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EAN : 9782361837808
464 pages
Les Moutons Electriques (18/03/2022)
3.97/5   31 notes
Résumé :


Sur une planète lointaine et hostile s’est écrasée une créature titanesque.

Dans cette carcasse putréfiée, l’humanité a érigé Karkasstad, une cité industrielle où, au péril de leur vie, les ouvriers arrachent à la dépouille les substances organiques nécessaires à l’Alchimie dont les formules savantes ont supplanté la science.

Au centre de cette métropole moribonde, entre les fumerolles méphitiques et les grondements prol... >Voir plus
Que lire après Lazaret 44Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (14) Voir plus Ajouter une critique
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Des gens qui convoitent toutes les ressources d'un cadavre géant de Seiche, comme le feraient des drosophiles ou des asticots.
Cela donne une image moche de nos capacités à profiter de tout, même de l'impensable.
Et n'est-ce pas un peu logique, un peuple qui se meurt sur les restes d'un corps en décomposition ? Et qui partagent la dépouille avec des charognards et des champignons ? Une seiche géante qui baigne dans une eau noire ? Voilà, c'est un drôle de Paradis, on ne comprend pas trop pourquoi des gens s'y installent… Ah si pour les bénéfices de cette énergie, le Verrot, que libère le cadavre titanesque de cet architeuthis pourrissant sur cette planète.

Une partie de cette population, souffre d'une maladie qui s'appelle le Sanglot. Certains s'en sortent, d'autres en meurent, et les derniers mutent. On les appelle les Boursouflés. Ses Boursouflés sont enfermés dans une prison : Lazaret 44. Tandis que d'autres sont parvenus à se cacher dans les bas-fonds nauséeux de l'architeuthis.

Une lutte des classes entre les ouvriers qui souffrent et un gouvernement véreux et profiteur. Une ambiance de pourritures dans tous les sens du terme...

6 personnages très différents qui se croisent...

Et d'autres surprises putrides et peu ragoutantes…

J'ai assez rapidement pensé à Ru de Camille Leboulanger, d'autant que le thème social y est très présent également en plus de cette curieuse tendance à vivre sur un être colossal.

Beaucoup de similitude dans ses deux romans et pourtant on y verra également beaucoup de différences.
C'est un très bon roman pour ceux qui aiment le genre, mais le vocabulaire (architheutis, le mistelle, les mires, les échevins, les cruxiens, cosmoport, etc...), les noms et L Univers très futuristes m'ont égaré. Et même si je l'ai lu jusqu'au bout, j'ai peiné à lire certains passages, j'ai aimé suivre Knaagdier, Pruystinnck et Wydooghe, mais beaucoup moins les autres.
Je n'étais pas le public.

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Les fresques ambitieuses sont plutôt rares à l'heure actuelle dans la science-fiction française. C'est pourquoi la publication chez Les Moutons Électriques du dernier roman de Julien Heylbroeck a de quoi rendre curieux. Derrière ce pavé de 450 pages impeccablement illustré par Melchior Ascaride se cache non seulement un univers science-fictif dense et audacieux mais également une galerie de personnages illustrant parfaitement les racines rôlistes de son auteur, aussi féru d'histoire que de jeux de rôles dans la vraie vie. Bienvenue dans Lazaret 44, un endroit où la pourriture n'est pas qu'une simple figure de style.

Les fils de la Seiche
L'auteur de Stoner Road adopte le principe du récit choral à travers six personnages dont les points de vues se croisent et s'entrecroisent pour tisser une tapisserie narrative à la fois surprenante et familière.
En effet, si l'on pourrait penser à l'angle narratif adopté par un certain George R.R. Martin, c'est surtout par la parenté avec des oeuvres plus inattendues que Lazaret 44 trouve sa véritable voix.
Mais d'abord, intéressons-nous à l'univers proposé par Julien Heylbroeck.
Nous sommes dans un coin reculé de la galaxie, plus précisément dans le système Blemmydès, et l'on débarque avec l'un des personnages principaux du récit sur une bien étrange cité : Karkasstad.
L'originalité de celle-ci ? Être entièrement contenue dans la carcasse d'une monstrueuse bête interstellaire échouée sur une planète autrefois florissante, plus précisément ici un Architeuthis (comme le calmar géant ou, plus savoureusement, comme un certain magazine de jeux de rôles).
Alors que la dépouille du léviathan spatial n'en finit pas de pourrir (et qu'elle baigne même dans un lac noir de putréfaction appelé mistelle), les hommes ont décidé de s'y établir pour en extraire tout ce qui était possible ou imaginable. Il faut dire que Karkasstad est la seule occurrence connue d'Architeuthis ayant touché terre pour y mourir. Les autres, pourtant nombreux, flottent dans l'espace infini.
Au sein de cet univers étrange dressé par Julien Heylbroeck, de gigantesques monstres pleins de tentacules et de chitine ont surgit sans crier gare du néant avant de s'attaquer aux mondes humains…puis de mourir tout aussi subitement sans plus d'explications ! Ces deux « apocalypses » ont non seulement donné l'occasion aux hommes de développer moults cultes plus bizarres les uns que les autres (et dont celui de la Seiche Immaculée ressemble à une réécriture de la Bible par Lovecraft) mais ont aussi offert la possibilité d'exploiter de gigantesques ressources biologiques désormais en libre-service. On pense notamment au verrot, une sorte de combustible qui sert de pétrole dans l'univers de Lazaret 44 et à une myriade d'autres substances toutes plus repoussantes les unes que les autres. Cet attrait pour les ingrédients improbables a d'ailleurs une raison d'être évidente dans l'univers de Karkasstad puisque la médecine et la science telles que nous les connaissons n'existent pas ou…de façon radicalement différente. Julien Heylbroeck imagine en effet que les partisans de la méthode scientifique ont perdu et que l'alchimie s'est imposée dans tous les domaines, du soin à l'informatique en passant par le voyage intergalactique.
En lieu et place des médecins, ce sont des mires affublés de masques de peste que l'on retrouve dans les dispensaires tandis que les programmes alchiformatiques gère les artefacts technologiques des vaisseaux et des système planétaire. On trouve même des golems, des nefs spatiales animées par un feu-vivant et donc conscientes dont se servent certaines guildes pour parcourir l'espace. Pour peu, on pourrait presque croire que l'auteur essaye d'infiltrer de la fantasy dans la science-fiction !

Des Sanglots et du sang !
Sur ce background déjà particulièrement dense et malin, le français va donc venir construire un récit polyphonique qui croise à la fois l'enquête policière et récit social dans lequel la révolte gronde. Il est temps d'ailleurs de vous parler des personnages qui portent ce Lazaret 44.
D'abord, on suivra le mire Otto Knaagdier qui débarque sur Karkasstad avec le lecteur en début d'ouvrage avec pour double-objectif de retrouver un ancien amour perdu et de faire des prélèvements sur les malades du Sanglot pour le compte d'une puissante guilde, Dioscoride. Par la suite, nous faisons la connaissance de Klaas Prustinnck, un des échevins (comprendre député) de la cité-carcasse qui souhaite améliorer l'ordinaire des travailleurs des puits de chair. Parmi eux, notre troisième personnage avec Kiana Wydooghe, une entrailleuse (nom donné aux personnes qui travaillent à extraire les substances précieuses de la carcasse de l'Architeuthis dans des conditions souvent épouvantables) et bientôt meneuse d'un vent de révolte parmi les populations ouvrières honteusement exploitées par une caste dirigeante menée par un autre personnage important, Serge Othonqui, gouverneur de Karkasstad et manipulateur de première. Enfin, il reste Heïlwigr Buterdroghe, dame directrice de la guilde Dioscoride qui compte bien utiliser les informations rapportées par Knaagdier pour révolutionner le voyage interstellaire (et se faire une place au soleil), et Ueman Cocatrix, pauvre citoyen touché par la terrible épidémie qui ravage la cité et qui le pousse à fuir dans le quartier le plus sinistre de Karkastaad : Coda, la ville des Boursouflés.
Arrêtons-nous d'ailleurs quelques secondes sur ces derniers termes puisqu'il faut ajouter aussi d'emblée que l'univers inventé par Julien Heylbroeck n'est pas uniquement vérolé par des dépouilles monstrueuses surgie de nul part mais également par des épidémies à l'échelle cosmique (des « cosmodémies ») qui ravagent l'humanité. Sur Karkastaad, il s'agit du Sanglot qui transforme peu à peu les Sanglotards en Boursouflés s'ils n'en sont pas tout simplement morts auparavant. Les Boursouflés, comme leur nom l'indique, sont atteints de toutes sortes de mutations et de déformations corporelles atroces qui les transforment en monstres aux yeux du reste de la population. Il est pour coutume, lorsque l'on présente les premiers stigmates du Sanglot, de s'exiler à Coda, sorte de bidonville au pied de la cité où des légendes de cannibalisme vont bon train, ou de se livrer/d'être capturé et de finir au Lazaret 44, une sorte d'asile terrible qui ressemble davantage à un mouroir qu'à autre chose.
Ajoutons à cela un système simple mais efficace de gouvernance où chaque côte de la cité élit un député — ou échevin — qui siège au conseil et où les classes sociales se conçoivent en fonction de la position sur le cadavre de l'Architeuthis, plus vous êtes proches des cervicales et du crâne et plus vous êtes riches, à l'inverse, les habitants des lombaires et du sacrum sont les plus miséreux.
Voilà qui termine ce tour d'horizon vous permettant de comprendre la densité de l'univers imaginé par Julien Heylbroeck.

« Des hommes poussaient, une armée noire, vengeresse… »
Pourtant, aussi important soit-il, le background ne fait pas tout et il serait d'ailleurs injuste de réduire Lazaret 44 à un simple planet-opera (qui a dit carcasse-opera ?). En effet, dès le départ, l'auteur français lance deux intrigues principales : la première porte sur l'enquête menée par Otto Knaagdier autour de la terrible épidémie de Sanglot et sur son ancien amour qui a mystérieusement disparu au sein du fameux Lazaret 44, la seconde tourne elle autour de la situation politique et sociale de Karkasstaad et amène Julien Heylbroeck à nous livrer sa propre version science-fictive (et fantasque) de Germinal en remplaçant les mineurs du Nord par les Entrailleurs de la Cité.
Même si l'auteur n'a pas la même prétention littéraire qu'un certain Emile, cette touche révolutionnaire est parfaitement négociée, permettant d'explorer avec brio les enjeux qui régissent ce système de cité faussement libre où la démocratie n'est qu'une illusion. On comprend rapidement que l'une des thématiques de Lazaret 44, c'est de réfléchir sur la notion même de liberté qui nous est offerte en tant que citoyen et comment le système s'échine à nous diviser pour mieux nous garder sous contrôle (et dans la pauvreté si possible). Les arcs narratifs de Kiana et Serge seront d'ailleurs les pierres angulaires de cet affrontement qui finit forcément par dégénérer. Entre deux, l'auteur en profite toujours et encore pour étoffer son univers, lui ajouter un sport national avec le pugilat, ou le faire fourmiller de nuisibles et autres bestioles dégoûtantes (de la tique de la taille d'un chat au boskard, une saleté à pinces que vous n'avez guère envie de rencontrer dans un puits).
Ce qui réjouit d'autant plus le lecteur, c'est l'idée singulièrement originale (et secouée) de faire de l'alchimie une discipline sérieuse et crédible…du moins dans la diégèse de Lazaret 44. Il y a ce décalage constant entre des recettes et procédés complètement tirés par les cheveux et le sérieux papal avec lequel les personnages s'en servent au quotidien, que ce soit pour les remèdes de mire de Knaagdier ou les procédés de voyages spatiaux utilisés par Buterdroghe. Heylbroeck n'a pas son pareil pour jongler entre série B, série Z et science-fiction de premier ordre, alternant entre un humour souvent grotesque et un sense-of-wonder trempé dans le body-horror pur et dur.
À ce sujet, le roman a quelque chose de très organique qui ressemble presque à de la New Weird, et pas simplement parce qu'il se déroule dans une carcasse de calamar spatial élevé au rang de divinité défunte, mais aussi et surtout parce que l'épidémie du Sanglot ressemble à s'y méprendre à une version Lovecraftienne de notre bonne vieille peste bubonique. La différence principale ici, c'est que le bubon peut avoir deux têtes et des pinces de crabe géant. L'inventivité de Julien Heylbroeck renvoie parfois à un autre auteur français génial publié justement chez le même éditeur en la personne de Timothée Rey, partageant un certain goût outrancier dans l'écriture et un côté jusqu'au-boutiste qui permet de creuser toujours plus profond au sein d'un univers qui va de surprise en surprise pour le lecteur. C'est aussi, bien sûr, un hymne à la liberté des peuples, un appel à l'égalité entre les hommes et à la solidarité entre les travailleurs sans parler de jouer au-delà des apparences pour sortir par le haut de la maladie comme de la pauvreté. Sous ses allures de divertissement, Lazaret 44 a aussi beaucoup de choses à dire sur l'humain qui lui donne sa substance première.
Bien évidemment, l'entreprise n'est pas parfaite. On reprochera par moment à son auteur de délayer son récit ou encore le personnage de Heïlwigr Buterdroghe dont l'action, à l'écart des autres, reste plus ennuyeuse et moins utile au final. On pourrait aussi dire qu'un certain deus-ex machina permettant l'évasion de Knaagdier semble vraiment poussif…
Mais il ne faudrait pas oublier l'ambition rare et monstrueuse de ce roman qui passionne et qui, surtout, laisse d'immenses possibilités à son auteur pour le futur !

Récit-monstre où se mêle révolution, action et chair putréfiée, Lazaret 44 offre un univers de science-fiction dense et passionnant au lecteur. Julien Heylbroeck parvient à construire une galaxie dangereuse et impitoyable où l'alchimie prend dès les premières pages. Lazaret 44, c'est Germinal qui rencontre Perdido Street Station avec une bonne rasade de Cthulhu pour assaisonner le tout.
Lien : https://justaword.fr/lazaret..
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Karkasstad est une cité construite au coeur d'un Architheuthis, une gigantesque créature de l'espace tombée sur une planète du système solaire Blemmydès. La putréfaction de cet être céleste a formé un lac noir et a vicié l'écosystème ambiant.
Au coeur de cet immense charnier, des ouvriers creusent à longueur de journée, au profit de compagnies commerciales avides d'en exploiter les richesses en minerais, au milieu de la puanteur et des miasmes, leur maigre salaire ne leur permettant de vivre que dans des habitations insalubres et de manger rarement à leur faim.
Beaucoup d'entre eux finissent malades ou déments, ravagés par le Sanglot, une épidémie qui déforme et ronge les corps, excluant socialement les infectés. Les personnes atteintes, appelées les Boursoufflés, ont peu de chance d'échapper à la mort, d'autant plus que les contaminés sont traqués par la milice, abattus sans sommation ou transférés dans le centre de détention Lazaret 44.

Le récit ne fait pas dans la délicatesse.
L'auteur décrit de façon très gore le milieu ambiant. On évolue dans la crasse et la puanteur, sur des textures spongieuses. Bref, on vit dans les entrailles d'un cadavre et l'auteur ne cesse de nous le rappeler avec force détails.
Un côté horrifique également avec la description des effets du Sanglot sur les infectés. L'esthétique humaine n'est pas prête et nous non plus par moment. Hauts-le-coeur assurés.
L'ambiance est glauque, oppressante et nauséabonde.

L'écriture est exigeante, c'est un roman qui dépeint tout un monde sous forme de roman choral avec le point de vue de six personnages différents.
L'auteur décrit un univers futuriste avec des éléments empruntés à Lovecraft pour l'immense créature-cité en forme de poulpe et à Emile Zola, pour le côté lutte sociale. L'auteur rend d'ailleurs hommage à ces deux auteurs, ainsi qu'à China Miéville, en annexes.
Le côté lovecraftien est accentué avec l'une des religions qui fait référence à un dieu seiche.
Le récit mélange des technologies avancées (vaisseaux-spatiaux, planètes exotiques) avec un langage comprenant de nombreuses références au Moyen-Age. Ainsi, les médecins portent un masque semblable à celui qu'utilisaient leurs lointains prédécesseurs, sur Terre, lors des épidémies de peste et la narration prend parfois de vieilles tournures grammaticales. Cela donne un côté intéressant au texte.
Dans cet univers, les Baronnies ou maisons nobles et les guildes règnent sur la planète et des systèmes entiers de l'univers.
J'ai trouvé les personnages plutôt attachants. Nous suivons six protagonistes dont les points de vue vont se croiser au fil du récit.

A l'échelle de Karkasstad, les Entrailleurs (classe ouvrière) sont exploités par leurs patrons et tentent de s'organiser en syndicat et de monter des grèves. Les mouvements de grèves sont rapidement arrêtés dans la violence. Wydooghe, une ouvrière raconte les tentatives précédentes, les accidents et les mutilations subies par les Entrailleurs. Ces passages m'ont rappelé Germinal dont le titre est cité par ailleurs.
Knaadier est un mire (médecin). Son habit ressemble à celui des soigneurs de la peste au Moyen-Age, avec un masque allongé en bec. le masque est high-tech mais la référence est là. Il débarque sur Karkasstad, officiellement pour travailler sur les effets du Sanglot, mais est officieusement en relation avec la Dioscoride, l'une des guildes dirigeantes dans l'univers connu.
En parallèle nous suivons Buterdroghe depuis son vaisseau en orbite dans l'espace. Haut-gradé de la guilde de Dioscoride, elle recueille les informations fournies par le mire Knaadier.
Pruystinnck est un échevin (politique local), contaminé par le Sanglot dont il cherche à dissimuler les effets. Il tient le rôle du politique avenant qui cherche à aider les classes populaires.
Ohtonqui, au contraire, est le gouverneur de la cité et tente par tous les moyens de s'approprier un pouvoir totalitaire sur la cité. Pour parvenir à ses fins, il justifie les violences commises par la milice sur les ouvriers en cherchant à les rendre coupables de terrorisme visant à détruire l'ordre et la hiérarchie. Il est le personnage type du dictateur en puissance et son procédé d'accession aux plein-pouvoirs est bien mis en évidence par l'auteur.
Cocatrix est un jeune homme contaminé par le Sanglot. Il réussit à s'échapper de la cité et se réfugie dans un lieu secret où se sont exilées les personnes contaminées. Loin de voir la maladie comme une fatalité, ils en ont fait une religion.

L'auteur livre un récit surprenant, dans lequel l'univers high-tech côtoie les croyances les plus farfelues. Si l'univers est souvent glauque de par les descriptions du lieu et des conditions de vie, les personnages donnent un certain éclat à l'ensemble.
Un roman déconcertant et très intéressant.
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En préambule : je ne connais pas l'auteur, c'est le premier livre que je lis de lui, je l'ai acheté totalement par hasard en me fiant au 4ème de couverture. C'est donc l'avis d'un lecteur aléatoire — qui n'a peut-être pas toutes les clés en main — que je livre ici. J'espère que vous me pardonnerez mes maladresses.

Résumé : Une épidémie ravage la cité de Karkasstad. Knaagdier, médecin — ou plutôt mire, puisque le récit brasse les genres sans vergogne et mêle une médecine moyenâgeuse quelque peu fantoche à du planet-opera — est dépêché sur la ville carcasse pour enquêter sur ce mystérieux Sanglot (pas vraiment, en fait, je raccourcis…). Mais Karkasstad est en proie aux troubles, sur le point de basculer, entre les dérives autoritaires d'un gouverneur assoiffé de pouvoir et la gronde des ouvriers opprimés.

L'atout de ce roman est sans conteste son univers d'une richesse faramineuse. D'emblée, j'ai été fasciné par la malsanité presque mystique de cette ville creusée dans la chair d'une gigantesque créature divine. Les descriptions fleuves et la précision du vocabulaire sont un régal quand il s'agit de dépeindre un tableau clinique de la puanteur régnante et des conditions extrêmes de vie des pauvres hères qui s'acharnent à dépiauter la chair du monstre. La métaphore des vers grouillant sur un cadavre — quoiqu'attendue — fonctionne à merveille, elle va de pair avec l'organisation organique de la ville et son découpage des classes sociales en fonction de la géographie du squelette. Une idée brillante !

L'écriture est immersive, l'auteur ne perd jamais une occasion de ponctuer la narration d'anecdotes sur le lore, à tel point que les effluves moribonds et la chaleur étouffante de Karkasstad finit par nous prendre, nous aussi, à la gorge. Une lecture idéale en période de canicule. Karkasstad, c'est la misère, on y vit, mais on y meurt surtout, que ce soit des impitoyables conditions de travail dans les usines ou des maladies. le Sanglot revêt dans cette histoire une dimension spirituelle. En ce sens, le choix d'une médecine à rebours des technologies modernes semble parfaitement adéquat (en plus d'occasionner quelques fous rires au lecteur qui ne manquera pas de s'étonner des propriétés désinfectantes des fientes d'homme roux).

Lazaret 44 est une fresque. Une fresque grandiose et à la hauteur de ses ambitions quand on voit à quel point chaque pan de l'univers a été pensé. Elle tient solidement sur ses fondations grâce aux myriades de riches idées, de la religion aux technologies alchimiques, en passant par une organisation sociétale qui ne manque pas de clins d'oeil à la nôtre. C'est aussi ça, l'ambition de ce roman, la critique acerbe d'une société capitaliste, qu'il s'agisse des dérives autoritaires ou du soulèvement ouvrier qui réchaufferait le coeur de ce bon vieux Marx. On y parle de violences policières, de 49.3, de politiques corrompus, de racisme, d'exclusion sociale, de maltraitance animale avec ce passage glaçant dans l'usine de cuviandes qui n'a rien à envier aux BD de Mathieu Bablet. La flamme de gauchiste woke en moi se réjouit du parti pris.

Évidemment, on se doute bien que faire tenir une telle densité en moins de 500 pages est un challenge. Il aura fallu sacrifier d'autres aspects du récit. À mon sens, les victimes furent les personnages et l'intrigue.

Les personnages ne sont pas mauvais ! Pas du tout. J'ai apprécié leur diversité, leur backstory et leur vision propre de la cité. Par contre, je n'ai pas réussi à m'attacher à eux. Pour la simple et bonne raison qu'ils étaient là pour incarner une faction et un concept : le médecin étranger et enquêteur ; le politique affaibli, mais investi ; la directrice impitoyable ; l'ouvrière révoltée ; le malade fugitif et le gouverneur autoritaire et ambitieux. Ces protagonistes étant des archétypes (pas forcément clichés, mais quand même), tout ce qui relevait des émotions passait rapidement à la trappe. Heureusement que Knaagdier nous dit qu'il est là pour retrouver la femme qu'il aime, parce que j'ai eu du mal à le ressentir ! Mais peut-on reprocher à un médecin de privilégier l'analytique au sentimentalisme ?

J'ai aussi eu un problème avec les méchants. Au début, j'étais pourtant enthousiaste : « chic ! le point de vue des vilains ! Avec un peu de chance, le récit ne tombera pas dans le manichéisme… » Spoiler :



Je vais même aller plus loin : j'ai trouvé Buterdroghe dispensable. En fait, le récit aurait, pour moi, été encore meilleur si l'on était resté sur un huis clos étouffant au sein de Karkasstad. Après tout, on le dit au début : on sait quand on arrive sur Karkasstad, mais on ne sait pas si on en repart. du coup, les balades aux confins du cosmos de la directrice et les digressions sur les alchimistes cénobites m'ont un peu sorti de mon immersion.
Donc oui, j'adore les méchants, mais les voir aussi peu nuancés et avoir pris le parti trop évident des gentils m'a presque fait regretter l'accès à leur point de vue.
Peut-être que le souci résidait aussi dans le fait d'avoir trop voulu équilibrer les alternances de focalisation ?

Si le récit choral est une super idée pour présenter les différents aspects de la cité et instiller du suspens à chaque rupture, cela engendrait des longueurs forcées quand il ne se passait pas grand-chose du côté d'un personnage et, a contrario, des rushs et des ellipses vénères quand il se passait trop de choses.


Je ne doute pas que les amateurs d'action nerveuse ont su apprécier ce final intense, très cinématographique par certains aspects. En dépit de mon pinaillage, la montée en puissance du chaos dans la ville fonctionne bien et le dénouement répond à la majeure partie des questions en suspens ; donc mes attentes sont plutôt satisfaites.

En conclusion, je voulais de la SF horrifique et j'ai eu de la SF horrifique, avec quelques bonus pour la fable sociale. le mélange des genres a bien pris et, malgré quelques déceptions sur le déséquilibre entre longueurs et passages trop rapides, l'alternance des points de vue est construite avec habilité.

Remarque subsidiaire : Par contre, mon édition est truffée de coquilles. Rien de grave, l'erreur est humaine, ça ne m'a pas empêché de lire. Mais ça pique un peu quand même.
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Vous aimez Germinal ? Vous allez aimer Lazaret 44. Vous n'aimez pas Germinal ? Vous allez aimer Lazaret 44.
Ce roman est une revisite post apo à tonalité weird du roman de Zola. D'ailleurs, il se place sous son patronage, et celui de China Mieville; on sent cette double inspiration dans le roman jonché de clins d'oeil et de références aux romans des deux écrivains.

Personnellement, j'ai adoré Germinal, et j'ai adoré également la transposition qui en est faite ici dans cet univers post apo. Verrot ou charbon, même combat : nous voici ici sur le carreau de la mine, et tout dans le roman fait penser au texte de Zola. D'abord, sa reconstitution transposée d'un carreau de mine est remarquable; ensuite, l'auteur va jusqu'à réutiliser la métaphore du monstre présente chez Zola, pour là aussi la transposer et la filer dans tout son texte. Un gros travail sur la langue a été fait, rendant le tout très riche, détaillé, sensoriel.
On retrouve également la thématique des luttes sociales, au coeur du roman. Malgré tout, l'auteur ici prend de la hauteur, intégrant une alternance de focus personnages pour apporter à la situation économique et sociale plusieurs points de vue. C'est très intelligent.

Je disais que ce roman était une revisite weird : en effet, on retrouve également tous les ingrédients de ce genre. Poétique de l'horreur poussée à l'extrême, allant jusqu'au grotesque, thématiques de la contamination et de la maladie transformant les êtres en monstres difformes, avalanche d'hyperboles et de superlatifs... C'est gluant, ça pue, c'est moche, et plus on s'enfonce, plus on y va gaiment.

Toutefois, Lazaret 44 parvient à s'extirper de cette forte intertextualité pour offrir quelque chose d'original. D'abord par le biais de ces différents focus personnages alternés; outre la dynamique que cela offre, ça donne une ampleur au roman qui ne tourne pas seulement autour d'une intrigue mais de plusieurs. Evidemment, tout est lié, et c'est assez intéressant d'avancer pour voir comment tout ça s'imbrique, et comment tout cela va éclater.
Personnellement, c'est là que j'ai été le moins convaincue, tant j'appréciais la construction de cette révolte gonflante; j'attendais de voir comment cette bulle allait éclater. Or, le roman prend dans son dernier cinquième une direction pas vraiment inattendue mais différente de ce que j'espérais, pour partir sur quelque chose de plus métaphysique. Un aspect du roman auquel j'ai moins adhéré d'ailleurs - mais c'est très personnel.

Je regrette enfin pour ma part d'avoir lu la version offerte aux jurés du PLIB. Si évidemment je me réjouis d'avoir eu accès à un ebook offert - et j'en remercie la maison au passage -, je trouve dommage que cette version n'ait pas été corrigée. Car le texte n'était vraiment pas agréable à lire. J'ai un peu de mal à comprendre l'intérêt de fournir à des jurés d'un prix littéraire des épreuves non corrigées, mais peut-être quelque chose m'échappe t-il.

Dans tous les cas, c'était une lecture surprenante, que je ne regrette absolument pas tant j'ai passé un moment incroyable - la fille du Nord que je suis a eu plusieurs fois la gorge serrée, ayant eu l'impression de se retrouver à Anzin, tant le parallèle était vraisemblable... Un roman qui vaut largement le détour, pour son originalité, sa densité et son travail de reconstitution/transposition assez bluffant.
Lien : https://zoeprendlaplume.fr/j..
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critiques presse (1)
SciFiUniverse
05 juillet 2022
Ce roman est unique, son style sensuel et son univers glauque et putride. Julien Heylbroeck vous convie sur Karkasstad, une cité bâtie sur le cadavre d’un géant au beau milieu de l’espace. Dans cette ville, les habitants survivent grâce aux morceaux prélevés sur l’immense corps mais les tensions s’accumulent et une maladie génère peurs et mutations. La tension est à son comble lorsque vous débarquez en compagnie d’un médecin aux intentions multiples. Lazaret 44 est un one-shot.
Lire la critique sur le site : SciFiUniverse
Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Devant lui, alors qu'il se tenait au bout du quai, l'immense étendue d'eau épaisse et noire, agitée de bulles crevant la surface opaque, le séparait de la cité-État. Un lac de glaire fumante, le jus de l'Architeuthis. Celui-là même qui sapait le flanc du corps et faisait s'enfoncer la ville petit à petit. Et au loin, à près de deux kilomètres, la carcasse herculéenne s'érigeait en montagne, un paysage piqueté de longs fourneaux : leurs fumerolles obscures occultaient un soleil anémié dont les rayons traversaient déjà à grand peine le stratus. Une lueur glauque tombait sur le béhémoth sur lequel s'allumaient peu à peu des myriades de points lumineux tremblotants.
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Là-haut, les notables se prélassent dans le luxe et vendent le fruit de notre labeur. Ils gardent tout pour eux et nous reversent les miettes. Juste assez pour qu'on ne crève pas tout de suite.
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Même s'ils se doutaient que la période était critique, ils ne pouvaient pas imaginer que leur cité franche risquait de tomber dans l'escarcelle d'un tyran, un dictateur, au service des plus fortunés.
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Ses habitants faisaient figure de minuscules larves s'agitant vainement à la surface d'un cadavre de taille divine.
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Ils se voulaient modernes, prêts à casser les coutumes, mais n'aspiraient qu'à une chose en vérité : prendre la place des croûtons caducs qui s'agrippaient à leurs privilèges, pour bénéficier très exactement de la même position, avec l'impression de l'avoir mérité depuis toujours. C'était vieux comme les mondes.
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Videos de Julien Heylbroeck (5) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Julien Heylbroeck
À l'occasion du Festival "Hypermondes 2022" de Mérignac, Julien Heylbroeck vous présente son ouvrage "Lazaret 44" aux éditions Les Moutons électriques.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/2612572/julien-heylbroeck-lazaret-44
Note de musique : © mollat Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
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