« Faut que t’allumes des étoiles dans leur tête, Éva. Faut que ta chanson devienne l’hymne des banlieues. Tu sais comment je la vois, ta chansonnette ? Comme une crotte de chocolat à la liqueur. Au milieu, une petite boule de dynamite et autour du bon chocolat au lait, bien doux, bien sucré. Tu leur donnes ça à sucer, aux exclus. Ils bouffent le chocolat, lapent la liqueur, et l’explosif, ils l’avalent sans le croquer, parce qu’ils tiennent pas à crever, juste à avoir des sensations. Parce que tout ce qu’ils veulent, c’est pas plus de liberté ou plus de respect. L’abstrait, ils en ont rien à branler. Ce qu’ils réclament, c’est tout simplement plus de fringues, plus de bagnoles, plus de films de cul à la télé, faut pas chercher plus loin. »
Évelyne, fille du Nord, grands yeux bleus innocents, longs cheveux blonds, corps frêle de décharde en manque de calories. Éva, la même à l’intérieur, mais pour le monde du dehors déguisée, méconnaissable sous une perruque brune et un maquillage de geisha, et les yeux assombris par des lentilles noisette grillée.
Ma vie jusque-là n’avait été qu’une lente errance d’un bout à l’autre d’un couloir gris le long duquel j’avais ouvert et refermé quelques portes : première communion, dépucelage, mort d’un père métallo abruti de boulot, le bac et la fuite au beau milieu de ma deuxième année de DEUG de lettres.
Les musiciens quant à eux possédaient leurs mélodies sur le bout des doigts. Je chantais sans forcer et, pendant ce temps-là, j’observais et je pensais à un tas de choses. Au bout d’une semaine j’ai déjà vu la vie autrement.
En fait, c’était bien cela : les danseurs et danseuses du mercredi étaient plus là pour répéter, pour s’entraîner, que pour flirter ou nouer des relations intimes si affinités, comme on dit dans les petites annonces.
Hervé Jaouen lit un extrait de son livre Connemara Queen.