De la lucarne d'en face, un oeil observe Else, dans son appartement de la rue Malher donnant sur les toits de Paris, une sombre présence la frôle, une pesanteur, une puissance, le passé qui resurgit. Danseuse à l'Opéra Garnier, quitté avant l'étoile, danseuse au Tanztheater Wuppertal de
Pina Bausch, laissé après la mort de Lila – sa grand-mère, sa seule famille -, danseuse aujourd'hui à la compagnie des Kachinas, connue pour ses danses rituelles spirituelles, il lui est désormais impossible d'arpenter de ses pointes l'immense pièce inondée de lumière. La salle de danse privée aux larges baies vitrées, aménagée par Lila, est devenue un lieu impénétrable, froid et obscur.
Son corps de ballerine qui chaque jour s'élance, s'élève, s'étire, se tord, s'enroule, semble ployer maintenant sous le poids de la peur. Angoisse de la folie qui rôde. Ce même corps qui, un temps, s'était figé, changé en pierre, quand petite fille son père avait été mortellement fauché par une voiture, sous ses yeux. Un choc d'une violence extrême qui bloqua alors son corps, en catatonie, et son esprit, en amnésie. le visage du chauffard vu distinctement, ainsi qu'une silhouette sur sa gauche sont immédiatement rayés de sa mémoire Sa mère, éplorée et hystérique, la tient pour responsable, et se met à la haïr.
Lila, sa grand-mère paternelle, ancienne danseuse et professeure de danse, la prend sous son aile et lui réapprend à se mouvoir. La danse comme psychothérapie, esquive et délivrance. Ainsi, en dansant, Else tente de transcender le traumatisme de l'enfance. L'atteindre, le percer, le confondre. Danser pour se purifier, se conjurer, dénouer ses instants d'amnésie. Lever le voile sur un passé qui l'encombre.
Aujourd'hui, elle habite avec Charles son mari, dans l'appartement de sa grand-mère disparue. La vie suivait son cours jusqu'à ce jour où un oeil maléfique lui apparaît derrière la lucarne d'en face et des ombres la tourmentent. Charles, Lucas – le chorégraphe des Kachinas – et Irve d'Hastings , un ancien danseur, ami de Lila et philosophe – tentent de l'extirper de la folie qui semble s'être emparée d'elle.
Roman sur le corps dansant ; le mouvement, l'élan, le geste, la chair, le muscle, l'articulation, la force, la pesanteur, le soubresaut, l'envolée, la répétition, la chute, l'intention, la délivrance… La danse comme actes de langage. Roman sur le monde sensible de la danse dans lequel réalité, fantastique et imaginaire s'enchevêtrent, personnages de fiction et grands noms de la danse – Mary Wigman,
Pina Bausch,
Carolyn Carlson, Tero Saarinen,
Vaslav Nijinski,
Maurice Béjart entre autres – ont chacun leur place, les ballets et solos vont bien au-delà des représentations.
Une lecture exigeante mais prenante, une plongée psychologique et philosophique dans la mécanique de la danse, une atmosphère tendue, inquiétante et fascinante. Malgré une fin décevante, convenue et faible au regard de l'intensité du reste du texte,
La danse sorcière demeure un livre puissant et prégnant.
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