel et brouillait le crépuscule rougeâtre.
C'est incroyable, la capacité qu'a le temps de se réduire à rien, comme un accordéon.
Je ne suis pas particulièrement douée pour lire les pensées des autres, mais je sais qu'on peut repérer la tragédie, la vraie tragédie, quand elle se cache sous la surface d'un regard.
A l’époque, le kasutori était le seul substitut au saké qu’on pût trouver à Tokyo.
Le troisième verre, paraît-il, rendait aveugle, mais quelle importance ? A quoi bon s’en inquiéter quand tout le monde mourait ?
Ce ne fut qu'après que le serveur fut revenu vec un plateau portant deux tasses opaques, une carafe de saké, un liasse de papier blanc épais et trois petits bols pleins de riz et de sel, que le "chimpira" commença à se détendre. Un poisson entier reposait dans un plat, scrutant le plafond de son oeil chaviré. Le chimpira contempla un à un tous les accessoires rituel du sakazuki.
C''etait une bonne nouvelle. Fuyuki lui souhaitait la bienvenue dans son clan. Peu après le début du rituel - écailles de poisson grattées dans le saké, sel pincé en petites pyramides, serments prononcés par Fuyuki et le chimpira -, je me rendis compte que toutes les personnes présentes dans la salle le suivaient avec une extrême attenton.
Notre avenir est notre passé, et notre passé est notre avenir
On n'a pas besoin de comprendre ce qu'est l'amour pour avoir envie de le faire. C'est ce que démontrent les abeilles et les oiseaux. J'étais la pire combinaison possible, ignorant tout des tenants et aboutissants de la chose et aussi fascinée qu'on puisse l'être. Pas étonnant, peut-être que je me sois attirée des ennuis.
Peut-être qu'on ne fait vraiment attention à ceux qui ont des égards pour vous qu'une fois qu'ils ne sont plus là. (p.396)
- Donc, vous aussi, vous êtes de ceux qui n’arrivent pas à pardonner.
Etonnée, je me retournai, cherchai son regard.
- Pardonner ?
- Au Japon. Ce qu’il a fait.
Les propos d’un historien de l’émigration chinoise en Amérique que j’avais étudié l’université me revinrent à l’esprit : « La brutalité des Japonais a dépassé l’imagination. Ils ont élevé la cruauté au rang d’un art. S’ils présentaient des excuses officielles, cela suffirait-il à ce que nous leur pardonnions ? »
- Pourquoi ? Demandai-je. Vous êtes en train de dire que vous, vous avez pardonné ?
Il acquiesça.
... Tokyo s'illuminait pour la nuit. La ville se perdait dans le lointain comme une petite galaxie. Je me l'imaginai vue de l'espace, gratte-ciel semblables à des montagnes, rues miroitantes comme les rivières de mercure de l'empereur Qin Shi Huangdi.