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Critique de Eric75


Eric75
11 décembre 2011
Qui ne connait pas Sébastien Japrisot ? Avec une carrière d'écrivain, de scénariste et même de réalisateur de films s'étalant sur 53 ans – depuis « Les mal partis » (1950) jusqu'à « Un long dimanche de fiançailles » (2003) – son oeuvre traverse les générations. Il n'a pourtant pas eu besoin pour cela d'écrire des centaines de livres : cinq romans originaux, tous adaptés au cinéma, et plusieurs scénarios, dont le moindre d'entre eux a été retravaillé pour être publié sous forme de roman !
Compartiment tueurs, publié en 1962, n'échappe pas à la règle : Costa-Gavras, un cinéaste encore inconnu, réalise son premier film à partir du livre en 1964. La distribution fait rêver : Yves Montand, Simone Signoret, Catherine Allégret (leur fifille), Jacques Perrin (un jeunot à l'époque), Michel Piccoli, Pierre Mondy, Jean-Louis Trintignant, Charles Denner, Bernadette Lafont, Christian Marin, Marcel Bozzuffi, Claude Dauphin, Daniel Gélin, Jean Lefebvre, Dominique Zardi, Claude Berri… et j'en passe. Tout ce beau monde se retrouve en bonne place dans le roman, le film étant une adaptation assez fidèle du livre. Et ce roman, parlons-en !
Compartiment tueurs relate une enquête policière tarabiscotée et à l'ancienne, exploitant le thème du huis clos où le coupable se trouve forcément dans une population restreinte de suspects, tous ayant partagé le compartiment-couchettes de la victime pendant un voyage de nuit à bord du Marseille-Paris de 10h30. Malheureusement, les suspects, qui sont également des témoins gênants, sont assassinés les uns après les autres, ce qui nuit à la sérénité de l'enquête. Qui sera le dernier ? Sera-t-il forcément le coupable ?
Avec ce scénario ferroviaire, on pense bien évidemment à la grande reine du crime, Agatha Christie, qui a ouvert la voie et a bien dégagé le ballast avec son « Crime de l'Orient-Express » et ses « Dix petits nègres ». Compartiment tueurs se situe exactement à la croisée des aiguillages de ces deux romans. La particularité de style qu'utilise Japrisot mérite d'être signalée : les personnages et l'action sont décrits de manière neutre, distanciée, sans utiliser la facilité du dialogue, exemple : « le troisième homme, qui ramassait les perles répandues sur le plancher, leva les yeux et demanda, patron, ce qu'il avait à faire, lui. ». Les descriptions minutieuses ralentissent un peu le récit, on se croirait, surtout au début, dans un Nouveau Roman, Michel Butor n'est pas loin (il a de son côté embarqué à bord du Paris-Rome dans La modification). Ceci permet à Japrisot de multiplier les points de vue en toute subjectivité, préservant ainsi une part de mystère sur ce que savent vraiment ses personnages. La narration s'accommode ensuite de tournures plus classiques, avec l'apparition de dialogues, et le rythme de l'enquête s'accélère. Japrisot nous embarque à bord d'un polar compartimenté, qui ne dévoile que ce que l'auteur a choisi de révéler. L'intrigue est complexe, et le scénario est réglé avec la précision d'une horloge SNCF. Mais malgré son côté alambiqué, l'histoire reste sur ses rails, sans jamais laisser le lecteur à quai. L'ambiance du Paris des années 60, chapeaux mous et gabardines, brasserie-choucroute (page 146) et bistrot-bières sur ronds de carton mouillés (page 31), donne par ailleurs un charme indéniable à ce roman. Pour préserver le suspense jusqu'au bout, les enquêteurs semblent comprendre avant le lecteur ce qui s'est réellement passé (on rencontre plus souvent l'inverse aujourd'hui), et le final est éblouissant. Je vous recommande donc la lecture de ce petit polar ferroviaire et vous invite également à visionner quelques scènes du film postées sur Babélio, qui vous donneront un aperçu de l'ambiance.
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