Citations sur Les formes multiples de l'expérience religieuse. Essai .. (67)
En dehors de la religion, on peut dire que les rêves de justice sociale auxquels s’abandonnent beaucoup de socialistes et d’anarchistes contemporains sont analogues à la croyance du saint en un Royaume des cieux. Ce ne sont que des utopies mal adaptées au milieu social actuel ; mais ce sont des protestations contre le règne universel de la dureté ; ce sont des ferments cachés d’un ordre meilleur.
Nous sommes donc forcés, malgré notre empirisme, de concevoir un certain type, tout personnel, de probabilité théologique chaque fois que nous voulons estimer les fruits d’une religion qui n’est pas la nôtre ; il n’en est pas moins vrai que cet idéal est engendré dans notre esprit par l’opinion régnante.
Je vais m’efforcer de discerner ce minimum essentiel, dégagé des accidents et des additions individuelles, qui est le noyau de toutes les religions, et que toute âme pieuse pourrait accepter. Si petit que soit ce noyau, il serait précieux de le découvrir ; autour de lui pourraient se développer librement les croyances particulières de chaque individu, plus riches et plus colorées. Après l’avoir indiqué j’y joindrai ma propre croyance personnelle, assez pâle, je l’avoue, comme il sied à la croyance d’un philosophe. De son côté, chacun de mes lecteurs fera de même, et nous nous retrouverons dans le monde bigarré des expériences religieuses concrètes.
Le divin ne désigne pas une qualité unique, c’est un ensemble de qualités dont chacune à son tour peut servir d’idéal à différents individus.
L’ampleur, le mouvement et la vie. Pour l’âme religieuse, la croyance à la vérité d’une formule ne peut remplacer l’expérience directe.
En réalité, il existe en ce monde infiniment plus de choses mal adaptées l’une à l’autre que de choses bien adaptées, infiniment plus d’êtres dont les rapports sont irréguliers que d’êtres en harmonie. Mais nous n’avons d’yeux que pour la régularité ; habiles à la découvrir, nous l’embaumons dans notre mémoire.
Le rationalisme a beau protester : si la vérité qui parvient à l’homme par la voie mystique lui est une force, de quel droit lui enjoindrons-nous, au nom de la majorité, de vivre autrement ?
Le saint est supérieur à « l’homme fort », parce qu’il est adapté à la forme de société la plus parfaite que l’on puisse concevoir, sinon réaliser.
La pure dévotion, que ne dirige aucune grande idée, ne porte que des fruits inutiles à l’humanité.
Quand une religion devient orthodoxie, elle perd à tout jamais son intériorité : la source en est tarie. Les fidèles vivent exclusivement de tradition et lapident à leur tour les prophètes.