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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Chant du coq pour cette rentrée littéraire dans les terres lotoises et chant du cygne pour une époque révolue dans nos champs.
En semant ses mots, Serge Joncour vient de soigner mon allergie à la campagne. Après cette lecture, je n'ai qu'une envie, sniffer du pollen, conduire un tracteur et freiner les temps qui courent… trop vite. Si j'ai les yeux rouges, c'est que son histoire vient de labourer ma mémoire en jachère, macarel. La larme à l'oeil succède à la goutte au nez.
Pour construire son roman, je me suis imaginé Serge Joncour en train de ventiler de vieux éphémérides, détachant des pages jaunies qui correspondaient à des évènements climatiques, politiques, sociologiques et pleins d'autres trucs en "iques" survenus entre 1976 et 1999. Peut-être un mirage lié à la désertification des campagnes, fil rouge et vert du récit.
Entre la sécheresse de 76 et la tempête de 99, il s'en est passé des choses dans le monde, en France, dans le Lot et dans la ferme des Fabrier.
Alexandre, la campagne comme compagne, a pris perpette dans la ferme familiale. Ses soeurs vont succomber aux sirènes de la ville. Comme l'amour n'est pas toujours dans le pré, le jeune homme s'éprend à distance de Constanze, étudiante est-allemande qui partage une colocation avec une des soeurs à Toulouse. Pour impressionner sa belle et ne pas trop passer pour un plouc, notre homme va fricoter dangereusement avec des activistes qui ne veulent pas de la centrale nucléaire de Golfech. Dans le genre rebelle et réfractaire au progrès, il y a aussi, Crayssac, un voisin qui participa à la lutte du Larzac et des parents hostiles à l'élevage intensif, pas encore folle la vache, et à un projet d'autoroute.
De l'élection de Tonton au nuage de Tchernobyl, des courses du samedi au Mammouth à l'arrivée du Minitel, Serge Joncour mêle petite et grande histoire. Dans ce roman rétrospectif d'une grande force narrative, la résistance au changement n'est pas une tare mais une vertu tant qu'elle ne vire pas à la violence. Alexandre est un homme des champs pragmatique, pas un utopiste, sauf quand il s'agit d'amour ou de la sauvegarde de ses terres. le progrès l'inquiète mais l'attire. Ces tiraillements donnent vraiment chair aux personnages.
Le récit alterne avec une grande poésie le quotidien austère de la vie à la ferme et les escapades plus ou moins réussies d'Alexandre dans la mythologie urbaine.
Un grand moment de lecture qui permet aussi de comprendre pourquoi nous en sommes là, si las, hélas.
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Version longue suivie d'une version courte

Un nouveau joncour annoncé, en librairie on accourt, tant l'auteur nous a rendus addictifs à ses intrigues. NATURE HUMAINE,(1) ce titre gigogne, qui peut englober bien des sens/des possibilités, d'emblée interroge. C'est avec bonheur que l'on retrouve l'ADN de « l'écrivain national » !

Serge joncour appartient à cette famille d'écrivains, dite « des transfuges », ces enfants de la campagne qui s'en sont éloignés mais en font leur terreau littéraire.
Citons le roman solaire L'amour sans le faire, devenu le film « Revenir » sous la caméra de Jessica Palud qui met en scène le retour de Franck à la ferme familiale.
Rappelons également que l'auteur a signé la préface de Petit paysan de Catherine Ecole-Boivin, qui rend hommage à cet homme, à rebours de la mondialisation, cultivant sa terre comme ses ancêtres, refusant de la tuer avec engrais, pesticides. Rien ne vaut la binette ou le fumier.

Cette fois-ci, avec Nature Humaine l'auteur creuse plus profondément son sillon agraire en mettant en scène les Fabrier dans leur ferme du Lot, paumée au milieu des coteaux aux Bertranges ( lieu familier pour les lecteurs de L'Amour sans le faire). « Une mine d'or végétal » .
Mais « La nature est un équilibre qui ne se décide pas, qui s'offre ou se refuse, en fonction des années. », et qui est soumise au dérèglement climatique.

Avec son prologue in media res (daté du 23 décembre 1999), Serge joncour sait ferrer son lecteur.
On s'interroge : Que s'est-il passé pour qu'Alexandre se retrouve seul dans ces murs qui ont abrité toute sa famille ? Comment en est-il arrivé là ?
Que fomente-t-il avec « les mortiers et le fuel » ? « Tout était prêt », nous indique le narrateur, ce qui accroît le mystère. Par sa construction originale, il maintient le suspense avec brio.

L'auteur remonte le temps de 1976 à 1981 d'abord, enjambant les décennies et retrace le quotidien d'éleveurs, d'agriculteurs, maraîchers sur plusieurs générations.
C'est d'abord la chaleur qui saute au visage du lecteur. 76, été caniculaire, « la nature tape du poing ». Les terres sont craquelées, « les prairies s'asphyxient »., les bêtes crèvent de soif.

C'est sur les épaules d'Alexandre, le pilier du roman, 15 ans au début du récit, que repose la transmission du domaine des parents. Il apprend le métier dans un lycée agricole. Un travail sans relâche, qui « embrasse le vivant comme l'inerte », souligne Serge joncour et qui exige d'avoir de multiples compétences. Un métier auquel le romancier rend ses lettres de noblesse.

C'est tout un mode de vie que Serge joncour autopsie et détaille. Des journées rythmées par la télé. le rituel du JT de 20h (violence des luttes au Larzac, attentats...). Midi Première, Apostrophes. Bel hommage rendu à Mitterrand : « un intellectuel champêtre, un stratège ami des fleurs ».

Autre rituel :l'incontournable expédition du samedi au Mammouth en GS ! « l'extase, une fois les portes franchies » de « cette cathédrale de tôle et de béton », l'immanquable goûter à la cafétéria.
Mais pour le père, c'est une affaire de business, l'agriculture sacrifiée sur l'autel de la finance ! S'assurer un revenu, c'est être entraîné dans le système productiviste.

Un vent de nostalgie souffle chez les grands-parents lors de leur dernière plantation de safran. Cette culture n'est plus rentable.
Un crève-coeur pour ces « paysans dépositaires de gestes millénaires qui, demain, ne se feraient plus. ». La concurrence étrangère les a anéantis.

Entre le père et Alexandre, les divergences de vue génèrent des tensions.
Le père, génération charnière, veut agrandir, se moderniser, investir pour respecter les normes.
Cette course à l'agrandissement en vaut-elle la peine ?
Difficile en plus d'accepter les remontrances quand on est devenu adulte. Quand ils sont en froid, Alexandre trouve son refuge dans « ces grands espaces offerts au soleil », sa pampa, son Montana en sorte. Serge joncour dégaine alors sa plume de nature writer et de poète, pose son regard d'artiste sur les paysages et déploie le même talent que Rosa Bonheur pour peindre les animaux.

L'écrivain des champs (2) montre à plusieurs reprises la fracture entre Paris et la province.
Les trois soeurs (dont on suit les parcours), une fois adultes, seront happées par la vie citadine.
Enfin arrive dans ces campagnes reculées le téléphone qui va jouer un rôle important pour les protagonistes du roman. le progrès, c'est comme « une machine qui vous broie » pense Crayssac, le paysan chevrier intemporel, quelque peu visionnaire qui peste contre « les poteaux traités à l'arsenic », « les fils en caoutchouc ». Un voisin perçu comme « un prophète de malheur ».

Et l'amour ? Puisque « joncour a toujours rimé avec amour », selon les journalistes !
On devine l'inquiétude des parents : « quelle fille accepterait de vivre ici ? »
Le narrateur semble avoir un penchant pour des héroïnes à l'accent étranger. Souvenez-vous de Dora, la flamboyante et magnétique Hongroise. (3) Des scènes empreintes de sensualité aussi dans Nature Humaine : c'est la blonde Constanze, la lumineuse étrangère de Leipzig/Berlin-Est, en colocation avec sa soeur aînée, qui ne laisse pas Alexandre indifférent. Une étudiante qui ne rêve que de voyager .
Ce qui donne l'occasion à Serge joncour, lui, l'usager du train, de se livrer à un « bashing » en règle contre tous ceux toujours en partance ! le père d'Alexandre lui aussi « conchie l'avion » quand il évoque ces « tonnes de steaks congelés qui font 20 mille kilomètres avant d'arriver dans votre assiette ». Il privilégie le circuit-court. « Les animaux c'est comme les hommes, faut pas que ça voyage, sinon ça ramène plein de saletés. » ! Et voilà la vache folle qui décime des troupeaux entiers et laisse exsangue financièrement les éleveurs. Un acarien asiatique qui menace les abeilles.
C'est dans un style de la démesure, de l'outrance que le romancier s'insurge contre toutes ces mesures allant contre le bon sens : « la mondialisation heureuse jetait des millions de gens dans les avions », « tout voyage :les céréales, les vaches, les micro-ondes qui viennent de Hongkong ; on vend notre lait aux Chinois, tout ça se croise dans les airs ou sur les bateaux, c'est n'importe quoi. »

Mais cette « déesse teutonne », d'une autre planète, ne serait-elle pas une relation toxique ?
Sa bande d'activistes antinucléaires n'a-t-elle pas fait prendre d'énormes risques à Alexandre ?
Des indices jalonnent le récit : « Cette fille, il vaudrait mieux qu'il s'en détache. Qu'il la plante là. »

Nature Humaine, c'est aussi le goût dans l'assiette : « le poulet rôti dont les arômes hantaient tout le coteau », « les pommes dauphines et la côte de boeuf », « la tarte aux pommes ou aux courgettes ».De quoi saliver ! Notre santé ne se joue-t-elle pas dans notre alimentation ?
C'est l'odeur « de terre exaltée par la fraîcheur du sol », celle émanant d'une boulangerie...

L'écrivain- peintre déplie un riche éventail de couleurs : les boucles blondes de Constanze, l'océan des fleurs bleues de la menthe sauvage, le « vert émouvant des feuilles en pousse », le rouge de la vieille micheline,« le coteau peint du violet éphémère du safran », les grappes blanches du tabac en fleur, le jaune du colza avec des coquelicots au milieu...
de quoi « pimper » votre lecture.

L'écrivain publicitaire nous gratifie d'une séance de photos de jambon (sous blister) au coeur des prairies. Si le père est flatté de voir son décor servir « à vendre du rêve », il s'offusque du rose, synonyme d'un gavage de « nitrates, de colorants... ». Scène cocasse (présence d'un taureau) !

Serge joncour a fait remarquer dans un tweet que « l'homogénéisation et l'intensification des systèmes de culture et d'élevage se font au détriment des milieux naturels ». Ici, le narrateur soulève la dérive de l'agriculture avec le maïs transgénique, l'abus des produits phytosanitaires, le scandale des veaux aux hormones, « gavés d'anabolisants ». Crayssac était contre toutes ces chimies.
Dans cette peinture de l'agonie du monde paysan, du deuil de la disparition des traditions, il y a du Bergounioux, du Marie-Hélène Lafon.

Serge joncour confirme sa connaissance de la ruralité, des superstitions, ausculte Gaïa, et immortalise avec réalisme cette France profonde, « le monde des oubliés » à la manière de Raymond Depardon ( gares à l'abandon, « l'ambiance désuète » d'une salle d'auberge….)
L'auteur réussit ce tour de force de nous tenir dans ses rets, une fois de plus, jusqu'à la fin ! Il n'a pas son pareil pour distiller une phrase énigmatique qui retient notre attention : quelle est donc « cette arme absolue » que Crayssac se targue de détenir pour empêcher la construction de l'autoroute ? Et si « le Rouge », n'était pas un fou mais plutôt un vieux sage ?
Un mystère nimbe le bois de Vielmanay que détient ce réfractaire ermite.
Un jour Alexandre saura. Un jour, cet illuminé, ce précurseur qui dénonce la société de consommation, lui confiera son secret bien enfoui ! On ne peut pas rester insensible au destin bouleversant et tragique de Joseph… Les rivalités entre voisins sont évoquées, ainsi que la ferme communautaire de la bande d'Anton, « vivant en autarcie heureuse », hors du temps.

Au fil des pages, Serge joncour explore les relations de la famille, montre une fratrie délitée au grand dam des parents (jalousie, rapacité). Il décrypte également le couple, les relations amoureuses d'Alexandre dont celle fusionnelle, cependant en pointillé avec Constanze, « celle qui ne s'efface pas ». le souvenir, comme présence invisible ! le romancier rend hommage à ce fils sacrificiel qui a tout perdu, sauf « cette nature grande ouverte », son éden où souffle un « parfum de patchouli ».

En même temps, l'écrivain brosse le portrait de la France entre 1976 et 1999 avec la succession des présidents, des premiers ministres : « Les grands moments de l'Histoire sont la consigne de nos souvenirs personnels ». Les événements surgissent ( Tchernobyl, la marée noire de l'Erika, chute du Mur), passent, cèdent la place à d'autres catastrophes. Des années tumultueuses, secouées par les manifestations, les luttes acharnées des antinucléaires, des paysans, les détonations. Une litanie de lois, de contrôles, de normes contraignantes : « de jour en jour, chaque geste était encadré par une loi, même dans les coins les plus reculés ». On construit des rond-points, le réseau routier s'est transformé en manèges, « les zones périphériques deviennent une succession d'hypermarchés ».

Le suspense court jusqu'à l'épilogue, le lecteur étant au courant des récents projets d'Alexandre.On est tenu en haleine ! Ne vient-il pas de tout vérifier ?! Psychose qui grandit à l'approche du bug de l'an 2000, annoncé comme apocalyptique. Suspense décuplé par le bulletin météo alarmant.
Le romancier traduit avec maestria la panique, l'angoisse paralysante, les peurs au point de les communiquer au lecteur tout comme la sidération qui habite ensuite les Français, pétrifiés.
Et si ce cauchemar exceptionnel et tragique servait de catalyseur pour ressouder la famille Fabrier ?
Nature Humaine offre une traversée vertigineuse qui fait office de mémoire collective, avec une play-list éclectique dont le tube « Ne m'appelez plus jamais France.». Important name-dropping !

Serge joncour signe un livre requiem, foisonnant, d'une ampleur exceptionnelle qui mêle saga familiale, rurale/agricole et amoureuse, fresque historique et sociologique, catastrophes climatiques (l'apocalyptique tempête de 1999), le tout réfléchissant les enjeux politiques, économiques et la mondialisation. Des thèmes qui revêtent une troublante résonance avec l'actualité du moment et qui font réfléchir. Un roman monde qui nous émeut, nous ballotte, nous essore, nous percute, baigné toutefois par la vague verte des paysages apaisés, par le velouté des prairies grasses… On y trouve un plaisir triple : tactile, gustatif, olfactif ! Une fiction coup de poing qui s'empare de la détresse du monde paysan avec empathie. Un roman monument grandiose et explosif, qui grouille de vie, pimenté par l'amour, ourlé de poésie ,toujours autant cinématographique, servi par une écriture d'une parfaite maîtrise.
Du grand art ! « Wunderbar», dirait Constanze !


(1) : Parution de Nature Humaine le 19 août 2020, Flammarion.
(2) : Expression utilisée par Stéphanie Hochet (3) Héroïne de L'écrivain national
(4) : Daishizen : l'art de ressentir la nature, de tisser un lien spirituel avec la terre.

Version courte:
« Chaque vie se tient à l'écart de ce qu'elle aurait pu être. À peu de chose près, tout aurait pu se jouer autrement. »
Serge joncour creuse plus profondément son sillon agraire. Ici il dépeint un monde rural à l'agonie et retrace la vie à la ferme des Fabrier, une famille d'agriculteurs éleveurs, sur plus de deux décennies. En 76, canicule, gaïa souffre, les bêtes crèvent de soif. « La nature s'offre ou se refuse ».
Pour seul repreneur du domaine, le fils, qui devient ainsi « l'otage autant que le bénéficiaire ».
En filigrane, l'auteur souligne le système moribond, productiviste qui pousse les paysans à s'agrandir, s'endetter pour remettre aux normes. Engrenage fatal. Grande solitude pour les sinistrés.
Moment de nostalgie le jour des dernières plantations de safran pour les grands-parents ( concurrence étrangère). Les 3 filles, une fois adultes se détournent de leur décor d'enfance. le clan soudé s'est délité. L'auteur sait nous ferrer : une phrase énigmatique : « Tout était prêt ». Pour quelle action ? L'intrigue tient en haleine, tout comme la relation toxique d'Alexandre avec Constanze liée à des militants antinucléaires, hippies paysans. Une dalle mystérieuse, le secret bien enfoui d'un voisin chevrier. Suspense accru par la psychose liée au nouveau millénaire.
Serge joncour signe un livre requiem, foisonnant, d'une ampleur exceptionnelle mêlant saga familiale, fresque historique et sociologique de la France, le tout réfléchissant les enjeux politiques, économiques et la mondialisation.Troublante résonance avec l'actualité.Atmosphère apocalyptique.
Un roman monde qui émeut, ballotte, essore, percute, baigné toutefois par la vague verte de paysages apaisés, du velouté des prairies. Cette nature que les paysans ne veulent pas voir défigurée par une autoroute. Une fiction coup de poing qui s'empare du malaise paysan avec empathie.
Un roman monument grandiose et explosif, qui grouille de vie, pimenté par l'amour, servi par une écriture cinématographique d'une parfaite maîtrise. Plaisir visuel, gustatif, olfactif. du grand art !
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Je ne prendrai aucun risque en affirmant que ce roman sera très certainement mon " coup de coeur " de l'année 2020 , rien moins que ça.
Bon , d'abord , c'est un " Joncour " et Joncour j'adore donc , à chaque fois , j'adhère. Pourtant , ce " Joncour "- là, il me semble dépasser ses autres romans tant il semble maîtrisé à tous points de vue .
1976 - 1999 , c'est la période " couverte " , une période de tous les dangers pour l'évolution de la vie humaine sur terre , les ultimes " avertissements " d'une mère- Nature excédée par le comportement incorrigible d'êtres qui la piétinent, qui , après avoir vécu avec elle , ont décidé de s'émanciper et de lui " en demander encore plus , toujours plus " lui tournant même le dos pour.....
1976 , mon premier poste d'enseignant dans un bourg creusois . Plus de 850 habitants à l'époque, un peu plus de 360 aujourd'hui . Mon village natal? 1250 habitants en 1976 , un peu moins de 650 aujourd'hui . le constat est simple , brutalement mathématique, les campagnes se vident .
Vous comprendrez aisément que tous ceux qui , comme moi , ont traversé cette époque vont peu ou prou se retrouver dans la famille d'Alexandre .Alexandre , il vit aux Bertranges , propriété agricole dans la famille depuis 4 générations. Trois générations y vivent encore , Alexandre sera le dépositaire de l'héritage, ses trois soeurs , elles , ne revent que d'un nouvel Eldorado , la ville ...." Ils seront flics ou fonctionnaires " comme le chantait le poète Jean Ferrat , à moins que " On dirait qu'ca t'géne de marcher dans la boue " comme aurait dit le regretté Michel Delpech....La route est tracée et Serge Joncour nous entraîne à la suite d'Alexandre dans les "évolutions sociales " censées améliorer la vie ....Le téléphone, la télévision qui , au lieu de fédérer les gens , va les séparer, la 4L , la GS à suspension hydraulique , celle dans laquelle on s'entasse le samedi pour aller au " Mammouth " , l'hypermarché qui écrase les prix avant d'écraser les proies qu'il attire comme la glu attire les mouches. Strass et paillettes , les lumières de la ville ....Serge Joncour prend , de ci , de là, des éléments qui réveillent en nous les souvenirs , il " nous endort béatement " dans ce qui pourrait être la nostalgie .....Je vous invite à lire l'épisode où Alexandre et son amie Constanze , dans la 4L .....Bon , il est des choses qui méritent un peu de discrétion, quoi que ....dans une 4L , c'est savoureux...Je le sais , ce fut ma première voiture ...d'occasion .Serge Joncour connaît toutes les ficelles pour " titiller " sans cesse notre curiosité, notre intérêt.....Et puis , cela lui permet de distiller le venin à dose homéopathique d'abord , à gros bouillons ensuite , la cupidité des hommes , les " ripostes implacables "d'une nature de plus en plus bafouée, souillée, piétinée . Les alertes sont nombreuses : sécheresses, naufrages de pétroliers, pollution , vache folle , Tchernobyl....Tous ces événements s'emboitent dans ce roman comme ils l'ont fait dans la " vraie vie " , insidieusement ....Entre la sécheresse de 1976 et la tempête de 1999 , que d'événements naturels tragiques ...Et pourtant , " non , non , rien n'a changé, tout tout à continué " comme dit la chanson .
Les personnages principaux sont très bien " dans leur rôle " avec une mention particulière pour le père Crayssac que je vous laisse découvrir tout comme je vous laisse avec Alexandre et Constanze pour une histoire d'amour ...mais chut !!!
C'est un roman didactique peut être, sûrement, même si le sujet a été abordé , analysé , trituré , sans que les comportements ne changent , hélas..Peut - etre aujourd'hui , avec la COVID , qui sait ? Les dernières lignes du roman ne laissent guère de choix ....A nous tous de voir .
En toute sincérité, ce livre remarquable ( je pèse mes mots ) mériterait vraiment d'être primé , ce serait la moindre des choses , mais , plus encore , on devrait le faire lire dans le secondaire tant la richesse des thèmes abordés ne peut qu'émouvoir et responsabiliser les jeunes générations.
Comme d'habitude , j'ai exprimé mon ressenti , rien que mon ressenti , voilà comment j'ai perçu ce livre que je me permets de vous recommander chaudement , en toute modestie ....Quand vous l'aurez lu , vous me direz , s'il vous plaît.
Une rencontre comme celle- ci ne peut pas " rester sans lendemain " , cependant je ne souhaiterais pas apprendre que ce roman aurait une suite ( rumeur ...) . Restons en là et ...à nous de jouer .
Ma libraire ayant adoré aussi .....1976 - 1999 : nous avons ouvert la boite de Pandore...Vite , vite , le couvercle !!
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En près de quatre cents pages, Serge Joncour (L'amour sans le faire, L'écrivain national, Repose-toi sur moi, Chien-Loup), avec son talent habituel de conteur, balaie des vingt-quatre dernières années du XXe siècle. Dans Nature humaine, au travers de l'histoire émouvante d'Alexandre Fabrier, c'est toute une époque qui défile avec la transformation des paysans en exploitants agricoles, l'arrivée des hyper et supermarchés, plus l'extension des zones commerciales causant l'artificialisation des meilleures terres.
Si tous les chapitres sont soigneusement datés, tout tourne autour de cette fin décembre 1999, avec ce fameux 1er janvier 2000 qui approche. Quatre grandes parties se succèdent : 1976-1981, 1986, 1991 et 1996.
1976, c'est une terrible canicule qui assomme le pays. Alexandre a quinze ans et il apprécie de voir les filles dénudées à la télé. Par contre, aux Bertranges, dans la ferme familiale, aux confins du Lot, proche de l'Aveyron, sur la commune de Cénevières, il faut travailler dur, trouver à boire pour les vaches, élevées ici uniquement pour la viande.
Si les grands-parents ont passé le relais aux parents d'Alexandre, ils vivent tout près, au bord de la rivière, et s'adonnent au maraîchage. Alexandre a trois soeurs : Caroline (16 ans) qui est brillante élève au lycée, Vanessa (11 ans) qui ne pense qu'à son Instamatic, et Agathe (6 ans), la petite dernière.
Tout près de la ferme, vit le père Crayssac qui refuse tout ce modernisme castrateur et destructeur. Il va même se battre au Larzac contre l'extension du camp militaire car il ne se contente pas d'élever ses chèvres et de vendre ses fromages, il refuse aussi ces poteaux téléphoniques en bois traité qui empoisonne les sols.
Au fil du récit, je vais retrouver tous les combats d'une époque, contre le nucléaire, comme à Creys-Malville ou à Golfech, avec la violence des manifs réprimées très sévèrement et les attentats ou sabotages menés par certains activistes. C'est d'ailleurs en 1980 que la vie d'Alexandre prend une tournure décisive. Caroline est étudiante à Toulouse et Alexandre la ramène en GS jusqu'à son appartement qu'elle partage avec quelques colocataires. Là, il est captivé par Constanze, Allemande de l'Est venant de Leipzig, qui étudie la biologie et le droit, blonde sublime…
Le dimanche 21 septembre 1980, c'est la fête dans l'appartement de Caroline, à Toulouse, et Alexandre se sent ringard devant ces militants politiques anti-nucléaires. Cela ne l'empêche pas d'écouter Xabi, basque espagnol, et Anton, une autre Allemand. Quand Constanze le voit avec eux, elle commence à s'intéresser à lui. C'est le début d'une histoire d'amour très chaotique qui va beaucoup influencer Alexandre, fou amoureux de Constanze.
Serge Joncour dont j'avais bien apprécié l'humour lors de la présentation de Nature humaine aux Correspondances de Manosque 2020, m'a maintenu captivé par son récit branché sur une actualité me rappelant beaucoup de souvenirs. Il démonte avec talent toute l'évolution du monde agricole aspiré par la grande distribution en plein essor. le nombre de fermes diminue de plus en plus car, pour les jeunes, pas question de travailler aussi dur tout en se privant de loisirs. C'est pendant ces années-là que la société de consommation et le libéralisme triomphant ont signé l'arrêt de mort de toute une civilisation basée sur l'amour des bêtes et de la nature.
Quand Constanze découvre les Bertranges et tout l'environnement préservé, elle est ébahie. Elle apprécie, adore même mais ce n'est pas suffisant pour qu'elle reste là… À cause d'elle, par amour pour elle, Alexandre se retrouve complice des activistes mais cela lui a permis de vivre une expérience inoubliable avec cette distribution de tracts en 4L.
Bien sûr, 1981 scelle l'arrivée de la gauche au pouvoir avec l'élection inimaginable de François Mitterrand. Hélas, il faudra déchanter quelques années plus tard.
En 1986, on commence à parler d'une autoroute qui détruirait tout l'équilibre de la vallée. On évoque aussi la donation-partage pour la ferme avec les conséquences financières pour Alexandre qui devra rembourser ses soeurs. C'est surtout l'année de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl mais, par bonheur, les nuages radioactifs ont eu le bon goût de s'arrêter à la frontière de notre pays…
1991 et tout s'accélère. Alexandre a 30 ans. Caroline enseigne au collège et sa petite Chloé captive toutes les conversations.
En 1996, si Alexandre a la ferme pour lui seul, la surprise annoncée par Crayssac fait son effet mais Constanze est bien loin. Tout est fait pour le pousser à moderniser ce qui devient une exploitation agricole, élever toujours plus de vaches et s'endetter pour quinze ans.
Poussé à bout, Alexandre n'en peut plus comme beaucoup d'agriculteurs qui ont cru bien faire en suivant les conseils des banquiers, des spécialistes agricoles et de la grande distribution. Tout se termine avec la terrible tempête du mardi 28 décembre 1999. Plus d'électricité, des dégâts considérables, beaucoup de victimes mais, pour Alexandre, c'est l'occasion d'un sursaut qui, peut-être, sera salvateur.
Finalement, avec cette fin ouverte, Serge Joncour pourrait, s'il le souhaite, nous faire vivre encore un peu avec Alexandre…


Lien : https://notre-jardin-des-liv..
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Bien que tout soit déjà dit dans les quelques excellentes critiques qui présentent le dernier né de Serge Joncour , je me dois de venir appuyer les louanges .

En effet , je referme " Nature Humaine " à regret avec le sentiment d'avoir fait un beau voyage dans le temps en partageant la vie d'une famille de paysans lotois , attachante et sympathique .
La ferme centenaire , berceau de cette famille ," la matrice " , est le cadre qu'a choisi l'auteur pour nous proposer une rétrospective sociétale aboutie , lucide , et émouvante .
Mais , la marche du temps observée depuis un beau domaine niché au coeur d'une nature luxuriante va devenir une menace et les remous ne vont pas manquer à cette fresque paysanne qui se situe entre 1976 et 1999 .

Parfois , le récit prend aussi l'accent de Toulouse pour rejoindre la jeunesse estudiantine ou alors on quitte le Lot pour un périple en Aveyron où les causses font figure de maquis pour des rebelles repentis (ou pas ) , des écoterroristes aux allures hippies qui firent leurs classes au Larzac . L'auteur en profite pour évoquer en filigrane les motivations perverties se cachant derrière les luttes les plus nobles .
Pas facile de séparer le bon grain de l'ivraie pour Alexandre le jeune héros , fils de la maison et personnage principal que l'on va regarder grandir , évoluer et se construire toujours guidé par une sagesse héréditaire malgré les apparences parfois trompeuses ...je n'en dirai pas plus !

Sinon , le roman présente une alternance constante de l'intrigue avec des chroniques historiques .
Les domaines politiques ou économiques font aussi place à de savoureux souvenirs du quotidien des français , des bribes parfois désuètes et bien souvent nostalgiques .

Bien sûr , l'accent est mis sur l'évolution des campagnes soulignant au passage les drames subis par un désenclavement inévitable .
Mais , j'ai surtout retenu le portrait changeant du monde rural : la désertification des campagnes , la mort des exploitations , la métamorphose du paysan en exploitant agricole et toutes les contraintes qui viennent tuer le sentiment de liberté et de quiétude .
On voit peu à peu s'étioler la sagesse ancestrale , le bon sens paysan rudement mis à mal .

Pourtant , malgré la gravité d'un sujet qu'hélas on connait bien , le roman va garder un caractère lumineux , dynamique porté par une belle écriture empreinte de poésie , de tendresse , de finesse et piquée ici et là de traits d'humour.
le rythme est enlevé , la forme bien pensée pour servir un travail d'investigation très dense et rondement retranscrit où foisonnent les anecdotes de la grande et la petite histoire .
Et , j'oubliais , la trame offre quand même une histoire d'amour plutôt compliquée !

Mais , c'est l'idée maîtresse qui me revient le plus à l'esprit persuadée que la transformation de nos campagnes nous concerne tous et je crois que ce livre souligne la lente évolution de la conscience collective .
Il n'est pas sans me rappeler l'oeuvre de Georges Rouquier dans " Farrebique" ( 1946 ) et "Biquefarre" (1984 ) deux superbes films documentaires retraçant aussi l'évolution d'une famille de paysans aveyronnais face au progrès .

Et voilà que s'achève pour moi un excellent moment de lecture . Des quatre romans de Serge Joncour lus , ce dernier est mon préféré et j'envie ceux qui ont encore à le découvrir !
Bonne rentrée littéraire à tous !



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un premier chapitre se déroulant le jeudi 23 décembre 1999 augure d'une fin peu réjouissante, et, si tout aurait pu se jouer autrement, Alexandre, le seul à vivre maintenant au sommet des prairies depuis la mort du chevrier Crayssac, ce vieux fou et le départ des parents de la ferme, n'éprouve cependant aucun regret.
C'est au travers de cette famille, les Fabrier, qui ont vécu dans cette ferme du Lot durant quatre générations et particulièrement à travers le regard du jeune Alexandre que Serge Joncour nous donne à revivre trente ans de la vie d'une ferme avec les révolutions du monde agricole et par là même trente ans d'histoire nationale, dévoilant ainsi beaucoup de la nature humaine !
Nature humaine se situe donc dans la France rurale entre la canicule de l'été 1976 et la violente tempête des derniers jours de l'année 1999, deux évènements météorologiques annonciateurs de la catastrophe environnementale que nous vivons.
Alexandre, 19 ans, ce jeune agriculteur, a rencontré Constanze à Toulouse où sa soeur aînée est partie faire ses études. Cette allemande de l'Est, militante antinucléaire pour qui il a un vrai béguin l'amène à rencontrer des activistes violents et à mettre le doigt dans un engrenage qui sera source de beaucoup de suspense.
Serge Joncour, en excellent conteur et amoureux de la terre, raconte les révolutions du monde agricole, nous faisant prendre conscience avec acuité des effets des décisions d'hier dans le désastre écologique que nous vivons aujourd'hui. L'exode rural illustré par les trois soeurs d'Alexandre préférant faire leur vie en ville, n'imaginant pas un seul instant rester à la ferme, l'arrivée du téléphone, des hypermarchés , en l'occurrence, le Mammouth de Cahors, débouché dans un premier temps pour les agriculteurs bien vite contraints de modifier leurs habitudes pour subvenir aux engagements pris, le productivisme , les engrais qui auront un rôle primordial dans le récit, le fameux RoundUp, les animaux en batterie, la vache folle, la construction des autoroutes, la mondialisation des échanges, autant de « progrès » pour lesquels le monde rural n'aura d'autre alternative que de s'adapter s'il veut survivre, tout en assistant à la décomposition progressive de son univers.
Une grande place est donnée également à la construction des centrales nucléaires avec le combat mené par les activistes anti-nucléaires dans les années 80 et bien sûr la terrible catastrophe de Tchernobyl en 1986.
Cette fresque rurale rétrospective nous plonge dans les années Giscard, Mitterrand et Chirac avec notamment ce moment d'anthologie que nous fait revivre Serge Joncour avec l'élection de François Mitterrand ! C'est aussi la catastrophe de Tchernobyl, comme relatée précédemment, avec les infox qui ont circulé alors, et, la chute du mur de Berlin en 1989.
Ce n'est pas sans nostalgie que j'ai replongé dans ces années-là. Serge Joncour les a particulièrement bien retracées, leur redonnant vie avec brio.
L'auteur dresse de beaux portraits psychologiques et dépeint avec justesse les contradictions qui animent les personnages du roman.
Pour exemple, si pour Constanze, les terres des Bertranges sont véritablement un lieu édénique, elle n'envisage pourtant en aucun cas y vivre, à l'instar de beaucoup de citadins d'aujourd'hui.
Mais c'est avant tout ses descriptions toutes de poésie de ces coins de nature encore épargnés par la mécanisation qui m'ont le plus émue et bouleversée, des pages magnifiques, de vraies toiles de maître, de même que les rêves de bonheur de ce courageux jeune homme pourtant confronté à un amour impossible mais que parvient à combler cette « nature humaine ».
Nature humaine, Prix Femina 2020, hautement mérité, est un roman rural simple, délicat et rythmé, au ton un peu désabusé certes, mais comment ne pas l'être, que je recommande fortement.
Ayant eu le plaisir d'assister à la présentation de son livre aux Correspondances de Manosque, en 2020, j'ai été conquise par cet auteur, son humour, sa simplicité et son amour de la terre.

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Juillet 1976, aux Bertranges, comme partout en France, l'on guette un ciel annonciateur d'une pluie tant espérée. Pour la dernière fois, les Fabrier plantent du safran. Signe évident d'un changement d'époque. Si trois générations vivent encore sur ces terres, l'avenir est pour le moins incertain. Si les parents s'affairent toujours autant, les enfants, eux, commencent à prendre leur distance, surtout les trois filles attirées par les lumières de la ville. Seul Alexandre s'active à tous les postes, digne repreneur de la ferme familiale, son paradis. Sa rencontre avec Constanze, une Allemande de l'Est, et les changements radicaux qui vont bientôt bouleverser son métier pourrait-elle le faire changer d'avis ?

De 1976 à 1999, de la sécheresse qui fatigua aussi bien les hommes que les bêtes à la tempête qui balaya une grande partie de la France, Serge Joncour balaie 24 années, nous plongeant aussi bien dans la grande Histoire que la petite. Celle de Mitterrand arrivant à la tête du pays, celle de la mondialisation, celle du réveil des consciences, celle de la contestation, celle du Mur de Berlin, celle de la désertification, celle de Tchernobyl mais aussi celle d'Alexandre, qui du coin de verdure de son Lot, assiste, aussi bien en tant que spectateur qu'acteur, à la mutation d'un pays mais aussi de sa région. L'auteur décrypte, avec finesse et sans doute avec un brin de nostalgie, tous ces événements, fussent-ils bons ou mauvais, qui ont jalonné la vie de ses personnages. En tête, Alexandre et sa famille à laquelle il s'oppose parfois. La mondialisation doit-elle se faire au détriment des petits commerçants ou exploitants ? A-t-on les moyens et le pouvoir de défendre ce qui nous semble essentiel ? Autant de questions soulevées dans ce roman. Comme toujours, Serge Joncour, de par sa plume empreinte d'humanité, affiche une tendresse particulière envers ses personnages, qu'il s'agisse d'Alexandre, ses soeurs, Constanze ou le vieux Crayssac. Une magnifique fresque du monde rural, profonde, sensible et d'une grande justesse...
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En 1976, année de sécheresse et de chaleur, Alexandre Fabrier sait qu'il va reprendre la ferme familiale située dans le Lot, depuis quatre générations.
Ses soeurs quitteront la campagne pour Toulouse et Paris.
On installe le téléphone, la télé, un Mammouth à proximité.
Une scène que j'ai appréciée pour son côté comique et triste à la fois, c'est la sortie au Mammouth en famille. Une mise en scène très soignée avec la voiture, signe de réussite.
La maman Fabrier voit ces barquettes de viande et en reconnaît immédiatement la mauvaise qualité.
Mr Fabrier reçoit des propositions de revendeurs de cette grande chaîne pour acheter ses bêtes mais celui-ci se rend compte qu'il ne pourrait pas suivre un tel rythme et surtout leur servir une viande de qualité avec un rythme aussi effréné.
Un personnage au caractère trempé et révolutionnaire est campé par le père Crayssac, un chevrier ami d'Alexandre mais pas des autorités. Il est agitateur et contre tout progrès même le téléphone.
Alexandre rejoindra petit à petit ces groupes activistes qui militent contre l'installation d'un camp militaire, contre les aliments transgéniques, contre le nucléaire, contre l'autoroute qui pourrait empiéter sur les terres des Fabrier etc...Les sujets ne manquent pas et à juste titre.
J'allais oublier de parler de l'évènement important du livre : la rencontre amoureuse entre Alexandre et Constanze, une jeune allemande de l'est, militante pour l'environnement. Elle rêve d'aller vivre en Inde et ce n'est pas demain la veille qu'Alexandre littéralement vissé à ses terres quittera le Larzac. Parfois, on ressent sa vie comme un sacrifice.
Dommage pour le conflit avec ses parents car il aurait bien besoin de solidarité dans un monde aussi difficile.
Serge Joncour parcourt les années de 1976 à la grande tempête de 1999 en y faisant vivre des personnages parfois très vrais, très attachants pour certains.
Cela en fait un roman très vibrant, très bien écrit qui mêle le faits de société et les personnages qui y évoluent de façon très habile.
Tout a une âme dans le roman, les faits, la campagne et surtout les personnes.
Un très beau récit.
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Nature humaine nous plonge dès les premières pages dans la fin des années soixante-dix, précisément durant l'été 1976 où sévit l'une des pires sécheresses qu'a connu notre pays. Nous sommes dans le Lot, un territoire rural, ce dernier roman de Serge Joncour raconte l'histoire d'Alexandre, qui va reprendre dans quelques années la ferme de ses parents, tandis que ses trois soeurs répondent à l'appel de la ville. Ici, aux Bertranges, l'exploitation agricole a vu passer quatre générations de Fabrier, ce lieu qui ressemble brusquement à une île perdue au milieu d'un monde à la dérive. Les mots de Serge Joncour nous invitent à accoster sur cette île.
Ainsi, l'histoire se déroule entre 1976 et 1999, ces temps où les choses se sont si vite accélérées, deux dates qui s'inscrivent comme une parenthèse, deux dates où l'on parlait déjà de dérèglement climatique.
Je me souviens de cette fameuse sécheresse de l'été 1976. Mes parents et moi étions partis en vacances au Pays Basque et tout était vert là-bas. Je me souviens de la fin des années Giscard, je me suis souvenu aussi de cette fameuse tempête de fin décembre 1999, mais surtout de l'effroyable pollution liée au naufrage de l'Erika. En Finistère, comme souvent, nous étions aux premières loges. Je me souviens que cette nuit-là il y avait dehors comme une allure de fin du monde. Elle fut pire ailleurs...
On pourrait voir ici une chronique douce-amère des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Mais ce n'est pas tout à fait cela.
Alors, est-ce une fresque rurale, un récit du terroir ? Pas tout à fait non plus.
Il y a bien sûr quelque chose de nostalgique. Mais ce n'est pas que cela non plus...
C'est un peu tout cela à la fois, mais quelque chose de bien plus fort encore, un fragment d'humanité qui arrache ces années au passé et nous les livre comme des messages intemporels.
Je retiens de ce roman que j'ai adoré un récit de la confrontation.
Comme on le dit souvent, et parfois de manière galvaudée, la petite histoire rencontre la grande Histoire. Sauf qu'ici, dans les mots de Serge Joncour, ce n'est pas galvaudé.
J'ai aimé le voisin, le père Crayssac, chevrier, écologiste avant l'heure, pris pour un illuminé, qui semble tenir un secret verrouillé comme une tombe.
Alexandre traverse ces années et nous les livre, j'ai l'impression par moments de lui ressembler. Je me suis en effet reconnu dans ces pages qui traversent mon adolescence et les quelques années d'après. C'est aussi la force de ce récit.
Serge Joncour, lui et moi sommes de la même génération, presque le même âge à sept mois près...
Je me suis aussi reconnu dans la bande-son de ces pages, Pink Floyd, Supertramp, U2, Crosby Still Nash and Young, Bruce Springsteen, David Bowie, Roxy Music, Nirvana...
Ce qui m'a saisi dans ce très beau livre, c'est cette incroyable humanité, fragile et éprise d'enchantements.
Ici c'est le Lot. Serge Joncour parle d'un temps qui ne m'est pas inconnu, d'un temps que je ne suis pas sûr d'avoir follement aimé, ces années quatre-vingt, quatre-vingt-dix, je ne sais pas pourquoi je ne les ai guère aimées, sauf peut-être ce 10 mai 1981, évoqué dans le roman, une date un peu fondatrice, l'élection de François Mitterrand. Lors de cette présidentielle c'était la première fois que je votais, au premier tour je me souviens avoir voté pour un certain René Dumont, j'avais davantage été séduit par son verre d'eau et sa pomme que par son discours. Plus tard, je me souviens avoir lu son livre L'utopie ou la mort. À l'époque, on n'accordait pas encore à l'écologie la même importance qu'aujourd'hui... Je fus sans doute influencé par mon professeur de physique-chimie au lycée, ce farouche militant de la cause environnementale et puis nous étions quelques-uns sensibilisés à lutter pour que le projet de centrale nucléaire de Plogoff, près de la pointe du Raz ne se réalise pas.
Je me souviens que le chanteur Jacques Higelin était venu nous soutenir lors d'un concert improvisé.
Le candidat Mitterrand avait promis que cette centrale nucléaire ne se construirait pas s'il était élu... Alors, forcément... L'élection de François Mitterrand était emplie pour la jeunesse d'alors d'un merveilleux élan, d'une formidable illusion, pour d'autres que les jeunes aussi... J'ai retrouvé dans ces pages des événements qui me sont proches.
Serge Joncour nous parle d'un rêve humain qui se mêle au songe de la nature... Je me souviens de ces années-là. En Bretagne, c'était l'arrivée des algues vertes sur de magnifiques rivages qu'on croyait protégés par leurs seules beautés.
J'aime ce roman par ses passerelles entre l'intime et l'universel.
Ainsi, le jeudi 24 avril 1986... Vous vous rappelez ? le fameux nuage qui fut stoppé net à la frontière monégasque ! Tchernobyl fut longtemps un cauchemar lointain jusqu'à ce que je fasse la connaissance d'une vendeuse d'un magasin de jouets à Brest, une femme ukrainienne qui avait vécu là-bas et qui devint une amie, elle avait douze ans au moment des événements, son corps garde encore aujourd'hui des séquelles irrémédiables.
Le père d'une amie de mon épouse eut moins de chance. Il était présent au moment des événements, dans l'équipe de sécurité qui intervint pour tenter de neutraliser l'accident. Il est mort deux jours plus tard. Je l'ai appris pas plus tard qu'il y a quinze jours, je me souviens, c'était juste la veille du confinement, sa mère très âgée était décédée une semaine auparavant, je lui ai alors demandée : et ton père Svitlana, il est encore vivant ? Elle s'est mise à pleurer en se rappelant cela.
Il y a aussi dans ce livre une trame romanesque qui porte le récit.
Ce roman est sublime parce qu'il mêle étrangement des histoires de femmes et d'hommes, des jeunes plein d'idéal, des moins jeunes ou presque déjà vieux avec leurs certitudes encore ancrées. On a peut-être tous un pan de nos vies qui dégringole de cette ruralité. Pour ma part, je dois remonter à très loin, à mes arrière-grands-parents du côté de ma mère.
Ici en Bretagne, l'agriculture est devenue très vite intensive, dévastant les bosquets, détruisant les talus, agrandissant les champs, fatiguant la terre, de petits agriculteurs étaient pris en otage par la dette bancaire et enivrés par les discours incohérents d'une fédération professionnelle inféodée aux gros propriétaires terriens. Parfois la seule issue était pour eux de continuer de s'endetter, de vendre leurs terres à plus riches qu'eux, ou de se pendre dans le fond d'une grange. C'est encore le cas en 2020. Il est vrai qu'ils ont abîmé la terre, se sont abîmés eux aussi, poussés par des lobbyings dont les équations laissent peu de place ni à la nature, ni à l'être humain.
Ici la nature est aux aguets, prenant les coups des hommes, prête peut-être à se venger un jour. Elle se retient encore un peu.
C'est la fin de la vie paysanne et agricole, un monde qui s'est tiré des balles dans le pied...
Le récit de Serge Joncour dit cela aussi et ses mots m'ont touché.
Une histoire d'amour traverse le récit comme une comète qui vient labourer le ciel. C'est une trajectoire qui brûle les pages, faite de silence et d'attentes... C'est la rencontre d'Alexandre avec Constanze, étudiante est-allemande. Je me suis souvenu alors du rideau de fer que j'avais découvert en 1978 au cours d'un voyage organisé par mon lycée. Ce fut aussi mon premier flirt avec une étudiante de là-bas, je me souviens qu'elle s'appelait Dorothea. Elle aussi portait un parfum de patchouli un peu entêtant...
Comme c'est étrange, j'ai parfois eu la sensation de feuilleter ici l'album photo de quelques années de ma vie...
Parfois les rencontres dans ce livre sont faites de choses improbables, des rencontres presque impossibles, et l'on pourrait se dire après coup, nous avons vécu comme cela dans ces années-là, nous nous jetions dans des histoires totalement impossibles et c'était follement excitant.
C'est l'histoire de deux mondes qui font le constat d'une incompréhension, une harmonie s'est brisée à certains endroits, les choses sont-elles désormais irréconciliables ?
Il y a sans doute quelque chose d'envoûtant dans ce passage de seuil. C'est comme le basculement dans le monde que nous connaissons aujourd'hui et sa tragédie.
Il y a la loi des saisons et celle des hommes. Longtemps elle fut en harmonie, elle ne l'est plus justement depuis les années qu'évoque Serge Joncour et sans doute même quelques années avant.
Étrange, cette rencontre entre Alexandre et des activistes anarchistes, lui demandant de fournir des engrais aux fins de fabriquer des explosifs. J'ai appris il y a peu que l'origine de l'agriculture intensive prenait sa source au lendemain de la seconde guerre mondiale, lorsqu'un ingénieur agronome eut l'idée de proposer d'écouler les stocks d'azote destinés initialement à l'armement en direction de l'agriculture, promettant d'observer des rendements phénoménaux. Comment reprocher alors à ces agriculteurs qui avaient encore l'âme paysanne cette belle mission qui leur était confiée : celle de nourrir la nation ?
Les personnages de ce livre sont attachants, Alexandre, ses parents, ses soeurs, l'amour fidèle qu'il porte pour Constanze.
J'ai apprécié la manière de Serge Joncour pour mettre toute morale à distance, toute idée de donner quelque leçon que ce soit. L'auteur livre une chronique intime dont les thèmes nous deviennent rapidement universels.
Serge Joncour nous rappelle simplement que ces deux dernières décennies furent totalement bouleversantes et complexes.
La mondialisation est déjà au rendez-vous de ces pages.
Elle est désormais là, dans nos vies, douloureusement, mais sur l'autre versant la nature humaine encore éprise d'espérance, façonnée par les mots de Serge Joncour, bat comme un rêve incroyable à saisir.
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Je ne regrette pas, d'avoir attendu aussi longtemps ce roman à la médiathèque.
Je n'en dirai pas grand chose vu le nombre important de critiques sauf que le fait de décrire de manière aussi brillante , trente ans de mutations d'Histoire Politique, d'Histoire sociale à partir d'une simple ferme du Lot «  Les Bertranges » : transformations radicales , confrontations ,mutations , catastrophes, tempêtes ,luttes, «  chant du cygne » d'une certaine vie rurale à priori , immuable , me semble un pari réussi , un défi maîtrisé au plus près .

En mêlant l'intime à l'universel, l'auteur réussit une fresque touchante , qui fait réfléchir aux bouleversements culturels , politiques et géopolitiques qui transformeront à jamais un tableau champêtre .... entre 1976 et 1999.

Un souffle ample anime ce tableau et l'on suit avec grand intérêt, le destin de cette famille dont Alexandre , le fils au lourd héritage , qui a grandi avec ses trois soeurs ....
Ici La Nature est confrontée à l'Homme , L'homme contre La Nature . ....
À qui la faute ?
Un très beau roman , instructif, contemporain , écologique , social et sociétal! !
Un coup de coeur !
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Les événements du roman se déroulent entre 1976 et 1999

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