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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
La vieillesse , une décrépitude sans fin, rarement heureuse vu l'état physique qui décline, est abordée dans ce très beau livre de l'écrivaine portugaise Lydia Jorge, par Maria Alberta une vieille dame chanceuse qui pu garder ses facultés mentales intactes. Favorisée par un tempérament qui veux trop, donne trop d'ordres, surtout à sa fille 😊, aime trop quelque chose hors de sa portée et quand il ne l'atteint pas, cherche désespérément à transformer ce qui existe de façon à rapprocher l'objet défectueux de la réalité inatteignable, Maria Alberta valorise l'enchantement , la connaissance, saisit les instants de bonheur comme des bouées de sauvetage…
Résultat , un livre qui brille de l'éclat de la vie, au contraire de nombre de livres très sombres sur le sujet, bilans de vie qui additionnent les faits d'une existence pour en tirer un trait, et mettre fin à l'addition . Maria Alberta qui vit dans une maison de retraite appelé Hôtel Paradis est directement inspirée de la figure réelle et concrète de la mère de l'écrivaine, qui lui demande d'écrire un livre intitulé Misericórdia, en en parlant tout au long de son séjour à l'Hotel Paradis, mais surtout le dernier jour comme un ordre où elles se verront pour la dernière fois sans qu'aucune des deux ne le sache . La fille au premier abord ne prend pas cette demande de la mère au sérieux jusqu'à ce que cette dernière finalement disparaissant , elle réalise que l'ordre était son testament. À partir de ce moment-là, partant d'un monde fictif elle essayera de raconter la réalité que vivait sa mère, s'appuyant sur la « transcription d'une archive audio » de presque quarante heures de « témoignages » de Maria Alberta Nunes Amado, enregistrés pendant un an quasiment jour pour jour entre avril 2018 et avril 2019 . Jorge précise « Bien entendu, il s'agit là d'une autre réalité, comme cela se produit dans la construction de toute oeuvre de fiction. Il m'est très difficile de démêler , il existe une zone de transfusion entre le vécu et le vécu rêvé qui est difficile à dissocier. »
Misericórdia suscite également une réflexion sur le moment dans lequel nous vivons et sur la manière dont la condition humaine y réagit. En pleine conscience de ses capacités diminuées d'où découle sa situation de dépendance, où son intimité corporelle n'existe plus, Maria Alberta arrive encore à se frayer un chemin dans l'existence, s'attachant à ses pensées, ses ressentis qui lui donnent une joie de vivre attisée par son tempérament de curieuse « une belle personne a le pouvoir de tempérer la laideur du monde par la beauté. Dans un autre registre, ici déjà, à l'Hôtel Paradis, j'ai vérifié qu'une simple corbeille de fruits roses suffit à transformer un espace triste aux murs gris en une enceinte accueillante. »
Bien que très réaliste aucune note macabre dans ce récit très intime, où poésie, rêves, et zestes de fantastique comme l'invasion de la maison de retraite par les fourmis se chevauchent. Tant que la vie continue et qu'on possède encore les moyens de penser, rêver, aimer, détester….il faut en profiter. Un très beau livre émouvant où j'ai passé des moments délicieux en compagnie de Maria Alberta qui en plus d'être futée a le sens de l'humour 😊!

« Être en vie c'est me souvenir des mouvements du temps et du rythme de la floraison. »

Un grand grand merci aux Éditions Metaillé et NetGalleyFrance pour l'envoie de ce très beau livre !
# Misericordia #NetGalleyFrance
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Il y a des lectures qui s'imposent à vous, des livres qui sont dans votre PAL depuis quelque temps, et un jour, il faut absolument les ouvrir. Celui-ci en fait partie. Il m'a accompagnée tout ce mois de Novembre, dans l'attente de l'anniversaire de ce jour il y a deux ans aujourd'hui, et dont l'écho résonne encore douloureusement en moi.

Misericordia est beaucoup de choses, et aborde beaucoup de sujets.

C'est l'histoire d'une vieille dame, dépendante physiquement, mais avec toute sa tête, une femme en exil dans cet hôtel Paradis, nom paradoxal pour ce qui constitue pour ses pensionnaires l'antichambre de la mort.

C'est l'histoire au jour le jour de cet établissement, avec ses différents pensionnaires, les menus ou grands évènements qui se passent, de l'invasion de fourmis à la visite d'un photographe, du départ des aides-soignantes vers des boulots mieux payés à l'arrivée de nouveaux bras, étrangers et heureux de travailler, de menus larcins, d'amour aussi entre pensionnaires, d'une soignante enceinte, d'une autre surnommée Bosch, d'une directrice peut-être trop jeune.
C'est le quotidien vu par cette vieille dame de tous ces personnages, des sorties appréciées dans le jardin, du piano que l'on écoute grâce à un des résidents, de la nuit où certains résidents errent dans les couloirs tandis que d'autres s'aiment encore…
C'est aussi l'arrivée du Covid, alors peu connu et qui fera des ravages.

Une vieille dame forte, au tempérament affirmé, qui veut encore tout régenter, qui perd parfois un peu la mémoire, qui doit faire avec la déchéance de ce corps, qui a décidé de ne plus suivre les nouvelles parce qu'elle ne croit plus que le monde puisse changer en bien, mais qui nous enchante par ses réflexions, quelquefois drôles, souvent poétiques, toujours étonnantes, suscitant en écho chez le lecteur questions et introspection, refusant de se laisser abattre malgré les larmes qui perlent parfois, malgré les défaillances du personnel, malgré la douleur, malgré la mort qui rode la nuit …

C'est tout cela ce livre, mais cela a été d'abord pour moi une formidable histoire d'amour, l'amour d'une mère pour sa fille, l'amour d'une fille pour sa mère, un amour qui ne se dément pas malgré les disputes, les reproches, les incompréhensions aussi souvent :
« Ma fille peut dire des choses bizarres, mais c'est la créature la plus importante qui existe sur Terre, l'être le plus précieux de tout L Univers. Si je devais choisir entre L Univers avec la Terre au centre, et tous les habitants existants et elle, elle seule en tant qu'être humain, je choisirais ma fille. »
Et c'est en cela qu'il m'a bouleversée.

Merci à NetGalley et aux éditions Métailié pour ce partage, et à Idil et Eric (Bookycooky et Merik) qui les premiers ont attiré mon attention sur ce roman.
#Misericordia #NetGalleyFrance
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La narratrice est une vieille dame qui réside à la maison de retraite « Hôtel Paradis », quelque part au Portugal. Un endroit au nom douteux, dont on ne sait s'il veut désigner un lieu paradisiaque pour la fin de vie, ou un purgatoire permettant d'obtenir un hypothétique éden post-mortem.
Mais soit.
Dona Alberti n'a plus l'usage de ses jambes et à peine celui de ses mains, mais il lui reste toute sa tête et son sens aigu de l'observation. Sa fille lui a offert un petit magnétophone sur lequel la vieille dame a enregistré une sorte de journal vocal, entre avril 2019 et avril 2020.
Dans Misericordia, Lídia Jorge a retranscrit, en les mettant en ordre et en forme, ces 38 heures d'enregistrement de la voix de sa mère (puisque c'est bien d'elle qu'il s'agit), qui témoigne ainsi d'une année de vie en maison de retraite. Un microcosme fait d'amours et de chamailleries entre résidents, d'amitié et de solidarité, de ragots et de mesquineries. Dona Alberti évoque aussi l'attitude du personnel soignant, attentif mais dépassé en raison d'un manque chronique d'effectifs, sa relation avec sa fille, cette écrivaine qu'elle ne comprend pas, sa résistance à la Mort et à son avatar, la Nuit, à laquelle elle livre des combats acharnés, et l'arrivée du Covid et du confinement au début de l'année 2020.
Dépossédée de sa vie d'avant dans sa maison et son jardin, et de son corps qui l'abandonne, Dona Alberti est également confrontée aux étourderies du personnel soignant qui ne répond pas aux appels pendant la nuit, ou qui l'oublie pendant des heures dans son fauteuil roulant au bout d'un couloir désert, sans compter la débandade de certains au début du Covid et le manque d'information à propos de la situation et des mesures de confinement. Il y aurait de quoi se révolter, parce que même si on peut comprendre que le personnel soit débordé, ces situations où les résidents sont infantilisés, déshumanisés, sont intolérables, et n'en constituent pas moins de la maltraitance et des atteintes à la dignité et l'intégrité humaines (ce qui a le don de me mettre en rage, mais c'est une autre histoire).
Mais il n'y a aucune amertume à cet égard dans le récit de Dona Alberti. Elle s'exprime avec lucidité, humour et ironie, avec de la joie et quelques larmes, mais sans « nourrir la mélancolie ». Elle ne se résigne pas, elle veut vivre, se battre contre la mort et l'oubli, et de fait, Lídia Jorge en fait un personnage inoubliable.
Misericordia est un livre fort, un très beau plaidoyer pour la résistance, l'espoir et la vie, et un superbe hommage, sensible et bouleversant, de Lídia Jorge à sa mère. Un grand livre.

En partenariat avec les Editions Métailié.
Lien : https://voyagesaufildespages..
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Une naissance réjouit
D'avantage que la fin de vie
A "l'hôtel Paradis"
C'est l'exil pour le reste de sa vie
Car on le sait "avec le temps va, tout s'en va"
Et pourtant "Misericordia"
C'est un livre sur la bataille de vie et la résistance à l'effacement.
C'est ce que j'ai ressenti et très vite j'ai compris que les fins de vie ne se résument pas à une lente déchéance, même en maison de retraite
Mais tant qu'on est en lien avec les autres, on est vivant !

Lydia Jorge dédie ce livre à sa mère qui lui a demandé d'écrire cette histoire. Elle nous relate la dernière année de sa vie.
Maria Alberta Nunes Amado a décidé de quitter sa grande maison, après une chute : elle ne peut plus vivre seule. Elle va terminer sa vie au sein d'une maison de retraite "l'hôtel Paradis" :
"Cette résidence est un parterre magnifique et les résidents nos pétales chéris".
A travers ce personnage principal, on plonge dans l'intimité des fragiles qui malgré leur faiblesse, gardent une grande capacité de résistance et leurs rêves !
"Etre en vie c'est me souvenir des mouvements du temps et du rythme de la floraison."
Maria ne supporte plus la télévision ou les journaux
"Dans la vie, naturellement le bien succède au mal, dans les journaux, au contraire, on ne fait qu'ajouter du mal au mal."
Elle possédait un atlas et connaissait tous les pays et capitales.
Parfois sa mémoire toussote et elle s'obstine à faire fonctionner son esprit. Elle veut garder une mémoire intacte.
Le jour la prépare à affronter la nuit.
Car la nuit, angoissante, elle dialogue avec la mort comme un adversaire qu'elle veut vaincre !
Maria est cultivée, intelligente, très digne, elle déteste la vulgarité.
Mais elle a aussi un caractère bien trempé ! un mélange de vitalité, d'humour, d'indignation et de bienveillance envers les autres.
"Je ne sais pas ou mettre mes pensées qui sont beaucoup trop vastes pour le vase de ma tête et la taille de mon coeur."
Sa relation avec sa fille écrivaine est compliquée. Elle veut la conseiller, voir la diriger, sur sa façon d'écrire ses livres. Elle lui reproche que ses livres ne parlent que de misérables anonymes et sa fille répond :
« Exactement, tu m'as ôté les mots de la bouche, je suis un chien de l'Histoire, je vis pour flairer ses mouvements, la dénoncer, la mordre, la trahir. Je ne suis pas de sa famille, je suis son adversaire.” »
Sa fille face aux reproches maternels prétend qu'écrire serait faire l'amour à l'univers.
« Dans l'amour, il n'y a pas d'échange, tout est offert »
Et dans cette maison de retraite, il existe des histoires d'amour et d'amitié belles et tragiques à la fois et chaque relation aussi ténue soit-elle se limite parfois à un regard, un parfum, un geste : le peu et le petit comme révélateur du merveilleux de la vie.
ces moments de grâce avec le chant, la musique la remplit de joie !
"La tendresse
C'est bien moins haut que votre paradis
C'est tout au fond du ventre enfoui
La tendresse ...

Il n'est pas question d'occulter la maltraitance, le turnover du personnel, mais aussi ceux qui sont attentionnés et dévoués, les vols
il n'existe plus de lieu inviolable :
« Et il n'y a plus rien qui ne soit qu'à moi, ni mon corps, ni mon esprit », constate-t-elle avec tristesse.
Elle constate que leur vie à tous n'a pas moins d'intérêt ou de richesse que la vie de n'importe qui et que leur présent n'est pas moins important que leur passé. C'est toute la poésie de ce récit, un mélange de larmes et de rire
C'est un discours de révolte mais aussi de dérision et d'espoir dans la vie.
« Je suis de ces personnes qui ne pensent pas que l'espoir est le dernier à mourir.  Je pense que l'espoir est simplement immortel. ».

Une lecture que je n'oublierai pas !
Ce moment passé avec Maria m'a fait voyager dans mes souvenirs
et retrouver ma grand-mère : de belles émotions ! ...

La tendresse
C'est ce qu'on avait en naissant
Lorsque l'on était innocent
La tendresse
C'est tout ce qui nous reste encore
Pour faire un pied de nez à la mort
La tendresse .....
Henri Tachan





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J'ai toujours beaucoup aimé l'écriture de Lydia Jorge.

D'elle j'avais lu en 2017 « La dernière femme », et je me souviens très bien le choc littéraire que sa lecture m'avait provoqué, et que j'avais tenté de restituer dans un billet. La grande autrice portugaise a écrit de nombreux romans que j'ai et aimé, comme « le vent qui siffle dans les grues », que je vous recommande, ou « le Rivage des murmures », ou bien encore, à propos de la Révolution des oeillets, « les Mémorables ».

Misericordia » est "un pas de côté" dans l'oeuvre de la grande autrice portugaise.

Qui a déjà essayé en effet de décrire le quotidien d'une vie en EPAHD à la première personne ? C'est le défi qu'a relevé Lidia Jorge, en s'inspirant directement de sa propre expérience de sa relation à sa mère, disparue pendant le COVID, en la romançant.

Dona Maria Alberta est une femme d'un certain âge, comme on dit pudiquement, dotée d'un sacré caractère. Elle vit dans cet Hôtel Paradis, un établissement pour personnes âgées. Elle attend régulièrement la venue de sa fille écrivain, même si parfois ces visites lui causent bien du tourment.
Le matin elle a droit à la toilette effectuée par le personnel soignant, toujours trop rapide comme dans toute maison de retraite, puis elle est conduite en fauteuil roulant auprès des autres résidentes, puisqu'elle n'a plus l'usage ni de ses jambes ni de ses mains.

Et il se passe plein de choses dans cet établissement, ce tout petit univers avec ses 70 résidents qui constituent l'Alpha et l'Omega de son espace personnel, renonçant par exemple, contrairement à la pression de son gendre, à regarder la télévision qui lui donne des nouvelles d'un monde qui ne l'intéresse plus du tout.

Un beau sergent tourne la tête de sa voisine de table, Dona Joaninha. Une jeune femme d'origine brésilienne, Lilimunde qui sent bon la bergamote quand elle vient la voir, lui assure qu'elle ne connaîtra jamais aucun homme, mais va tomber amoureuse d'un Hongrois. Des fourmis attaquent les résidents et se retrouvent dans les lits et dans les plats qu'on leur sert – il faudra faire venir une entreprise de désinsectisation. Et puis il y en a qui disparaissent. Comme ce Sergent, peut-être mort d'une crise cardiaque suite à une nuit d'ivresse avec Dona Joaninha, mais la narratrice n'en dira rien et couvrira les frasques de son amie.

Il y est question de mystérieux vols aussi – des bottes disparaissent et réapparaissent. Et puis, comme dans tout EPAHD, on recherche du personnel qui accepte de faire ces travaux ingrats. Une arrivée de plusieurs travailleurs étrangers permettra à l'Etablissement de survivre.
Le Sergent sera remplacé par un certain Mr To, qui tente de soulever les résidents contre la direction de l'établissement, fédérant une colère sourde contre l'absence de prise en considération de leurs besoins réels.

Et puis il y a les fantômes. Ceux que Dona Alberta surnomme « la nuit » puisqu'ils arrivent avec l'obscurité, surtout si elle refuse d'avaler les somnifères qu'on lui prescrit. Commence alors un long combat contre ses forces du mal qui s'adressent directement avec elle et avec qui elle dialogue.

C'est à la foi ironique, poétique – Dona Maria Alberti a une véritable attention réelle à la beauté du monde – parfois brutal. On passe du rire aux larmes, et on est touchés.

Avec une question centrale : qu'est-ce que la mère d'une écrivaine peut conseiller à sa fille en matière d'écriture ? Elle se désole qu'elle ne prenne pas des personnages célèbres comme personnages centraux de ses romans. Ou qu'au moins le roman se termine bien.
Sa fille lui résume ce qu'elle fait en une phrase « je fais l'Amour avec L Univers ». Est-ce donc cela, le secret de la littérature ?

De tout cela on comprendra à la fin que ce sont 38 minutes d'enregistrement que la mère de Lidia Jorge a livré à la postérité. Dans une forme d'exploit littéraire qui consiste à se mettre dans la peau de celle qui lui a donné la vie, notamment dans son dialogue parfois douloureux avec sa fille écrivain. Curieux effet de miroir, que de se regarder au travers du regard de sa propre mère vieillissante ….

« Elle m'a dit qu'il fallait que j'écrive pour que les gens éprouvent de la compassion pour ceux qui ne peuvent plus dominer leurs corps », raconte Lidia Jorge.

En refermant « Misericordia », on a l'impression d'avoir rencontré une femme hors du commun, une femme qui a une volonté de fer et un humour et une ironie parfois mordante, et surtout une furieuse envie d'en découdre encore et de ne pas rendre les armes à tous les fantômes de la nuit qui la tirent vers le monde d'après.

Et on en est ressort profondément touchés.

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De retour d'un long voyage, je reprends doucement le cours de Babelio, à l'endroit où il est, comme un nouveau départ.
Misericordia est une expérience de lecture très particulière. J'ai lâché plusieurs fois le livre de Lidia Jorge mais il s'est accroché à moi et ne m'a plus vraiment quitté. Je pense encore souvent à Maria Alberta Nunes Amado, la résidente de l'Hôtel Paradis.
Les circonstances de l'écriture de ce texte sont singulières. La mère de l'auteure est décédée pendant le COVID dans l'EHPAD où elle séjournait depuis trois ans. Elle aurait demander à sa fille de retranscrire des notes enregistrées pendant un an, d'Avril 2019 à Avril 2020. Lidia Jorge a alors réalisé une sorte de « squiggle », c'est à dire une adaptation romancée des notes en question où elles s'engage aussi en tant que personnage. La plupart des chapitres sont conclus par des « notes écrites » qui sont en fait de sublimes haïkus condensant poétiquement l'état d'esprit du moment.
Le résultat est stupéfiant.
Rentrer dans le quotidien d'un EHPAD et dans la tête d'une personne âgée à la fin de sa vie est à la fois une épreuve exigeante et un trésor d'informations fines, drôles et constamment émouvantes.
Lorsqu'on est véritablement rentré dans ce pavé littéraire, le processus d'identification joue à fond. Maria n'est pas la plus facile des résidentes et la relation à sa fille est compliquée. On apprend qu'elle l'a élevée seule et qu'elle ne cautionne pas son style de vie. En fait les éléments biographiques de la résidente et de sa fille s'assemblent comme un puzzle au fil des pages, formant ainsi petit à petit une toile de fond sur laquelle s'imprime le quotidien de Maria.
Ce quotidien est d'une richesse inouïe même lorsqu'il est envahi par la désolation, la dépression et la maladie.
Maria tisse des relations fortes avec ses compagnes de table et certaines aides-soignantes. Mais le turnover est incessant tant du coté des malades (qui partent en ambulance pour ne plus revenir) que des soignants (qui quittent l'établissement pour de meilleurs emplois, remplacés par des migrants de toutes origines).
Dans ce quotidien il y a des amitiés, des amours, des rancunes, de l'homophobie, des racontars, des disputes, de la politique etc.
Maria a une conscience aiguë de la diminution de ses capacités physiques, de sa dépendance absolue ( elle est parfois laissée en plan, au milieu d'un couloir, pour l'après-midi) . Il n'y a plus d'intimité corporelle, elle doit sans cesse implorer qu'on rende sa sonnette accessible et tout est bien sur à l'avenant.
Elle évoque la rudesse de certaines auxiliaires, les situations de maltraitance, de vols et d'abandon. Mais elle se raccroche à un besoin persistant de connaissances, à son acuité à percevoir la beauté là où elle peut encore surgir, dans un vase, dans une coupe de fruit ou encore dans un feu d'artifice.
Maria Alberta et Lidia Jorge nous livrent un récit teinté d'humour, d'onirisme et de poésie tendre. de réalisme aussi, surtout lorsqu'un mystérieux virus venu de Chine fait son apparition.
Pour la plupart des gens, la nuit sert à préparer le jour. Pour Maria c'est l'inverse : le jour la prépare à affronter la nuit. Et dans la nuit il y a la Nuit, monstrueusement angoissante, métaphore de la mort bien sur, mais comme incarnée dans la reviviscence de tous les monstres infantiles contre lesquels la lutte est épuisante.
Et puis ce livre, on l'a déjà dit, nous parle d'amour. Amour pour sa fille au delà des disputes, des absences et des incompréhensions ( Écrire, dit sa fille, c'est faire l'amour à l'Univers !) , amour qu'elle réactualise dans une relation privilégiée avec une jeune auxiliaire mineure (Lilimunde), et…enceinte.
« Dans l'amour, il n'y a pas d'échange, tout est offert. » nous dit-elle.
D'une infinie richesse ce livre m'a profondément ému. Mais il est terrifiant. Les dernières pages sont implacables.
C'est avant tout une ode à l'humour, à la connaissance et à la tendresse:
« À bien y réfléchir, si ce lieu d'exil ne se transforme pas parfois en cour de récréation, en école, en cirque, en théâtre, en bordel, en asile, cette grande maison serait insupportable… »
Un immense livre sur la vieillesse et la dignité.
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🙏🏻Chronique🙏🏻

Alors la nuit, la perverse, m'a défiée, prenant entièrement possession de mon corps: « Raconte. »

Raconte-moi Dona Maria Alberta. Raconte-moi et je t'écouterai, attentivement, comme ma compère, la nuit. J'écouterai ce que tu sais de l'amour et des corps qui vieillissent, de la compassion et des corps qui se meurent, de la miséricorde et des corps qui disparaissent. Raconte-moi l'amour et les derniers jours. Raconte-moi tout de ce qui se passe à l'Hotel Paradis, dans ses moindres recoins, dans les pièces de couleurs et tout autour du domaine. N'omettant rien des preuves d'amour et de bienveillance mais aussi celles de la maltraitance. N'oublie rien, note, écrit, parle, observe, retransmet, vis, enregistre. Qu'il reste à ta fille, des traces de ton passage dans cette maison de retraite. Qu'il reste pour nous, l'éclatante vivacité de ton esprit, même si ton corps décline, raconte...
Raconte-moi les amies, les états passagers et l'humeur mélancolique permanente. Raconte-moi comment c'est de vivre entre quatre murs, raconte-moi les pertes et les joies futiles. Raconte-moi les ragots, les potins, les ateliers créatifs. Raconte-moi les questionnements qui vrillent la tête et font fléchir les corps. Raconte-moi l'humanité, la déshumanisation, le Covid. Raconte-moi les touts petits riens qui font les touts. Raconte-moi
Et surtout, redis-moi que l'espoir est immortel. Je veux y croire aussi fort que toi, Maria Alberta. Je veux y croire pour mes jours futurs, car la nuit m'oppresse déjà. Mais comme toi, je ne la laisserai pas gagner. Je ne lui laisserai aucun combat. Plutôt entamer une grève de la faim que de lui laisser quelque chose. Je veux avoir ta force de persuasion, ton acuité intellectuelle, cette attention au monde. Je trouve tes poèmes extraordinaires et si beaux.

J'aime te voir entourée de ces charmants pensionnaires mais je sais aussi, que certains ne le sont pas: charmants, bienveillants, tendres. Je sais aussi, maintenant ,le turn-over des aide-soignants. Comme on ne s'habitue à rien, ni à personne dans ces lieux-là. Comme la souffrance peut être forte, mais aussi chassée d'une seule incantation. Grâce à ce que tu m'as racontée dans ce magneto et puis, comme par magie dans ces pages, je sais la douleur de ces fins de vies. Mais c'est encore de la vie. La vie, toujours la vie. La vie est affamée de liens, d'attentions, de douceurs. Elle est affamée de caresses, de paroles, de voeux. Jusqu'à la toute fin, elle est affamée de cela, parce que tout se fait rare avec la vieillesse. L'amour se barre loin des murs. Des fois, il apparaît aux fenêtres. Reste cette amertume, qui des fois, t'emporte, en terre aride. Laisse ta fille, s'émouvoir des anonymes. Laisse-la croire en ce qu'elle veut, puisque toi-même tu sais que la pensée est liberté. Sois libre. Je feuillèterai le livre, la nuit, le jour. Chaque fois, que je comprendrai que la vie est précieuse.
Je suis tellement émue de refermer ce livre, ce soir, qui parle de toi et de elle. Je suis émue d'avoir compris la double signification du titre. J'ai tellement d'espoir de connaître ce sentiment. La miséricorde. Tout un programme. J'y suis tellement sensible. Encore que, le pardon est si compliqué. Il me reste encore du temps pour apprendre. Je suis seulement une femme qui utilise des mots pour faire cette chronique. Ça me suffit. Et puis, d'autres fois, ça me hante comme Bakou.
Voilà, tout est offert, mais rien n'est dit, comme dans l'amour. Et pourtant, l'amour fait tourner le monde, et mon coeur par la même occasion.
Je sais que tu aimes la lecture chère Maria Alberta, alors peut-être tu garderas cette feuille dans une page de ton livre,au cas où le réconfort se fasse pressant. Je reste là à attendre le temps des étoiles.
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Bienvenue à l'Hôtel Paradis, résidence pour personnes âgées, où nous faisons la connaissance de Maria Alberta Nunes, que l'on appelle familièrement Dona Alberti qui enregistre sur son Olympus Note Corder, ses pensées, ses émotions dans l'établissement. Elle est arrivée le 18 avril 2019, à la suite d'une chute qui a laissé des séquelles qui ne lui permettent plus de rester chez elle.

Elle nous raconte au jour le jour, les évènements, l'ambiance, les amis (et les autres), les soignants, en nombre insuffisants qui s'occupent de leurs corps, les lavent les habillent, sans échanger le moindre mot, pas même un simple bonjour, alors que Dona Alberti est toujours polie, la manière dont on pousse son fauteuil, qu'on l'oublie dans un coin comme un meuble.

Dona Alberti se lie avec une autre pensionnaire, Dona Juana, (qui pousse le fauteuil à l'occasion) qui est très différente d'elle, se précipitant vers un nouvel entrant, encore bien de sa personne, mais plutôt volage…

J'ai aimé la relation qui se noue entre Dona Alberti et une des soignante, Lilimunde, jeune Brésilienne, qui est, elle, à l'écoute, dans l'empathie avec la vieille dame, elle lui parle de la façon dont elle arrivée au Portugal, avec un réseau « religieux » qui n'hésite pas à ponctionner le peu d'argent qu'elle gagne, « à titre de dédommagement pour service rendu ». Elle doit compléter son salaire à l'Hôtel Paradis, avec une activité nocturne dans un bar. Parfois, tellement épuisée elle dort quelques minutes sur le lit vide à côté de Dona Alberti. Lorsqu'elle tombe amoureuse d'un étudiant hongrois, en vacances, elle raconte son amour.

Mais, il y a une valse dans le personnel, certains s'en vont, d'autres sont renvoyés pour faute, et la situation devient de plus en plus pénible pour les résidents : on ne fait que le strict nécessaire ! mais un jour, de nouveaux visages apparaissent, moins exigeants sur le salaire, plus corvéables et parmi eux Ali qui a le malheur d'être homosexuel.

Il y a soixante-dix personnes dans la résidence, à la table de Dona Alberti, il y a une entente cordiale, mais à côté il y a la table du Club des « Six Gentlemen Distribuent des Cartes »et le comportement de certains est odieux, notamment vis-à-vis d'Ali, avec des gestes déplacés, une homophobie revendiquée…

Dona Alberti reçoit la visite de son gendre, de sa fille, écrivaine dont les livres ne plaisent pas du tout à Dona Alberti ; les relations entre la mère et la fille sont tendues, parfois à la limite de la toxicité, ce qui rendent la résidente un peu moins sympathique, mais on comprendra plus tard pourquoi.

Bon an mal an, on arrive à surmonter les crises, entre mère et fille, ou au sein de l'Hôtel Paradis, avec une invasion par les fourmis, et tout ce que cela implique : désinfection, appel au spécialistes (ce qui rappelle le phénomène punaises de lits très actuel !) ou encore, les décès, les maladies, les vols, le désir de mourir parfois… Jusqu'à l'entrée en scène d'un certain virus, le COVID : plus de visites, plus de médecins, les infirmiers qui fuient… Etc. Etc.

Dona Alberti enregistre sur son appareil, elle écrit aussi des petits mots sur des feuilles volantes, comme des Haïkus, qu'elle a parfois du mal à relire…

Une scène m'a beaucoup émue : Dona Alberti cherche dans sa tête de quel pays Bakou est-elle la capitale, mais les jeunes ne savent pas, ou s'en moquent éperdument, jusqu'à ce qu'un résident lui réponde en précisant que si elle a besoin de savoir d'autres chose, ils sont là, lui et son smartphone. Chez elle, elle possédait un atlas, un globe terrestre lumineux qu'elle n'a pas voulu emporter à l'Hôtel Paradis.

Lidia Jorge nous livre un beau témoignage, car il s'agit en fait des notes et enregistrements de sa mère, qu'elle a retranscrit le plus fidèlement possible, en améliorant le style de l'écriture, témoignage bouleversant, de l'enfermement, quand le corps ne suit plus, mais que la tête fonctionne encore très bien, l'empathie (je préfère ce terme à Miséricorde plus connoté religieux à mon sens) qui manque souvent, et le tsunami déclenché par le COVID… le récit est très riche et j'ai choisi de donner la préférence à certaines des thématiques proposées par l'auteure, afin de ne pas être trop dithyrambique!

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Métailié qui m'ont permis de découvrir ce roman et la plume de son auteure que j'ai envie de connaître davantage.

#Misericordia #NetGalleyFrance !
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
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Ils sont rares, les romans qui mettent en scène des personnes très âgées, au crépuscule de leur vie. Des personnes dont on fuit souvent le regard.

Pour rendre hommage à sa mère, Maria dos Remédios, qui est décédée du Covid-19 en avril 2020, pendant la pandémie, Lidia Jorge a choisi de reconstituer la dernière année que la vieille dame a passée chambre 210, Hôtel Paradis. Un hôtel ? non, une maison de retraite du réseau "Santa Casa de Misericordia", au Portugal ; et Maria dos Remédios, qui n'aimait pas son nom, a pris, tout au long du roman, celui de Maria Alberta Nunes Amado. Quelquefois, elle sera simplement Dona Alberti.

Dona Alberti aimait écrire, et souhaitait plus que tout transmettre un témoignage. Alors qu'elle n'avait plus la force de tenir un cahier, elle a enregistré ses réflexions sur un petit magnétophone, et a réussi à gribouiller quelques lignes sur des feuillets qui ont été retrouvés et ordonnés. Lidia Jorge a écrit le roman à partir de tous ces éléments, auxquels elle a ajouté le souvenir de ses visites à la maison de retraite.

Lorsque nous ouvrons la première page de Misericordia, nous sommes le 19 avril 2019, il fait nuit, Dona Alberti est confrontée à la Nuit et à tous ses fantômes qui viennent la hanter. Nous faisons connaissance avec une vieille dame - un vrai personnage - qui a toujours beaucoup aimé la géographie et cherche le nom du pays dont Bakou est la capitale....
Dona Alberti nous dépeint en détail l'hôtel Paradis, ses résidents, et le personnel : le plus souvent de très jeunes femmes, immigrées, surchargées de travail, sous payées. Des jeunes femmes, comme Lilimunde, la Brésilienne, mais aussi des jeunes hommes, comme Ali, le jeune Maghrébin, qui se chargent de faire la toilette des résidents, de les faire manger, et leur parlent.... de la vie à l'extérieur, de leur vie.....
Le corps de Dona Alberti est usé, mais son regard vif se pose autour d'elle, et ne perd pas une miette du monde qui l'entoure.

Au gré des pages, le roman fera la part belle à la tristesse ou à la drôlerie, mêlera une pointe d'humour ou de réconfort à des situations difficiles. Un roman qui parle de vieillesse sans désespoir et nous dépeint des résidents qui souhaitent profiter de la vie que ce soit sous forme d'une musique, d'un oeuf sur le plat... d'un oiseau qui chante, ou du souvenir des fleurs de son jardin, comme Dona Alberti.

J'ai lu avec beaucoup d'émotion ce roman-hommage d'une fille à sa mère. Ce roman m'a beaucoup plu, je l'ai lu lentement, doucement, en souvenir de toutes les personnes âgées qui se sont brusquement retrouvées isolées, dans les maisons de retraite ou les hôpitaux, pendant la pandémie.








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Ce roman est une pure merveille de sensibilité et de poésie. le titre Misericordia a été choisi par Lidia Jorge à la demande de sa mère décédée en Ehpad du Covid en avril 2020. Miséricorde pour les personnes dépendantes, placées en Ehpad, et que la société ne veut plus voir, miséricorde pour les employés, sous-payés, exploités car sous-qualifiées, autre catégorie invisible qui hante nos services de santé. Tel est le sens que donne Lidia Jorge à ce titre. Avec cette oeuvre, l'auteure fait mémoire de sa mère afin de faire son deuil et rendre hommage à cette femme d'une grande intelligence et qui fut digne jusqu'au bout.

L'héroïne de ce livre est Maria Alberta Nunes Amado, entrée de son plein gré à l'Hôtel Paradis, une résidence pour personnes âgées, constatant qu'elle n'était plus suffisamment autonome pour vivre seule. La perte de l'autonomie est la question centrale de la vie en Ehpad. Comment garder sa dignité quand on dépend de la bonne volonté de l'autre pour tout acte de la vie quotidienne : se laver, se déplacer, se coucher, ramasser un objet… Sans oublier les vexations de la vie quotidienne : être oublié dans un couloir, les petits larcins, les humiliations… Et pourtant, dans cet Hôtel Paradis, dona Alberti, femme de caractère, entre en résistance contre le temps qui passe et la décrépitude, la perte de mémoire, en notant chaque jour quelques pensées. Elle s'émerveille de la pluie qui tombe, s'inquiète de la sécheresse qui assoiffe les plantes. Elle participe à la vie de la communauté, observe les incidents de la vie quotidienne, défend ses amies. Elle attend avec impatience les visites de sa fille avec qui elle a parfois des rapports conflictuels concernant les livres qu'elle écrit. Elle aimerait tellement que sa fille ait du succès ! Dona Alberti porte un regard bienveillant sur les aides-soignants, ces jeunes filles et ces jeunes hommes qui, pour la plupart, ont fui la pauvreté de leur pays et viennent chercher au Portugal émancipation et reconnaissance. Elle s'attache en particulier à Lilimunde, une jeune brésilienne de 17 ans dont elle devient la confidente. Puis la pandémie se déclare et l'Hôtel se referme sur ses pensionnaires qui décèdent les uns après les autres… Cette dernière partie est la plus poignante car elle nous rappelle l'abandon total qu'on vécut nos anciens. Il faudra un jour tenter de comprendre les raisons de cette faillite morale. Et peut-être construire un mémorial aux victimes invisibles de la pandémie qui a révélé que nous ne sommes pas égaux face à de tels évènements. Lidia Jorge en a posé la première pierre avec ce magnifique récit.
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