Les portraits émanés de Moro durant son séjour en Espagne se signalent non pas seulement comme des œuvres artistiques exceptionnelles ; ils caractérisent, peut-on dire, d'une manière frappante, l'époque et le milieu de leur production. Parmi les peintres qu'on puisse citer, il en est peu dont les œuvres envisagées sous cet aspect l'emportent sur les siennes. Autant que la physionomie de son nom, son art s'adapte merveilleusement aux ambiances et c'est pour le visiteur presque un effort, au musée du Prado, de se persuader qu'en fait les œuvres inscrites au nom du peintre n'émanent point, selon expression prérappelée de Charles Blanc, d'un Espagnol qui aurait appris son art à Venise.
Nous avons, à plus d’une reprise, insisté sur la sensation produite à l’Exposition des Trésors d’Art, à Manchester, en 1857, par l’apparition des portraits de Moro. Pour la critique française ce fut, peut-on dire, une révélation. L’histoire de l’art français, où marquent les noms de quantité de maîtres de race néerlandaise, où, par exemple, se signalent des portraitistes tels que Pourbus, ne vient évoquer à aucun moment le souvenir d’un maître que les pays voisins avaient aussi puissamment mis en relief. Moro a pu, sans doute, à quelque moment de sa carrière, être en rapport avec des Français; rien pourtant ne semble indiquer qu’il ait été, de la part de leur nation, l’objet d’aucune gracieuseté, moins encore d’aucune prévenance. Entre les personnages nombreux qui posèrent devant son pinceau, les Français durent être en nombre très limité.
A remarquer, en effet, que sa situation auprès de l’Empereur et du roi son fils devait peu favoriser les rapports avec eux. Rien ne nous autorise, jusqu’à nouvel ordre, à nous rallier à la thèse des auteurs qui, à la veille du mariage de Philippe II avec Elisabeth de France, font entreprendre à Moro le voyage de Paris pour y tracer le portrait de la royale fiancée.
L'histoire de l'art n'offre guère d'exemple d'une évolution plus absolue, plus irrationnelle en ses origines, que celle accomplie par l'école néerlandaise de peinture au cours du XVIe siècle.
Abondamment commenté par la critique, ce mouvement tient à des causes multiples, infiniment diverses aussi, dont l'étude trahit des interventions souvent étrangères à l'art, lesquelles pourtant, et d'une manière très évidente, concourent à sa direction.
Le peintre que nous entreprenons de faire revivre dans ces pages, néerlandais à tous les titres, en dépit d'un nom quelque peu défiguré par sa désinence méridionale, et bien qu'ayant vécu au XVIe siècle, avère son génie sous des formes assez indépendantes pour frapper de surprise le critique. « Il ne tient à aucun temps et à aucun pays, s'écriait Bürger, à la vue de ses œuvres à l'Exposition des Trésors d'Art, à Manchester, en 1857, ou plutôt il participe des qualités des meilleures écoles. » Et la critique allemande, à son tour, n'hésite pas à proclamer que s'il avait survécu au Titien, l'Europe eût salué en lui son plus grand portraitiste.