Après une vie de clochards célestes, Sophie et son compagnon Grieg,tombent sous le charme d'une vieille maison dans " les bois- bannis", " un fragment d'holocène négligé par le capitalisme ", perdu au coeur d'une prairie, aux pieds des moraine des Vosges,et s'y installent en prenant bien soin de ne garder que l'essentiel : lit,table et chaises,poêle mais aussi plume et livres!
Il ne s'agit pas de lâcheté mais plutôt de protection. S'éloigner d'un monde qui a perdu la tête au point de se détruire, et profiter avant de mourir, d'un havre de paix. Avant de mourir ,Sophie veut cependant " déguerpir " une dernière fois, accrochée à sa plume " comme à la queue d'un renard", écrire un livre " qui parlerait d'elle,la forêt sombre et velue".
Rapidement, une petite chienne s'invite à leur table. le titre n'est pas anodin car il contient toute l'effronterie de Sophie et sa volonté d'abolir les frontières entre l'humain et les autres vivants.
Pourquoi un chien ne pourrait- il pas se joindre au festin? Et plus encore partager leur lit et leurs rêves ?! Pour Sophie "... on n'est pas emmurés dans notre espèce, une espèce séparée des autres espèces, différente mais pas séparée, et que faire partie des humains n'est qu'une façon très restreinte d'être au monde".
Mais ce titre est aussi un remerciement à
Janet Frame,cette soeur de coeur et d'esprit qui lui a permis de se sentir moins seule lorsqu'elle s'interrogeait sur sa " normalité ". Quel choc merveilleux lorsqu'elle a lu " Un ange à ma table " et découvert leur façon si proche d'être au monde.
Ce roman dont la fiction reste à prouver,nous parle de cette osmose avec la nature,du chagrin de voir le monde s'effondrer à l'image de son corps et celui de Grieg,mais aussi de la joie effrontée de faire comme si de rien n'était, et défier ses forces en co tinuant à se fondre à la moraine corps et âme.
Mais Sophie (Claudie ?) n'est pas que cette sauvageonne qui se goinfre de myrtilles à quatre pattes avec sa chienne, qui observe de loin les humains pour se régaler de leur étrangeté. Son écrit témoigne bien qu'elle n'est pas que nature mais, ô combien culture!
Si elle passe son temps à s'engouffrer dans la nature avec "Yes",alors que son compagnon s'enfouit plus que jamais sous sa montagne de livres,elle n'éprouve pas moins de plaisir à intellectualiser ses ressentis,à trouver les mots les plus savants pour peindre la nature comme une chercheuse de pépites.
Pour lui rendre hommage je voncluerai par cette phrase de
Julien Gracq " tant de mains pour transformer le monde,et si peu de regards pour le contempler". Car vous,Sophie et Claudie, non seulement vous savez contempler le monde mais vous savez vous y mêler et nous en faire profiter!
Vous n'aurez aucun regret lorsque vous abandonnerez ce corps dont vous parlez à la troisième personne du singulier comme si vous étiez différenciés, pour rejoindre le grand tout !
Lecture qui sort des sentiers battus et qui m'a permis de faire connaissance avec
Claudie Hunzinger,une femme bien singulière !