Curieuse sensation à la sortie de la lecture de cet essai d'
Ivan Jablonka…
J'ai eu à la fois une impression de grande proximité et de mise à distance, d'intimité la plus la plus personnelle et d'universalité, d'apologie de la simplicité par les détours alambiqués de l'intellect.
Curieuse idée que d'utiliser ce qu'on définit comme son trésor le plus précieux- ses souvenirs d'enfance les plus heureux, les plus lumineux-comme matériau de base d'une étude sociologique.
Curieuse et dangereuse. Car, passer par le filtre de l'analyse, c'est perdre une grande part de la magie de l'instant, c'est réduire les souvenirs, si heureux soient-ils, à une liste factuelle à une succession d'événements qui perdent non seulement de leur charme mais de leur mystère, cette aura toute particulière et propre à chaque être, chaque famille.
Sensiblement du même âge que l'auteur, j'ai moi-même des souvenirs assez similaires de vacances, entre camping sauvage et voyages très longs et très joyeux dans la Méhari familiale où l'on s'entassait en vrac, bien loin des ceintures et autres consignes de sécurité que mes enfants ont connues lorsqu'à leur tour ils ont découvert les étés itinérants sur les routes de France. Et je crois que j'en veux un peu à
Ivan Jablonka, passant au crible les motivations de ses parents pour en faire une étude de moeurs générationnelles, de m'avoir conduite à en faire de même et à déboulonner mes propres mythes familiaux.
Je dois cependant reconnaître que, bien que dérangeant d'un point de vue sentimental, ce décryptage très ciblé d'une classe sociale par ses choix de vacances, temps de l'intime par excellence, n'est pas dénué d'intérêt. Il rappelle comment, en trois générations, elle est passée du manuel à l'intellectuel, de l'illettrisme à l'érudition en passant par les cruautés de l'Histoire et en prônant la vertu du travail acharné et de l'apprentissage, quelles qu'en soient ses formes.
Il me semble néanmoins que ce cheminement de la pensée de l'auteur, qui suit celui de ses souvenirs et de ses véhicules emblématiques, se perde parfois dans les ornières de la mémoire et laisse son lecteur un peu déboussolé sur le bord d'une route dont il peine à voir la destination.