— Tu diras ce que tu voudras, Hitler est bien le plus grand artiste de la propagande de tous les temps.
— N’empêche que l’Allemagne est en train de perdre la guerre.
— Quand bien même ! Tu te rends compte tout ce qu’il a mis sur pied, ce petit connard ? Jusqu’où il est allé ?
(Seuil, p. 244)
Je me demande bien où était mon père quand la Luftwaffe a bombardé Belgrade, ville ouverte, sans la moindre déclaration de guerre.
(Seuil, p. 195)
Et quand les dames de la blanchisserie lui reprochaient de traîner à la maison sans rien faire, il répondait : "Je suis légalement mort. Vous connaissez une meilleure excuse pour ne pas travailler?"
Un homme qui aime les zèbres ne peut pas être tout à fait mauvais.
Il faut reconnaître que les statistiques ont le don de vous dépasser. Avec elles, les atrocités isolées peuvent paraître anodines.
Ca donne une certaine confiance de mettre un nom sur les choses.
INCIPIT :
Je savais le trouver tous les midis, assis sur un banc dans le parc de l'Hôtel de Ville, un petit sachet bourré de radis de serre sur les genoux et une bouteille de bière à la main. Il apportait toujours sa salière et il devait en avoir une quantité, parce que je ne me souviens d'aucune en particulier.
En fait, le roi de la famille des alcidés était si stupide que l'espèce s'est éteinte. C'est en 1844 qu'on a vu le dernier grand pingouin vivant, et en 1853 qu'on a vu le dernier grand pingouin mort ; ça se passait en Irlande, dans la baie de la Trinité, une vague a échoué sa carcasse sur la grève. Le grand pingouin était à la fois curieux et naïf, dit la notice. Si on l'approchait tout doucement, il ne bougeait pas. Cela en faisait une proie toute désignée pour les bateaux de pêche. Les pêcheurs quadrillaient les grèves à l'affût, s'approchaient tout doucement et les tuaient à coups de bâton.
Quelle prétention cette légende ! Est-ce qu'ils veulent dire que le grand pingouin était stupide, ou que des hommes stupides en ont fait disparaître l'espèce ?
A quelque pas de notre table sous son parasol Cinzano, un couple d'Ours des Andes à lunettes, espèce rarissime, était accroupi à l'étroit dans la chaleur de sa cage ; l'air nous rabattait son odeur forte. C'étaient "des ours de dessins animés", disait le panneau. Ils avaient une tête à s'être fait expulser de l'Equateur pour cause de ridicule.
Alors le soleil et la bière règlent notre sommeil. Les ours à lunettes s’embrassent en chuchotant, et l’oryx chasse de la prairie tous les petits enfrottés débiles. Sur la Ybbs violacée comme une meurtrissure, le morse descend en canot ; il rame avec ses nageoires, se fait dorer les défenses au soleil et décolorer la moustache ; il ne voit pas l’hippopotame embusqué dans un trou près de la rive – il s’est déguisé avec un voile de mousse et il a la gueule béante, prête à engloutir le morse, corps et biens.
Je me suis réveillé pour avertir le morse. Les girafes avaient brouté la prairie jusqu’au soleil pour le faire descendre. Il brillait de ses derniers feux au ras de l’herbe, accrochait la moto et étirait l’ombre de ses roues et de son moteur par-dessus la rivière ; elle, elle roulait sous la moto comme une route qui file, violacée..
- Il est temps de mettre les voiles, Siggy.
- Tout doux. Je les regarde sortir de leurs cages. Ils sont libres comme nous.
Alors je l’ai laissé regarder un moment, et moi j’ai regardé le soleil aplatir la prairie rouge, et la rivière s’éteindre. J’ai jeté un coup d’oeil en amont, mais on n’apercevait pas encore les montagnes. (p 41)