Passons sur le titre, qui à première vue, rappelle les pires
Guillaume Musso. Car il n'en est rien.
Christine Jordis nous convie à la découverte d'un personnage, ou plutôt d'un être humain ayant existé, Henri de Foucaucourt, né à l'aube du 20ème siècle et mort à son crépuscule. Témoin de l'Histoire il aurait pu être, témoin d'une histoire universelle, celle d'un être humain cherchant la libération de soi et des contingences sociales, il a été. Ne nous méprenons pas, nous ne sommes pas ici dans un “Into the wild” fait Histoire, mais dans la quête personnelle d'un personnage ayant participé à la grande marche du monde tout en en refusant les codes temporels, restant fidèle à une morale de comportement toute personnelle.
Tour à tour instructeur, champion hippique, aventurier, combattant, commerçant, banquier, missionnaire… Mais exilé, toujours. Quelles que furent les nombreuses vies d'un être hors du commun, une fut sa quête : celle de l'absolu, celle du soi, bien loin des ors d'une lancinante tragédie bourgeoise ou aristocrate – bien qu'il soit bien né –, mais au plus près d'un homme qui a fait son temps tout en vivant dans un autre. le temps d'un esprit chevaleresque parfois suranné, dans le sens valeureux du terme et non romantique, celui d'un homme porteur de valeurs : celle de penser à se saisir soi en saisissant l'autre, qu'il soit Druze, combattant, Inuit…
Véritable directeur des ressources humaines de son unité dans la Seconde Guerre Mondiale, il a su faire sienne la maxime selon laquelle on ne peut demander à ses hommes de faire ce qu'on n'est pas capable de faire soi-même. Certainement pas gaulliste, encore moins pétainiste, mais fidèle à la liberté, il fut un combattant irrésolu : contre la barbarie nazie, contre l'occupant anglais, de la Syrie à Mers el Kébir, pour lui, pour ses hommes, pour le respect d'un choix de jeunesse. Un homme Inclassable, historiquement parlant, si ce n'est, toujours, sous cet angle d'une chevalerie dans un siècle qui a délaissé les mousquets pour les tapis de bombes : respectueux de son prochain comme il pouvait l'être de lui-même, préférant la preuve par l'action à tous les discours dont il s'est toujours méfié, marquant sa distance et sa défiance envers la politique car il est homme. Chevalier toujours, anachronique parfois, universel tout le temps.
Sous le couvert d'une biographie,
Christine Jordis sait toucher chacun de nous, pour peu que le lecteur voie d'un bon oeil voler les conventions sociales, considère chaque individu comme pouvant accomplir son destin personnel selon ses propres termes ; pour peu que le lecteur comprenne que rester libre ne signifie pas être lâché sans foi ni loi en plein monde, mais de mettre sa foi et sa loi au service de sa responsabilité envers le monde, mais aussi envers soi-même. Un destin lié à une seule idée : la fidélité. La fidélité au respect gagné parmi les hommes, la fidélité à soi. Qu'importent les récompenses.
On pardonnera aisément à l'auteur certaines langueurs et répétitions dans son commentaire parfois didactique des actions de M. de Foucaucourt, tant ces “explications” rendent la lecture plus limpide et la compréhension de la logique d'un personnage aussi insaisissable plus commode. Un personnage en quête d'ataraxie, de la Syrie au Pôle Nord en passant par le Centre de la France, en quête du bout de soi, de libération, de vivant, mais toujours condamné, limité par sa propre propension au mouvement, au défi, à l'optimisation. Un personnage qui ne saura trouver la paix dans un monastère, ni dans le temps de l'amour, qu'il n'a su prendre. Incapable mari, insoluble dans la vie “rangée” du mariage et des manières, oui, mais aussi capable de la plus grande fidélité, celle de sauver de la faillite une belle famille qui ne lui ressemble que si peu. Avoir le sentiment du devoir accompli pour avoir le sentiment du soi accompli. Qu'importe presque si l'amour reste sur le bas-côté de la grand'route de cet homme : non qu'il n'ait aimé, mais qu'il n'ait su rester.
M. de Foucaucourt incarne sous la plume de
Christine Jordis une voie personnelle qui ne peut manquer de faire écho à quiconque trouve de l'inanité dans une vie civilisée et urbaine qui impose des répétitions sans but, des renoncements sans dessein, si ce n'est le trépas qui nous attend tous. Ce n'est pas pour rien que l'auteur ne révèle le nom de son héros – finalement extraordinairement ordinaire – qu'à pas feutrés, car, bien loin de la biographe, elle se pose en contemptrice de nos êtres : touchant du doigt la contradiction fondamentale entre nature et culture, elle questionne notre capacité à placer nos valeurs hors du quotidien, hors des figures imposées, et nous demande de poser leur cohérence quelles que soient les situations.
Parce qu'Henri de Foucaucourt pourrait être vous, moi, n'importe quel quidam, son message devient universel : quelle est la responsabilité d'un homme face à lui-même ? Pas uniquement dans les morceaux de bravoure que sont les grandes batailles ou les grands desseins, mais dans cette idée simple : comment puis-je me mettre à la place de l'autre si je ne suis pas moi-même ? Un roman qui satisfera donc les férus de destin, les férus d'Histoire, les férus d'histoires, mais aussi les insatisfaits, qui voient jour après jour l'humain libre s'enfouir sous les éboulis des obligations quotidiennes jusqu'à oublier sa propre nature. Celle de l'impossible. Finalement, ce titre à la
Guillaume Musso n'était pas si ridicule. Il m'a fallu un peu plus de 400 pages passionnantes pour le découvrir. Vous aussi, peut-être.
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