« Écoute, dit-elle, écoute. Le mot est une résonance intérieure permettant de susciter l'abstente de tous bouquets. La répétition d'un mot, deux fois, trois fois, plusieurs fois rapprochée, fait naître des pouvoirs, la tacite atmosphère, tout l'air de toute la mer. Ce n'est pas un procédé, c'est un sortilège. »
Marcelle cachait dans son sac d'écolière une couleuvre verte qu'elle trimballait partout. Elle grimpait aussi aux arbres, embrassait les fleurs sur la bouche, appelait les adultes les Barbares. Et elle avait ensorcelé Emma.
Emma avait donc appris à vivre en lisant, et elle avait acquis, du même mouvement, son écriture claire, mesurée, construite. Le contraire de celle de Marcelle, nerveuse- nettement plus actuelle. Plus dans l’excès, l’irrégulier, le déséquilibre.
« Marcelle se levait à 7 heures du matin, pour aller grimper vers les sommets. Le danger était grand. Crevasses, glissades, avalanches. Le lendemain d'un jour où il avait neigé, elle est montée au col de l'Eychauda, à 2500 mètres. Elle marchait dans la neige craquante. Soudain un nuage est arrivé. Il l'a pressée ; elle courait ; lui aussi. Elle n'avait pas fait 50 mètres qu'il l'enveloppait, neige durcie, cinglante. C'était exquis. Si on ne dépasse pas le nuage, on se trouve enseveli. »
Sur un feuillet vert menthe : Pour la première fois ma classe m'a énervée. Ils étaient énervés; j'étais énervée. J'ai failli les battre tous.
Emma, écrit Marcelle, je voudrais me remplis de connaissance. Boire les paroles que vous buvez là-bas.
Elle était convaincue que c'était par la littérature que son troupeau de jeunes filles allait conquérir la liberté qui leur revenait de droit. Rien de barré. Aucun nuage devant elles. Grand beau temps clair pour les filles. Plus qu'un professeur de littérature, Suzanne Aymé fut un professeur d'existence, enseignant la dimension esthétique de la vie, c'est-à-dire affective, le sentir sous toutes ses formes, et si Emma a tellement bien inventé son chemin, c'est grâce à elle. A partir de la lecture comme activité de connaissance, Emma s'est affranchie de la société et s'est librement avancée dans sa vie. Emma s'est affranchie de la société et s'est librement avancée dans sa vie. Emma, une fille affranchie par la littérature.
Dans ces lettres qui ne m’étaient pas adressées, et que j’allais visiter en secret, où l’air était acide et vif, j’ai sans doute ressenti ma première ivresse littéraire.
J'ai peur du cérémonial de la médiocrité.