AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur L'automne du Moyen Age (63)

Depuis le temps des troubadours, une grande place dans les conversations courtoises était remplie par la casuistique de l'amour. C'était, si l'on peut dire, la curiosité et la médisance élevées au rang de littérature. La cour de Louis d'Orléans avait comme agréments des repas, non seulement « beaulx livres, dits, ballades », mais aussi « demandes gracieuses ». Celles-ci sont surtout posées aux poètes.
Une compagnie de dames et de seigneurs vient vers Machaut avec une série de « partures d'amours et de ses aventures ». Dans son Jugement d'amour, le poète avait défendu cette thèse : la dame à qui la mort enlève son amant est moins à plaindre que l'amante d'un ami infidèle.
Chaque cas est ainsi discuté d'après des normes sévères. - « Beau sire, que préféreriez-vous : ou entendre dire du bien de votre dame et n'en pas trouver en elle, ou en entendre dire du mal et n'y trouver que du bien ? » A quoi la conception très formaliste de l'honneur obligeait de répondre : «Dame, j'aroie plus chier que j'en oïsse bien dire et y trouvasse mal. »
Si une dame est trahie par son premier amant, agit-elle déloyalement en en prenant un second plus fidèle ? Un chevalier qui a perdu tout espoir de voir sa dame, sévèrement gardée par un mari jaloux, peut-il enfin se tourner vers un nouvel amour ? Si un chevalier délaisse la bien-aimée pour une dame de haut parage qui le refuse, et si, après cela, il désire rentrer dans les grâces de la première, celle-ci peut-elle honorablement le lui accorder ?
De cette casuistique, il n'y a qu'un pas vers le traitement de questions d'amour sous forme de procès, comme dans les Arrestz d'Amour de Martial d'Auvergne.
Commenter  J’apprécie          395
Dans la dureté de cœur de cette époque, il y a un élément ingénu qui nous empêche presque de la condamner. Au milieu d'une épidémie qui ravageait Paris, les ducs de Bourgogne et d'Orléans demandent l'établissement d'une cour d'amour en guise de distraction. Pendant une trêve à l'horrible massacre des Armagnacs en 1418, le peuple de Paris institue dans l'église Saint-Eustache la confrérie de Saint-André ; prêtres et laïcs portent une couronne de roses rouges ; l'église en est parfumée «comme s'il fust lavé d'eau rose ». Le peuple d'Arras célébra l'annulation des procès de sorcellerie qui avaient en 1461 infesté la ville comme une épidémie, en instituant un concours pour la représentation de « folies moralisées » : premier prix, un lis d'argent ; quatrième prix, une couple de chapons. Les victimes qui avaient péri dans les tortures étaient bien oubliées.
La vie était si violente et si contrastée qu'elle répandait l'odeur mêlée du sang et des roses. Les hommes de cette époque, géants à têtes d'enfants, oscillent entre la peur de l'enfer et les plaisirs naïfs, entre la cruauté et la tendresse. Dédain absolu des joies de ce monde, ou fol attachement aux jouissances terrestres, haine ou bonté : ils vont toujours d'un extrême à l'autre.
Peu de chose nous a été conservé du côté clair et joyeux de cette époque : il semble que l'heureuse douceur et la sérénité de l'âme du XVe siècle se soit fondue dans sa peinture ou cristallisée dans la claire pureté de sa musique. Le rire de ces générations est éteint ; son goût de la vie et sa joie insouciante ne demeurent que dans la chanson populaire et la farce. Partout, en dehors des arts, règne l'obscurité. Dans les avertissements menaçants des sermons, les soupirs et la lassitude exprimés dans la littérature, les récits monotones des chroniques et des documents, partout crie le péché et gémit la misère.
Après le moyen-âge, les péchés capitaux d'orgueil, de colère et d'avarice n'ont plus retrouvé l'insolence éhontée avec laquelle ils s'étalaient dans la vie des siècles antérieurs.
Commenter  J’apprécie          424
Le désir de gloire personnelle est considéré par Burckhardt comme la caractéristique de l'homme de la Renaissance. A l'honneur et à la gloire de classes, qui animent la vie médiévale en dehors de l'Italie, il oppose un sentiment de gloire et d'honneur humains, auquel depuis Dante, et sous l'influence des modèles antiques, aspire l'esprit italien. Il me semble que c'est ici l'un des points où Burckhardt exagère la distance qui sépare le Moyen-Age de la Renaissance, l'Europe occidentale de l'Italie. Cette soif de gloire et d'honneur, propre à l'homme de la Renaissance, est, dans son essence, l'ambition chevaleresque d'une époque antérieure ; elle est d'origine française ; c'est l'honneur de classes étendu, dépouillé du sentiment féodal et fécondé par la pensée antique. Le désir passionné d'être prisé par la postérité n'était pas plus étranger au chevalier courtois du XII°s et aux rudes capitaines du XIV°s, qu'aux beaux esprits du Quattrocento. D'après Froissart, l'accord conclu avant le combat des trente (27 mars 1351) entre messire Robert de Beaumanoir et le capitaine anglais Robert Bamborough se termina par les paroles de ce dernier : "et ainsi nous ferons en sorte qu'on en parle dans les temps à venir, en salles et en palais, sur les places publiques et autres lieux du monde entier." Chastellain, bien que complètement médiéval par l'estime en laquelle il tient l'idéal chevaleresque, n'en exprime pas moins l'esprit de la Renaissance, lorsqu'il dit :
"Honneur semont toute noble nature
D'aimer tout ce qui noble est en son estre.
Noblesse aussi y adjoint sa droiture."

p. 99
Commenter  J’apprécie          80
Egalement particulières à l'idéal courtois, également stéréotypées et théoriques sont les idées que la véritable noblesse est celle de la vertu et qu'au fond, tous les hommes sont égaux. On a parfois exagéré la signification historique de ces deux conceptions. L'idée que la vraie noblesse est celle du coeur a été considérée comme un triomphe de la Renaissance : on a cité à ce propos la pensée exprimée par le Pogge dans son De Nobilitate. On aime à reconnaître le premier signe d'égalitarisme dans la phrase révolutionnaire de John Ball : "Quand Adam bêchait et qu'Eve filait, qui donc était gentilhomme ?" Et l'on croit que la noblesse devait trembler.

Ces deux concepts étaient depuis longtemps des lieux communs de la littérature courtoise, tout comme ils le furent dans les salons de l'ancien régime. L'idée de la noblesse du coeur était sortie de la poésie des troubadours et de l'exaltation de l'amour courtois. Elle restait une considération morale dépourvue d'aucun but social.
"Dont vient à nous souveraine noblesse ?
Du gentil cuer, paré de nobles mours.
... Nulz n'est vilains se du cuer ne lui muet." (Eustache Deschamps)

La notion d'égalité avait été empruntée par les Pères de l'Eglise à Cicéron et à Sénèque. Grégoire le Grand avait donné au Moyen Age finissant la phrase : "Omnes namque homines natura aequales sumus" (nous sommes tous, hommes, égaux par nature). Elle fut répétée sur tous les tons, mais sans aucun propos de diminuer l'inégalité existante. Car, pour l'homme du Moyen Age, cette idée visait, non point une impossible égalité future dans cette vie, mais la très proche égalité dans la mort. Chez Eustache Deschamps; nous la retrouvons en rapport direct avec la danse macabre, faite pour consoler de l'injustice de ce monde.

pp. 91-92
Commenter  J’apprécie          130
Au XVe siècle, en France, une forme nouvelle de la pensée se crée de toutes parts. Mais, à bien y regarder, la forme et l’esprit ne se recouvrent pas. L’esprit reste orienté vers les idées directrices du moyen âge ; il garde l’empreinte médiévale. La forme classique peut servir à exprimer les vieux concepts : tel humaniste choisit la strophe saphique pour énumérer les reliques d’un lieu saint. D’autre part, les signes précurseurs d’un esprit nouveau se cachent parfois sous les formes anciennes. Rien n’est plus faux que d’assimiler classicisme et culture moderne.
Commenter  J’apprécie          50
La peinture du XVe siècle ne savait encore être ni frivole ni sentimentale. […] C’est un art qui connaît le chaste et l’obscène mais qui n’a pas d’expression pour le risqué, le fripon, l’espiègle. Ce qu’il nous dit de la vie amoureuse de l’époque, il le dit en des formes naïves et innocentes.
Commenter  J’apprécie          70
La supériorité d’expression de la peinture sur la littérature n’est toutefois que relative. Il existe des domaines où la littérature dispose de moyens d’expression plus riches et plus directs que les arts plastiques. Un de ces domaines est celui du comique.
Commenter  J’apprécie          50
L’ornement de la rhétorique ne fait pas défaut à la peinture. Dans l’œuvre de van Eyck, il y a bien des morceaux qu’on pourrait appeler rhétorique : par exemple, la figure de saint Georges présentant à la Vierge le chanoine van de Paele. Le casque magnifique, l’armure dorée, où se révèle une tendance à imiter l’antique, le geste théâtral du saint, tout cela est très apparenté à la grandiloquence de Chastellain.
Commenter  J’apprécie          20
Dans les phases primitives de la littérature, le vers est le mode primaire de l’expression. Au XIIIe siècle, […] on pouvait encore mettre en vers n’importe quel sujet, même l’histoire naturelle et la médecine. Cette forme rimée prouve que l’ouvrage devait être récité à haute voix. Il ne s’agit pas d’une déclamation personnelle et expressive, mais d’un psalmodiement, car dans les époques littéraires primitives, le ver est chantonné sur un air fixe.
Commenter  J’apprécie          50
La poésie du XVe siècle donne souvent l’impression d’être presque dépourvue d’idées nouvelles. L’impuissance à trouver des fictions neuves est générale. On ne fait guère que remanier, orner ou moderniser les vieilles matières. Il y a comme un arrêt de la pensée. On dirait que l’esprit, épuisé d’avoir achevé l’édifice spirituel du moyen âge, est tombé dans une sorte d’inertie.
Commenter  J’apprécie          70






    Lecteurs (88) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Quelle guerre ?

    Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell

    la guerre hispano américaine
    la guerre d'indépendance américaine
    la guerre de sécession
    la guerre des pâtissiers

    12 questions
    3205 lecteurs ont répondu
    Thèmes : guerre , histoire militaire , histoireCréer un quiz sur ce livre

    {* *}