Citations sur A vau-l'eau (25)
On eût dit de gens sans famille, sans amitiés, cherchant des coins un peu sombres pour expédier, en silence, une corvée, et M. Folantin se trouvait plus à l’aise dans ce monde de déshérités, de gens discrets et polis, ayant sans doute connu des jours meilleurs et des soirs plus remplis. Il les connaissait presque tous de vue et il se sentait des affinités avec ces passants, qui hésitaient à choisir un plat sur la carte, qui émiettaient leur pain et buvaient à peine, apportant avec le délabrement de leur estomac, la douloureuse lassitude des existences traînées sans espoir et sans but.
Ah ! décidément Paris devient un Chicago sinistre ! — Et, tout mélancolisé, M. Folantin se répétait : profitons du temps qui nous reste avant la définitive invasion de la grande mufflerie du Nouveau-Monde !
Comme le mariage brisait tout ! on s’était tutoyé, on avait vécu de la même existence, l’on ne pouvait se passer les uns des autres et c’est à peine si l’on se saluait à présent lorsqu’on se rencontrait. L’ami marié est toujours un peu embarrassé, car c’est lui qui a rompu les relations, puis il s’imagine aussi qu’on raille la vie qu’il mène et enfin, il est, de bonne foi, persuadé qu’il occupe dans le monde un rang plus honorable que celui d’un célibataire, se disait M. Folantin.
... il jugea que la solitude avait du bon, que ruminer ses souvenirs et se conter à soi-même des balivernes était encore préférable à la compagnie des gens dont on ne partageait ni les convictions, ni les sympathies; son désir de se rapprocher, de toucher le coude de son voisin cessa et, une fois de plus, il se répéta cette désolante vérité: que lorsque les anciens amis ont disparu, il faut se résoudre à n'en point chercher d'autres, à vivre à l'écart, à s'habituer à l'isolement.
Presque tous faisaient partie de la jeunesse des écoles, de cette glorieuse jeunesse dont les idées subalternes assurent aux classes dirigeantes l’immortel recrutement de leur sottise ; M. Folantin voyait défiler devant lui tous les lieux communs, toutes les calembredaines, toutes les opinions littéraires surannées, tous les paradoxes usés par cent ans d’âge.
« Un grand découragement le poigna ; le vide de sa vie murée lui apparut, et, tout en tisonnant le coke avec son poker, M. Folantin penché en avant sur son fauteuil, le front sur le rebord de la cheminée, se mit à parcourir le chemin de croix de ses quarante ans, s’arrêtant, désespéré, à chaque station. »
La pensée de s'étendre seul, par ces nuits d'orage où l'on sue comme dans une étuve, où l'on se retourne dans des draps poissés, le réjouissait aussi. Je plains les gens qui sont à deux, se disait-il, en roulant sur le lit, à la recherche d'une place plus fraîche. Et la destinée lui semblait, à ces moments là, plus hospitalière, moins rétive,
Sa femme de ménage, madame Chabanel, une vieillesse haute de six pieds, aux lèvres velues et aux yeux obscènes plantés au-dessus de bajoues flasques. C’était une sorte de vivandière qui bâfrait comme un roulier et buvait comme quatre ; elle cuisinait mal et sa familiarité dépassait les bornes du possible. Elle posait les plats, bout-ci, bout-là, sur la table, puis s’asseyait en face de son maître, faisait chapelle sous ses jupes et roussinait, en rigolant, le bonnet de côté et les mains aux hanches.
il comprit l’inutilité des changements de routes, la stérilité des élans et des efforts ; « il faut se laisser aller à vau-l’eau ; Schopenhauer a raison, se dit-il, « la vie de l’homme oscille comme un pendule entre la douleur et l’ennui ». Aussi n’est-ce point la peine de tenter d’accélérer ou de retarder la marche du balancier ; il n’y a qu’à se croiser les bras et à tâcher de dormir.
Quelle occupation que la prière, quel passe-temps que la confession, quels débouchés que les pratiques d'un culte!