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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
En tenue d'Ève : Féminin, pudeur et judaïsme, cela faisait déjà longtemps que je voulais découvrir ce livre de Delphine Horvilleur, rare femme rabbin en France dont la voix particulière que j'entends régulièrement dans les médias ne m'est pas indifférente. Lire ce livre était sans doute pour moi une véritable gageure tant mes convictions laïques animent mon existence, guident ma manière de regarder le monde et de me connecter avec l'autre, aussi l'esprit de curiosité l'a peut-être emporté.
Je remercie ma fidèle complice Anna (@AnnaCan) pour m'avoir accompagné dans cette lecture inspirante, cette idée nous est venue en lisant le très beau billet d'Hélène (@4bis) que je vous recommande, mais aussi après notre lecture du roman de Zeruya Shalev, Stupeur. Les récents événements en Israël ont sans doute accéléré l'envie pour nous d'aller vers cette lecture. Nos regards croisés ont été pour moi déterminants pour cheminer dans ce livre et m'aider à poser quelques ressentis ici...
Un dialogue contradictoire est-il possible entre ceux qui croient en Dieu et ceux qui n'y croient pas ? Je le pense... C'est sur l'image de la femme et du féminin que Delphine Horvilleur m'invite à ce dialogue.
À partir d'une analyse originale de la notion de pudeur et du féminin dans le judaïsme, Delphine Horvilleur nous entraîne dans une large réflexion qui englobe à la fois les textes bibliques, la liturgie juive, le Talmud et les lectures rabbiniques, l'étymologie de mots hébreux, la philosophie, la psychanalyse, mais encore la littérature, les sciences sociales, sans oublier bien sûr l'actualité. C'est un spectre vaste, - oui c'est même beaucoup me direz-vous -, pour porter un regard éclairé à partir des textes sacrés, en décrypter leurs interprétations, mieux comprendre comment les discours religieux fondamentalistes actuels viennent s'immiscer dans les moindres interstices de nos sociétés.
C'est d'ailleurs par la porte d'entrée de l'actualité que le livre de Delphine Horvilleur s'ouvre, s'appuyant sur des événements souvent récents observés dans la communauté juive d'Israël où, de manière croissante, dans une injonction à la pudeur dictée par les courants religieux les plus radicaux, les femmes sont invitées à se voiler, à se couvrir, à ne plus chanter, à se taire, à ne pouvoir s'asseoir dans certains bus que dans des endroits qui leur sont désormais imposés. Bref, à s'effacer progressivement, se cantonner dans l'intérieur d'une réclusion, leur foyer, leurs vêtements, le voilement de leur existence...
Pour décrypter ces phénomènes, Delphine Horvilleur nous convie avec grâce, intelligence, rigueur et parfois ironie, à une expérience d'exégèse stimulante qui m'a emporté au-delà de la simple sphère religieuse, c'est un regard porté sur le féminisme, donc sur notre humanité et forcément pour cela je m'en suis réjoui.
Je pense que pour un athée comme pour un agnostique, l'exégèse, - qui plus est celle des textes fondamentaux du judaïsme rabbinique, invite à un chemin non pas d'adhésion mais de compréhension, comprendre par exemple que dans la tradition talmudique faire parler un texte dans un dialogue contradictoire est une discipline élevée en valeur. Ce qui m'a marqué en effet dans le propos de Delphine Horvilleur, c'est cette richesse qui peut sortir de cet art de ne pas tomber d'accord et de cette dialectique qui en ressort, je découvre que cette culture de la divergence est ancrée dans la tradition juive et qu'elle me séduit.
C'est l'une des premières qualités que j'ai reconnues dans le propos riche et complexe de Delphine Horvilleur qui vient ici bousculer certains dogmes religieux les plus radicaux, dans sa propre religion tout d'abord, mais aussi envers ces mêmes courants des autres religions monothéistes où la place des femmes est verrouillée dans des restrictions qui leur sont imposées par la société des hommes.
Pour revenir au texte, j'ai pris le temps de cheminer dans ce livre habité de métaphores, d'allégories et de sens.
J'ai ainsi été sensible à la manière dont Delphine Horvilleur dissèque le thème de la pudeur. Elle décrit la pudeur sous la forme d'une culture de la rencontre avec l'autre. C'est parce qu'on est pudique, - pas dans l'obsession du corps recouvert mais dans une pudeur du corps véritable -, que la rencontre de l'autre devient possible comme dans une quête, quand on accepte que l'on ne voie pas tout de l'autre et qu'il ne voie pas tout de nous. Il y a alors ce voile comme un filtre entre nous et qui nous permet de nous en approcher et de ne pas s'imaginer qu'on est propriétaire de l'autre ou qu'on peut le soumettre à notre désir ou à notre vision. Quelque chose de l'autre nous échappe encore et en cela la pudeur nous aide à être dans une approche constante de l'autre. Cette distance-là est précisément ce qui permet de s'en approcher. Mais on pourrait aussi extrapoler, quitter l'image du corps pour aller vers le thème de l'intimité des esprits, cette fusion des âmes si précieuse dans l'amitié... J'y suis très attaché.
« le premier modèle biblique de la pudeur est la reconnaissance d'une altérité qui nous échappe, avec laquelle on ne fera jamais un. »
La question de la pudeur des femmes est une obsession commune à tous les intégrismes religieux, qui ont détourné de son sens originel et à leur bénéfice cette notion fondamentale. Au nom de la pudeur, on peut faire d'un texte quelque chose d'impudique et j'ai bien adoré la manière qu'a Delphine Horvilleur de renverser la table. C'est puissant.
Delphine Horvilleur évoque alors l'interprétation des textes au travers des traductions. Il est intéressant ainsi de mesurer le poids politique et idéologique des traductions dont les conséquences sont monumentales.
L'écriture mais surtout l'interprétation des textes sacrés et leurs traductions sont exclusivement masculines. Je me suis alors demandé, - mais bon sang, à quoi ressembleraient le sacré et la réalité des textes si les femmes avaient été invitées dès le début à mêler leurs voix à l'écriture et aux commentaires des hommes ? Vaste question...
D'ailleurs à propos de masculin et de féminin, j'aime beaucoup la manière dont Delphine Horvilleur joue sur ces concepts de genre, évoquant avec taquinerie le côté hermaphrodite de l'humanité, la lecture androgyne que l'on peut en faire. Voilà qui a dû hérisser le poil dru de plus d'un barbu !
« le Talmud semble concevoir que les genres ne sont pas réductibles aux sexes. le masculin définit l'être capable d'autonomie. le genre féminin devient symboliquement le référent identitaire de toute personne dans un état d'aliénation, de dépendance, physique ou statutaire, quel que soit son sexe. »
Quelle est la part du féminin dans le masculin ? le Talmud voit dans le féminin le caché, le secret, l'image du sacré inaccessible, mais dans ce cas, pourquoi réduire les femmes à cette part incongrue qui leur est assignée ? Et si être homme, c'était se souvenir d'un féminin qui est dans son origine ? Un certain discours prédominant s'est éloigné de cette Genèse-là. Est-ce à cause de cela, - cette peur du féminin en eux, non assumée, est-ce là la seule explication conduisant à cantonner les femmes dans cette dimension réduite et partagée dans toutes ces religions faites par les hommes et pour des hommes ?
Poser un voile, serait-ce alors vouloir recouvrir pudiquement un secret devenu trop visible, comme le suggère Delphine Horvilleur ?
La pensée de Delphine Horvilleur est complexe, m'a parfois perdu dans des arguments un peu nébuleux pour décrypter certaines métaphores des textes sacrés, - notamment quand elle évoque le voile ou bien encore la nudité, bien sûr au sens symbolique, même si je l'ai trouvée bien culottée d'aborder ces thèmes emplis d'images et de représentations fortes. Cependant, j'ai compris que selon la littérature talmudique le voile était à l'origine destiné, non pas à rejeter, mais à approcher l'autre.
Dans ce pas de côté, Delphine Horvilleur m'invite à étreindre des concepts originels comme le passage, l'intérieur et l'extérieur, la différence, l'altérité, - ces mêmes mots tordus et broyés par des religieux qui se sont bien arrangé avec le seul sens qu'ils ont voulu voir dans certaines métaphores bibliques, faisant de la femme un être tentateur et de la pudeur l'instrument de sa domination.
C'est en cela que j'ai trouvé ce livre riche par sa polysémie.
« Les mots sont porteurs de cette polysémie car la réalité est polysémique. »
Delphine Horvilleur nous enseigne qu'il est très dangereux de réduire un texte a un seul sens. Un texte est sacré parce qu'il continue de dire encore autre chose, longtemps après, qu'il n'est jamais fini. Conserve-t-il son côté sacré s'il a fini de dire ce qu'il avait à révéler ? Définir quelque chose, c'est aussi le finir. C'est enfermer. Comment s'autoriser à laisser les choses dans l'inaccessible, dans cet art de l'infini ? À cela, j'y ai été sensible. J'aime tant l'étonnement qu'il m'est insupportable qu'une idée soit close définitivement. Ne voyez-vous pas ici une formidable inspiration philosophique ?
J'aime lire que les idées comme le sacré, ne sont pas accessibles dans l'immédiateté.
« Pour les percevoir, il est besoin de voiles qui agissent comme des filtres et traduisent l'infini en fini pour l'humain. »
L'ironie et l'audace de Delphine Horvilleur m'ont enthousiasmé lorsqu'elle évoque l'obsession ultra-orthodoxe. « L'obsession ultra-orthodoxe de la pudeur des femmes somme ces dernières de cacher leur corps pour ne pas tenter l'homme. Mais pourquoi devrait-elle à tous prix se préserver du regard des hommes si le propre de l'homme et de la virilité est précisément la capacité à contrôler ses pulsions ? Pourquoi la femme constituerait-elle une menace pour l'homme, quand elle seule est un être incapable de se contrôler ? S'agit-il de la protéger ainsi d'elle-même, de sa propre pulsion et de son incapacité à se dominer ? S'agit-il de protéger l'homme d'une bien plus grande menace ? » Tout simplement jubilatoire...
Je continue ma lecture, à hauteur de la féminité que je porte en moi comme une force, une différence, une intuition, une manière de questionner l'autre, de s'en approcher, de l'apprivoiser, écouter, sentir le monde, être sans cesse dans le doute, l'étonnement, ne jamais savoir, être à chaque pas un peu plus proche de l'autre qui à son tour m'apprivoise...
Le féminin n'est plus depuis longtemps, d'un point de vue philosophique, considéré comme un attribut exclusif des femmes ni comme caractérisant essentiellement leur nature ou leur façon d'être au monde. Mais les représentants des grandes religions monothéistes font aujourd'hui front commun contre cette théorie philosophique des genres, confondant abusivement dans la traduction du Livre de la Genèse : masculin et féminin avec homme et femme.
Je n'ai pas attendu de lire cet essai pour être outré de la manière dont la tradition religieuse, quelle que soit d'ailleurs la religion en question, traite les femmes. Pour certains textes sacrés, la femme est purement et simplement réduite à un organe génital. Ce sont souvent les principales religions monothéistes qui sont à la manoeuvre : chrétienne, juive, musulmane. Delphine Horvilleur s'indigne d'ailleurs de la manière dont sont interprétés les textes sacrés, confondant genres et sexes. L'exemple propre au sujet du mariage pour tous en est une démonstration flagrante sur cette confusion volontaire ou non entre "masculin et féminin" et "homme et femme", lorsque le pape Benoît XVI et le Grand Rabbin de France Gilles Bernheim se sont entendu comme un seul homme pour justifier, à partir d'une interprétation à charge du Livre de la Genèse, la condamnation de cette loi, faisant la démonstration que celle-ci était impie.
Lire l'essai de Delphine Horvilleur m'a conforté dans ma conviction profonde de continuer à me tenir à distance de la sphère religieuse. Mais la lire m'a brusquement créé une joie, celle d'accueillir sans entrave cette féminité déjà existante en moi, lui donner coeur, la stimuler, ce qui ne peut qu'enrichir ma part de masculinité que je ne souhaite pour rien au monde effacer.
Comme souvent ce sont sur des versets détournés de leur sens originel que s'appuient les théologiens contemporains pour justifier une position d'ordre moral cherchant à la faire peser sur la société. En ce sens, je répugne ces religions.
Heureusement, Delphine Horvilleur incarne un courant libéral du judaïsme, certes encore minoritaire en France.
Je suis convaincu que sa voix est importante, face aux femmes qui sous l'oppression des courants les plus orthodoxes et sectaires des religions monothéistes, font de celles-ci des personnes soumises et aliénées.
Enfin, je conclurai ce billet en me demandant si parfois je suis légitime pour m'exprimer sur la cause des femmes ployées sous le joug de leurs religions, porter un jugement sur le voilement. En tant qu'homme suis-je autorisé à cela ? Parfois, il m'est arrivé d'entendre des femmes, - des femmes musulmanes notamment, affirmer leur position consentante et assumée vis-à-vis du voile qu'elles portent et de me demander alors qu'elle était la part de liberté dans leur expression.
Depuis ma lecture du livre de Delphine Horvilleur, depuis cette rencontre avec ce texte intelligent, audacieux, inspirant, je sais qu'en tant qu'homme je ne puis rien affirmer à ce sujet, mais dans ma démarche profane et dans la part de féminité que je porte, je dois continuer à me saisir de cet art de questionner, de débattre, de continuer de cheminer, sans jamais rien savoir de définitif ni de clos...

« Ne demande jamais ton chemin à quelqu'un qui le connaît, car tu ne pourrais pas t'égarer ! » - Nahman de Bratslav
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Le 16 décembre 2011, à Jérusalem, Tanya Rosenblit, 28 ans, monte dans un bus de la ligne dite « casher ». Elle s'assoit derrière le chauffeur pour que celui-ci lui indique l'arrêt où elle doit descendre. Un homme lui demande de s'installer au fond, dans les places attribuées aux femmes. Tanya refuse d'obtempérer.

Dans certains quartiers ultra-orthodoxes d'Israël on voit des pancartes :
« FEMME : NE T'ATTARDE PAS ICI, CHANGE DE TROTTOIR ! »

Les communautés ultra-orthodoxes demandent à ce qu'il n'y ait pas de visages de femmes sur les affiches publicitaires.

Cet ostracisme n'est pas le fait du gouvernement, ni de la majorité des israéliens, mais il pose question.

Aussi bien le judaïsme, que le catholicisme, que l'islam sont taxées de religions misogynes.

Pour Delphine Horvilleur, une religion ne devrait pas être un ensemble figé mais un ensemble vivant qui se transforme au fil des générations. Elle dénonce cet état de fait :

« le mot « religion » est souvent devenu synonyme de pensée magique ou de dogme puéril. Il rime avec soumission inconditionnelle, obscurantisme et irrationnalité ».

Surtout que nous n'avons pas accès à la Bible originelle, juste à des traductions, qui sont des traductions interprétées pour servir à des fins de domination.

« L'hébreu est une langue construite autour de racines qui se déclinent en une multitude de signifiants. Par simple ajout de voyelles, de suffixes ou de préfixes, trois lettres donnent naissance à autant de mots liés par un sens qui n'est pas toujours obvie*.
[…]
Dans la Bible, l'écriture n'est que consonantique. C'est au lecteur d'y placer à la fois la ponctuation et les voyelles ». (p.36)
*obvie = évident

Dans la Genèse se juxtaposent deux récits apparemment contradictoires de l'apparition de l'humanité :
« Dieu créa l'homme à son image […] masculin et féminin il les créa » (Genèse 1 :27)
« Puis, de la côte qu'il avait tirée de l'homme, Yahvé Dieu façonna une femme » (Genèse 2 :22)

La première version rejoint le mythe platonicien de l'origine des sexes ("Le Banquet"). Au départ, il y aurait eu un être androgyne ou bisexué que Zeus aurait coupé en deux. « le phénomène amoureux », selon Platon, serait « la quête désespérée de l'autre moitié ». (p.54)

De plus, Delphine Horvilleur suggère qu'Ève n'est pas issue d'une côte d'Adam mais est à côté d'Adam.

Selon une légende rabbinique des premiers siècles, Ève n'est pas la première femme de l'humanité, mais Lilith « féministe revendicatrice avant l'heure ». Son insoumission lui vaut d'être expulsée de la Genèse. Delphine Horvilleur nous raconte la dispute du couple originel :

« Lilith quitta Adam parce qu'elle n'avait pas envie de se coucher sous lui lors des rapports conjugaux : elle se sentait son égale ». (p.52)

Cette « tenue d'Ève » ne signifie pas simplement se couvrir les parties intimes, ou comme préconisé dans le judaïsme, cacher ses cheveux, elle s'étend aussi à la voix qui doit être muselée, une femme ne doit pas chanter pendant les offices religieux. La femme se doit d'être modeste, effacée, de ne pas déranger l'homme pendant qu'il étudie la Torah.

Delphine Horvilleur est la preuve par l'exemple que nous pouvons faire évoluer cette misogynie primitive. Elle a dû se battre pour devenir rabbin. Elle milite pour un judaïsme oecuménique et évolutif.Voici les mots de la fin (postface du 24 octobre 2017):

« Voilà pourquoi je suis non pas féministe juive mais féministe « et » juive. Parce que je crois que mon engagement féministe saura enrichir cette lecture juive des textes qui fonde mon identité religieuse. Rien n'est plus impudique que de déshabiller un texte des sens qu'il pourrait encore avoir ».

Je vous livre ma version simpliste d'En tenue d'Ève : féminin, pudeur et judaïsme, qui ne rend pas honneur à la richesse et la qualité de cet essai. Pour aller plus loin, je vous invite à faire votre lecture ou, au moins, à consulter les critiques de @annacan, @4bis, @berni_29 et @oiseaulire qui sont très intéressantes et complémentaires à la mienne.

C'est ma deuxième rencontre avec Delphine Horvilleur. J'ai préféré Vivre avec nos morts parce c'est un recueil de ses expériences en tant que femme rabbin, et c'est plus facile d'accès.
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« Le monde ne se maintient que grâce au souffle des enfants qui étudient »( Talmud).
Elle est humaine, elle est rabbin du mouvement juif libéral de France, elle est rédactrice, elle est auteure. Elle étudie. Elle pense, écoute, interroge, transmet. Elle nous apprend. Elle nous apprend à penser plus haut, à ne rien figer, à croire au possible qui réside en nous. Nous les humains. Car le féminin n'appartient pas qu'aux femmes, mais à l'humanité. Nous sommes féminin et masculin. Et depuis des millénaires nous vivons dans un monde de scission, alors que le langage, la vie, la pensée ne peuvent exister sans combinaison, fusion, fécondation. Comprendre le féminin en chacun et chacune d'entre nous est une prise de risque. C'est prendre le risque de la reconnaissance d'une altérité, d'une rencontre, d'une formulation d'un soi qui englobe la totalité des potentialités humaines. Accepter la fusion, l'échange, la rencontre, c'est accepter l'ouverture, la faille, c'est accepter de faire entrer l'autre en soi, et plus largement le monde.
C'est prendre le risque de l'accueil, le risque de la perméabilité, de la perte, de l'écoulement, du déchirement, c'est prendre le risque de la perte d'une intégrité illusoire.
Sinon pourquoi cette scission, cette peur, pourquoi ces damnations, ces lapidations, ces relégations, cette violence, ces bûchers, cet obscurantisme, pourquoi maintenir dans le monde cette peur du regard , de la parole, du corps constitué des femmes ? Pourquoi cacher , dissimuler ? Pour ensevelir, étouffer, réduire, ou bien alors justement pour radicalement tout sexuer ?
« Chaque femme, réduite au statut d'être sans visage, c'est à dire sans individualité, n'a plus à exprimer que sa nature sexuée ». « Femme sans visage et homme sans paupière à trop vouloir protéger les corps, on ampute symboliquement celui des deux sexes »
La pudeur se voudrait être allouée à la femme. Modeste, discrète, pudique… mai qu'est ce donc que ce féminin, que devrait être cette tenue d'Eve, qu'est que cette pudeur  qui conviendrait de lui imposer ? L'auteure dénonce les fausses pudeurs, les fausses postures, les impostures. Et force est de constater qu'en France, en 2019 , ce discours irrite et dérange. Non, la rabbin Horvilleur ne peut pas officier partout. Son discours n'est pas accepté partout. Un langage d'ouverture, de sororité/ fraternité, en somme d'humanité , d'écoute, de partage, d'échanges, ne trouve malheureusement pas légitiment sa place. Oui elle dérange, car elle interroge l'ordre d'un échiquier dont beaucoup voudraient à l'avance fixer l'issue d'une partie qu'ils pensent mériter. « Il en va des hommes comme des textes. La seule lecture pudique des textes religieux est celle qui affirme qu'ils n'ont pas encore été complètement révélés, mis à nu par des lectures et des lecteurs passés. Quand l'interprétation les fige, elle les profane. Dès lors, sont-ils encore sacrés ? » « Aucune tradition religieuse n'a le monopole des lectures impudiques. Il revient à toutes de mener un travail pour sortir des interprétations obscènes dans lesquelles certains de leurs lecteurs ou de leur dirigeants s'enferment bien souvent ».
Le monde de l'arrogance génère violence et obscurantisme. La pudeur c'est à la fois l'humilité alliée au courage et à la force. Douter, questionner, apprendre, reconnaître sa faiblesse et pouvoir ainsi tout déjouer. Déjouer l'échiquier. Étudier et non réciter ou psalmodier. L'intelligence de la pudeur se trouve là. L'intelligence du féminin, du judaïsme se trouve là. Là et partout en nous, dans le monde. c'est une intelligence de la pensée qui peut fortifier et animer la laïcité.
Oui, elle dérange toutes les orthodoxies, qu'elles soient religieuses ou politiques.
Oui faire place à la femme c'est faire vire le mouvement libéral qui est en nous. Lorsque que les libertés individuelles sont menacées, la femme, le juif, l'arabe, le noir, les roms, le sans papier, le gay, le journaliste, le poète, l'artiste sont menacés. Les dictatures sont les propriétaires de toutes les fermes où l'on fait naître les boucs émissaires qui seront sacrifiés sur les autels de la stupidité, de la peur, de l'ignorance, de l'arrogance dont le grand prêtre de nomme Propriété dont le pouvoir devient le sobriquet . Ma femme, ma terre, mon droit, ma loi, mon peuple….Mon ennemi, ma haine…Ce sang impur dont on voudrait abreuver tous les sillons… Cette violence, et toutes ces guerres. Tout ça par manque de courage, tout ça par peur. La paix, la concorde, le dialogue, l'alliance demande du courage.
Nous ne savons pas tout. Et chaque jour est un perpétuel commencement. Il faut remettre en questions. A charge pour l'humanité de renouveler ses propositions, de tenter malgré tous les dangers, malgré les craintes, malgré l'inégalité des forces en présence. Parole d'émancipation, parole de libre pensée, pensée de libertés, d'altérité, et donc d'équité, d'égalité.
Oui l'écrit de la rabbin Horvilleur est un écrit libre et républicain.
Que devient l'humanité si l'on considère que tout est définitivement lu, décrypté ? Où en serait les sciences ? Quel serait notre vision du Soleil, de la lune de l'ADN ? Où en serait inhumanité si il ne nous était pas donne la possibilité de chercher, d'étudier, de comparer, d'accueillir les bienfaits d'une altérité jusqu'à lors ignorée ? Où en serait le genre humain ? Si tout était gravé dans la pierre, figé. L'humanité serait morte. Inféconde.Fine, condamnée, terminée.
«  de l'élan sexuel dépendent la création et l'engagement humain dans le monde ».
Cette humanité masculine et féminine serait morte en nous. Qu'est ce qu'un coeur coupé en deux ? qu'est qu'un corps sans tête ? qu'est qu'un D… sans humanité dans sa totalité ?
C'est une texte passionnant, riche et extrêmement intelligent.
Que vous soyez de n'importe quel genre, de n'importe quelle planète, ne n'importe quelle religion, ne n'importe quelle culture lisez ce livre. Il est riche d'enseignement, et de sagesse.
« La sacralisation du féminin est toujours un prélude élégant à sa marginalisation sociale ».
"L'émergence du féminin dans les religions ne se fera pas qu'à travers les femmes car le féminin ne leur appartient pas. Mais elle ne se fera pas non plus sans elles. Elle n'aura pas lieu tant que des voix jusqu'ici tues ne prendront pas part à la lecture, au commentaire et au débat, tant que le genre humain ne pourra pas percevoir la bénédiction d'avoir été crée homme ou femme, masculin et féminin".
Non rien ne se termine jamais, rien n'est jamais définitivement écrit. le possible reste toujours à accueillir. Personne n'est propriétaire d'une seule vérité. L'espoir naît de nous penser !

Astrid Shriqui Garain
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Une amie qui me connait bien m'a offert En tenue d'Eve. Elle sait mon intérêt pour les questions féministes, mon goût des essais et l'ouverture que je manifeste pour ce qui touche au spirituel. J'avais aimé Vivre avec nos morts sans avoir été transportée. C'est-à-dire que j'avais trouvé le livre beau, inspirant mais aussi un peu trop en surface, cherchant un peu trop à parler à tous pour ne parler qu'à moi. Ca n'en reste pas moins un ouvrage rassénérant et le fait même qu'il existe et soit lu par des milliers de personnes fait advenir dans notre réalité un rapport beaucoup plus juste à cette dimension de la vie qu'est la mort.

En tenue d'Eve m'a atteinte car j'y ai découvert, non seulement un propos fécond, mais surtout une manière de réfléchir qui m'a conquise.

En science sociale, c'est au chercheur de définir le périmètre de son étude. Il vient circonscrire dans l'infini du réel, le champ de son objet selon un angle qu'il justifie méthodologiquement et, ou idéologiquement. Aussi, lorsque, lecteur, je l'accompagne dans la relation de sa recherche, suivant son raisonnement et acceptant la partition de ce qu'il étudie, je ne peux m'empêcher de songer à ce qu'il ne traite pas. J'ai toujours au fond de moi cette édifiante histoire des savants aveugles à qui l'on demande d'étudier l'éléphant en laissant les uns à proximité de la trompe, les autres des pattes, du flanc, des défenses… Evidemment, plutôt que l'animal entier, ils n'y voient que serpent, corde, mur ou arbre. Molière y aurait dénoncé le poumon et on se dit que tout de même, il est bien dommage de ne pouvoir penser qu'en taillant le réel en facettes.

Avec l'étude talmudique, ce n'est pas le chercheur qui définit son objet puisque celui-ci lui est tout entier contenu dans la Torah et qu'il est sacré. Si l'exégèse est infinie, toujours ouverte et jamais définitive, le point de départ au moins est circonscrit. Ca change considérablement les choses. Pour peu que l'on accepte ce principe, il n'y a pas d'ailleurs à la Torah et une bonne partie de l'esprit critique se trouve allégé de cette tension.

L'autre grande différence avec la démarche scientifique profane, c'est que l'exégèse, si elle tient compte des circonstances historiques de telle ou telle interprétation, si elle analyse l'hébreu utilisé en utilisant tout son savoir de linguistique diachronique, s'appuie également sur la sensibilité et l'imagination. Pas pour faire dire n'importe quoi, encore que si c'était fructueux, ce serait peut-être acceptable, mais pour faire advenir un sens possible, tisser autour du texte le voile dense d'une interprétation qui le dessine.

Depuis les rites qui accompagnent chaque moment de la liturgie juive jusqu'aux histoires qui sont racontées dans la Torah, tout invite à tisser une multiplicité de significations. La littéralité des prières et des gestes est le fondement d'infinies interprétations qui enrobent et protègent un accès au sens qui ne saurait être trop cru. Interpréter, c'est révéler, rendre hommage, éclairer et continuer de croire que le sens ne sera jamais épuisé.

C'est là que se fait la connexion avec le thème d'En tenue d'Eve. Avec la question du masculin et du féminin. de l'homme et de la femme. du voile et des restrictions qui leur sont imposées.

Je ne résumerai pas tout ce qu'explique Delphine Hortvilleur, je vous souhaite d'aller le lire vous-même. C'est passionnant. Mais elle pose la question du voile en relation avec celle de la distinction de ce qui n'est pas le même. Elle propose, avec d'autres exégètes, une relecture de l'ivresse de Noé alors qu'il vient de toucher terre à nouveau qui met magistralement en perspective la tentation de la régression, l'interdit de l'inceste. Elle explore les questions de la limite entre soi et l'autre, la fonction de la peau et du vêtement dans cette perspective, propose une définition du traumatisme comme celle d'une déchirure de l'enveloppe extérieure. La psychanalyse n'est jamais loin de ces analyses comme un complément indispensable, comme une résonnance.

A lire rapidement ce qui précède, on pourrait vouloir croire que l'objet de ce livre est de confirmer élégamment la relégation de la femme en dehors des instances de la cité, de la cantonner dans son rôle impur, dévouée aux fonctions reproductives. Ce serait un immense contre-sens. Delphine Hortvilleur revient sur les versets qui ont pu alimenter de telles pratiques et les éclaire différemment. Sous ses yeux, le même texte se pare d'un sens autre, miroite d'un autre possible bien plus incluant pour les hommes et pour les femmes. Elle montre aussi ce que le texte sacré recèle de possibilités pour considérer autrement la définition du féminin et du masculin. Ne pas les scinder en deux ensembles forcément distincts. J'ai ainsi été enchantée par la relecture de la Genèse où la création d'Eve de « côte d'Adam » redevient « côté » après qu'un faux-sens dans la traduction du terme hébreux aura été rectifié.

A la lumière de ses réflexions, on devine tout ce qu'il y a de non viril dans le masculin de l'homme juif, tout ce qu'il peut contenir de féminin. Ainsi, pour certains exégètes, c'est parce que l'homme contient un peu de féminin en lui qu'il peut être attiré par la femme. Par ce qu'il a de commun avec elle. Et vice versa.

Beaucoup plus subtile, le tableau qui s'anime sous nos yeux gagne aussi en profondeur, en densité. On est loin des injonctions binaires, des exigences sectaires et des assignations intransigeantes. C'est une invitation à chercher. A prendre pour guide un texte et à y trouver une infinité de fructueux chemins.

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Un essai passionnant, très clair et accessible même à ceux qui ne connaîtraient rien au judaïsme. C'est de la vulgarisation, mais de la vulgarisation intelligente, qui ne prend jamais le lecteur pour un idiot et nourri sa réflexion.
Quelle est la place de la femme dans le judaïsme, à l'heure où là aussi, des fondamentalistes pointent le bout de leur nez, et essayent justement de chasser la femme de l'espace public. Appuyé sur l'étymologie, sur des siècles d'étude de textes par d'innombrables générations de rabbins, sur une très intéressante bibliographie qui donne des envies d'approfondissements, En tenue d'Eve, Féminin, pudeur et judaïsme est un coup de coeur!
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Cet essai aborde, dans le cadre du judaïsme, la question de la signification des termes tels que : homme/femme, masculin/féminin, genre, pudeur/voile, etc. tout en soutenant avec brio la thèse selon laquelle les textes fondateurs d'une religion doivent être perpétuellement relus, interprétés afin qu'ils révèlent progressivement, sans jamais pouvoir prétendre l'atteindre, une vérité destinée par nature à rester controversée.

Tout commence par les mots. La polysémie de l'écriture en hébreu participe à l'approche nuancée de l'expression d'une "vérité" par nature difficile d'abord : ainsi, trois consonnes, par simple ajout de voyelles, de préfixe ou de suffixe peuvent donner naissance à autant de concepts qui ne sont pas toujours évidents a priori.

Avec une intelligence subtile, Delphine Horvilleur nous donne à comprendre différentes facettes de la Genèse (Adam-nudité, Ève créée "à côté" d'Adam, Noé-inceste), la signification du voile, la composition mixte de chaque être humain dans lequel masculin et féminin coexistent à des degrés différents, mais non nuls. L'argumentation de Delphine Horvilleur se fonde toujours sur les textes et est souvent interrogative : elle constitue bel exemple d'honnête attitude critique. Elle cite de nombreuses références qui s'appuient sur des commentaires de commentaires plus anciens (le Talmud a été écrit entre les IIIe et VIe siècles de notre ère) mais largement postérieurs au texte "révélé" ; ainsi, tout en revendiquant le droit permanent à la contradiction, Delphine Horvilleur arrive habilement à nous convaincre de sa thèse : ce n'est pas la Torah qui est misogyne, mais la lecture que l'on en fait depuis des siècles.

Cet essai et ses propos relatifs au regard porté sur la femme dans la société s'inscrivent dans une synagogue, mais ouvrent la voie vers une transposition vers la mosquée, l'église et au-delà vers la toute la cité.

Nulle agressivité dans ces réflexions, souvent agrémentées de jeux de mots ou d'anecdotes qui détendent. Mais, en profondeur, un bel argumentaire féministe, intelligent, moderne, séduisant et non violent.
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Il s'agit d'un passionnant, pertinent et nécessaire essai sur la vision de la femme en religion. Certes, Mme Horvilleur parle depuis le Judaïsme, mais les principes qu'elle développe et relève sont tout aussi présents dans le Christianisme, et lisibles en Islam. Elle nous apprend aussi, au détour des lignes, à avoir la force de se sentir croyantes légitimes, et non de seconde zone, face aux religieux conservateurs, face aux athées, face au monde en général. Elle nous affirme dans la volonté d'être croyant et féministe, elle nous donne un surplus de courage et de textualité, une pierre sur laquelle s'appuyer. Merci.
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La religion est-elle compatible avec le féminisme, ou le fait même d'être un femme ?
Delphine Horvilleur revient sur les textes pour y relever les mentions autour de la femme, ou du féminin.
Et révèle que des années d'exégète strictement masculin ont associé femme et féminin, et enfermé les genres dans une relation de domination qui n'était pourtant pas une évidence.
Révolutionnaire !
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