Le titre, tout en jeu de mots, est une trouvaille humoristique qui combine deux mondes réunis dans cette histoire créée par Hubert à l'écriture et Zanzim au dessin.
La sirène des pompiers parle bien d'une sirène, une vraie, de celle qui écume les mers et envoûte les marins. Quant aux pompiers, rangez le camion et l'échelle, car point de soldats du feu ici mais plutôt des peintres, de ceux qui faisaient partie d'un courant artistique très à la mode au milieu du 19eme siècle, le style pompier, caractérisé par des thèmes historiques et mythologiques et par une manière de peindre très académique et pompeuse. de pompe à pompiers, il n'y avait qu'un pas franchi par les détracteurs de cette peinture conservatrice.
Mais revenons à notre petite sirène, née sur les récifs de la côte bretonne. Elle n'aime pas charmer les beaux marins pour mieux les noyer. D'ailleurs, elle ne sait pas chanter ! Sa voix est affreuse ! 'Sirène défectueuse', c'est ainsi qu'elle se décrit. Elle, c'est Paris, la ville lumière qui ne s'éteint jamais, même la nuit, qui la fait rêver. C'est décidé, elle quitte mère et soeurs pour découvrir la vie des hommes et s'intégrer à leur monde qu'elle imagine merveilleux.
Devenue par l'imagination de l'auteur muse et maîtresse d'un piètre peintre , Gustave Gélinet, notre petite sirène va être celle grâce à qui son jeune amant va accéder au succès mais au prix de sa propre liberté et son libre-arbitre.
Hubert nous libre ici un conte à la fois fantastique et historique, charmant et drôle. Qui plus est intelligent et féministe. Car notre sirène est libre et astucieuse : elle imagine un cerceau en métal, une sorte de jupe à roulettes qui lui permet de danser comme les femmes humaines ; curieuse et ouverte, elle fréquente le cercle des Refusés et se met à collectionner les toiles de ces nouveaux peintres que l'on surnomme ironiquement impressionnistes, leurs couchers de soleil sur la mer lui rappellent tellement sa Bretagne natale ; non soumise, elle est maitresse de son corps et lance à son jeune amant volage mais jaloux : " Je n'ai juste pas envie. C'est mon droit, non ? Je ne t'appartiens pas". D'ailleurs, la poursuite des aventures de cette petite sirène indépendante à travers le temps et au-delà des mers clôt le livre de façon jouissive et libertaire.
Le scénario vif et plein de péripéties est servi par un dessin expressif et une mise en pages dense. Les vignettes se succèdent avec seulement deux dessins en pleine page. Les couleurs collent à l'époque, les rouges et or des salons et le bleu de la mer et de l'aquarium sont lumineux sans être criards.
J'ai savouré page après page cette formidable bd qui navigue avec charme, drôlerie et finesse entre le fantastique et l'historique, avec des réflexions pertinentes sur l'art et la critique, ses modes, ses préjugés, son snobisme.
En très bon raconteur d'histoires, Hubert n'a pas oublié les personnages secondaires ; tous excellents ici, ils pimentent le récit : Fulmel, le prétentieux critique d'art "qui s'est auto-proclamé arbitre des élégances en ce qui concerne la peinture", Madame Gélinet, qui ne voit en son mari qu'un barbouilleur incapable de gagner sa vie et qui, la gloire venue de celui-ci, se fera vaniteusement portraiturée dans un tableau de 4 mètres sur 8 (rien que cela !), Soizic, la gentille bonne nostalgique de sa Bretagne, de ses falaises et du Raz d'Ouessant, un artiste naturaliste sans le savoir qui ne veut peindre que le quotidien banal, de vrais gens, de vrais paysages, on croise même le célèbre professeur Charcot et ses méthodes radicales.
Et que dire de la seconde partie : un faux dossier en sépia, façon vieux livret jauni par le temps, sur Gustave Gélinet, "le peintre aux sirènes" (on s'y croirait !) composé des huiles sur toiles et croquis préparatoires du "maître". On peut alors voir le talent de dessinateur de Zanzim qui parvient à changer complètement de style. Les (faux) commentaires sur l'oeuvre de Gélinet y sont infiniment drôles : "Un très bon placement !" ( le journal de la Bourse), "Peinture très morale. Toute la semaine, on peut admirer le buste et le vendredi on fait maigre et l'on se rabat sur la queue de poisson" (Le journal de la paroisse) ou encore une critique d'un certain ... A. Renoir : " La peinture est une croûte mais le modèle est charmant. Vous avez son adresse ?".
Très chouette découverte que cette bd que j'ai lue dans sa 1ere édition avec une couverture bien plus poétique que dans sa réédition toujours chez Dargaud dans l'excellente collection Poisson Pilote dédiée à la nouvelle génération d'auteurs issus de l'édition indépendante. J'avais déjà admiré la collaboration entre Hubert et Zanzim avec
Peau d'homme. Ma vie posthume, leur dernière oeuvre en commun m'attend dans ma PAL. Hubert n'est malheureusement plus de ce monde, mais je poursuis la découverte de ses productions et celles de Zanzim.