Citations sur L'homme du Lac (67)
Erlendur resserra son imperméable autour de lui en promenant son regard à la surface du lac. Il pensa à cet apôtre qui s'appelait également Thomas, dont parle l'évangile de St Jean. Quand les autres apôtres lui annoncèrent qu'ils avaient vu Jésus ressuscité, Thomas leur répondit : si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous et que je ne peux y passer mon doigt, si je ne mets pas ma main dans son flan, non je ne croirai pas.
Thomas avait vu la marque des clous, il avait passé son doigt sur la surface des plaies, mais, contrairement au Thomas de l'évangile, c'était en touchant du doigt qu'il avait perdu la foi.
- Heureux ceux qui n'ont pas vu et qui ont cru, murmura Erlendur, et ses mots s'envolèrent par delà le lac, emportés par le vent du nord.
Raconte moi plutôt comment elle a réussi à te détourner du droit chemin. D'après nos sources, il n'y avait pas plus radical que toi. Qu'est ce qui s'est passé? Comment est elle parvenue à te faire dévier?
Il s'approcha de Lothar. Il rassembla son courage pour lui cracher ce qu'il avait à lui dire. L'homme à la moustache était passé devant son bureau et se tenait derrière lui.
- Ce n'est pas elle qui m'a détourné du droit chemin, répondit-il en islandais. C'est toi. C'est tout ce que tu représentes qui m'en a détourné. Ton mépris de l'être humain, ta haine, ta soif de pouvoir. C'est l'ensemble de ce que tu es qui m'a détourné. C'est très simple, répondit Lothar. Soit tu es socialiste, soit tu ne l'es pas.
Il parcourut du regard la petite terrasse devant la maison mitoyenne de Sigurdur Oli et Bergthora en s'attardant sur Elinborg qui s'affairait devant le barbecue. Il avait l'impression qu'elle fredonnait une chanson. il jeta un oeil vers la cuisine où il vit Sigurdur Oli embrasser Bergthora sur la nuque en passant à côté d'elle. Il lança un regard de côté à Teddi qui dégustait une bière. C'était peut-être ça la joie de vivre. C'était peut-être aussi simple que ces moments où le soleil illuminait les belles journées d'été.
Elle resta longtemps immobile à scruter les ossements comme s'ils n'avaient pas dû se trouver là. Pas plus qu'elle-même, d'ailleurs.
Elle se disait que c'était probablement encore un mouton qui s'était noyé jusqu'à ce qu'elle parvienne assez près pour distinguer un crâne à demi enfoui au fond du lac ainsi que la forme d'un squelette humain. Les côtes dépassaient du sable et, en dessous, on pouvait distinguer les contours des os du bassin et du fémur. Le squelette reposait sur le côté gauche. Elle voyait la face droite du crâne, ses orbites vides ainsi que trois dents de la mâchoire supérieure. L'une d'elles portait un gros plombage en argent. On distinguait un large trou dans la boîte crânienne proprement dite et elle se fit machinalement la réflexion qu'il avait été causé par un marteau. Elle se baissa pour examiner le crâne. D'un geste hésitant, elle passa un doigt à l'intérieur du trou. Il était rempli de sable.
(début du livre)
Rien de moins courageux qu'un homme qui trompe sa femme.
C'était un handicapé mental ou, comme on avait le droit de le dire avant, un simple d'esprit. Avant que les brigades de la langue n'entreprennent de lisser les aspérités avec tous ces mots polis.
Sigurdur Oli expliqua à Erlendur qu'histoire de s'occuper, il était allé sur le Net se documenter sur les activités de la Stasi, la police politique est-allemande. Elle avait réussi à placer la quasi-totalité des citoyens du pays sous surveillance. Elle avait des quartiers généraux dans 41 immeubles, possédait 1 181 bâtiments destinés à ses recruteurs, 305 centres de vacances, 98 gymnases ou complexes sportifs, 18 000 appartements destinés à abriter des réunions avec ses informateurs. Elle employait un total de 97 000 personnes, 2 171 s'occupaient de la lecture du courrier, 1 486 plaçaient les téléphones sur écoute, 8 426 écoutaient les conversations téléphoniques et les émissions radio. La Stasi chapeautait 100 000 collaborateurs actifs, mais dans l'ombre, un million de citoyens informaient la Stasi de façon occasionnelle, six millions de personnes étaient fichées. Un des services de la Stasi s'occupait en outre de la surveillance des autres membres de cette même police.
Toujours est-il que ça n'a pas été mon cas quand j'ai vu la façon dont la doctrine socialiste était appliquée en Allemagne de l'Est. En réalité, j'ai été expulsé du pays pour ne pas m'être montré suffisamment obéissant. Pour avoir refusé d'entrer de plain-pied dans le système de surveillance qu'ils dirigeaient et qu'ils affublaient si joliment du qualificatif de réciproque. Ils trouvaient tout à fait naturel que les enfants espionnent leurs parents et qu'ils les dénoncent s'ils venaient à s'éloigner de la ligne du Parti. Ca n'avait rien à voir avec le socialisme. C'était simplement la peur de perdre le pouvoir. Ce qui a évidemment fini par leur arriver.
Il y a toujours quelque chose qui ne colle pas, Erlandur. Tu ne peux pas lisser toutes les aspérités. La vie est plus complexe que ça.
Il était dénué de toute affectation, ne faisait jamais semblant. Il n'avait sûrement aucune idée du comportement qu'il devait adopter pour se montrer sous un autre jour. Il était profondément honnête et vrai dans tout ce qu'il disait, dans chacun de ses actes. Elle le percevait clairement et cela lui procurait le sentiment de sécurité qui lui manquait depuis si longtemps. Elle avait trouvé en lui un homme auquel elle savait pouvoir faire confiance.