Citations sur Les Variations Goldberg (23)
La vraie musique dépend de moi pour exister ici. Je peux l'esquinter, je peux l'ébrécher, je peux la fracasser...et je ne le veux pas. Ainsi nous luttons ensemble dans la bataille la plus délicate du monde. Cette combinaison particulière de sons, c'est un immense lustre fragile qui tinte sous mes doigts : si je déroge ne serait-ce qu'une fraction de seconde, j'en casse un morceau ; si je ralentis intempestivement, l'éclat ternit. Je porte le lustre et ce n'est pas son poids qui rend le fardeau si terrible, c'est son absence de poids, son caractère absolument ténu. Car je le porte non pas à travers l'espace, mais à travers le temps.
Enfin. Je suis assez heureuse du déroulement de ce rituel. Il m'a fait comprendre des choses. Non pas des gens, mais des choses à propos des gens. Ce n'est pas rien. Ce n'est pas tout, mais ce n'est pas rien non plus. Le tout ou rien est un faux dilemme.
Mais si je ne consacre pas un certain nombre d'heures par jour à l'écriture je ne m'autorise pas à aller par exemple au cinéma...Parce que si un jour se passe sans que j'écrive, il n'y a pas de raison que tous les jours ne se passent pas de la même façon : si je relâche mon attention, le temps pourrait s'accélérer derrière mon dos, il pourrait se mettre à passer par sauts et par bonds, et des années entières disparaîtraient dans la trappe de ma distraction momentanée. Deux choses échappent à cette logique infernale, deux choses seulement : l'amour et la musique. Pour eux, et pour eux exclusivement, j'accepte de perdre du temps. Parce que ce sont des domaines hors langage. l'un et l'autre tentent de "dire quelque chose" mais l'un et l'autre s'épanouissent entièrement dans cette tentative, cette intention de dire ; ils sont tributaires du langage mais simultanément en deçà et au-delà de lui.
La musique c'est la fuite chic. Encore mieux que le cinéma. D'abord, y'a rien à comprendre. Tu peux t'en aller rendre visite à tes châteaux en Espagne pendant ce temps-là et personne t'accusera de ne pas avoir suivi.
L’important, comme le sait chaque insomniaque, n’est pas de se faire bercer par la réitération d’une thématique, mais au contraire de déclencher l’étincelle qui permettra de court-circuiter le courant de la pensée pour le brancher sur les ondes de l’inconscient. Or, les Variations Goldberg sont admirablement conçues pour produire cet effet: chacune d’entre elles constitue un petit univers imaginaire, avec ses propres lois et sa propre cohérence
Ce que je suis au fond, c'est ce que j'aimerais bien savoir. Il me semble que je ne suis absolument rien et que je pourrais être absolument n'importe quoi. Tout ce que les gens projettent sur moi je l'assume, j'essaie de deviner quelle image de moi leur ferait le plus plaisir, et de la renvoyer. Le pire, c'est que ça marche.
Pendant des mois et des mois on apprend, on inscrit tous les doigtés sur la partition, on la barbouille de chiffres et de points d'exclamation au crayon noir, on répète mille fois la gamme qui descend en accelerando jusqu'à ce qu'elle ressemble vraiment à une cascade ; bref, on maîtrise petit à petit, on domine chaque partie du morceau et les transitions entre elles, l'articulation-et puis : pas moyen de le jouer. Il y aura toujours un doigt qui décidera de me narguer, de s'amuser à passer par-dessus le pouce un peu maladroitement, et blaf.
Quand est-ce que tu as commencé à vivre ta vie avec détermination, au lieu de la vivre avec espièglerie ?
Tout le monde est suffisant. Je suis la seule à ne pas pouvoir me suffire à moi-même. La seule dont l'intelligence est trouée. Je peux lire n'importe quelle quantité de livres-pendant les vacances j'en consomme deux par jour- et ça ne change strictement rien, les trous restent là , béants.
Mais le silence est toujours redouté. Les gens ne connaissent pas...Ils ne supportent pas. Doivent continuer à prouver qu'ils sont quelqu'un. Avec des mots.Pendant nos leçons, on ne parlait presque pas. Elle, comprend. Que la musique est bâtie sur le silence. Un pont jeté à travers. même pas un pont, un filet. Troué. Ouvert sur le silence.