Un coup d'épaule de la nuit.
La forêt lâche ses vieillards au long des sentes,
bâille, s'étire et fait craquer l'ossature des lianes.
Qui parle ?
Chevaux cabrés, crinières, chevelures
écument l'air moisi de mousses et de brumes.
L'oiseau ricoche de feuille en feuille et se fige,
statue de bronze éteint et griffant une branche.
La grande peur lisse l'échine d'un renard
qui sèche au vent le sang de son museau
et s'étonne de cette contagion rouge dans les nuages.
Qui parle sous l'écorce, la boue ?
Quelle bouche étouffée par des chevelures ?
Aux berges du bayou la lune se baigne
comme une fille de maître, blanche et nue parmi les servantes.
LA BOUCHE
Bouche qui fus la fleur de nos glaciers,
seule présence écarlate en ce lieu
où ne neigeaient que lumière et que chaux,
oiseau de braise et rose déchirée,
torche où veillait une furtive flamme
dans le silence irrité de la nuit:
à d'autres vents se creuse ton baiser,
pour d'autres yeux tu brûles, tu fleuris,
tu vas soufflant promesse de brasier,
tandis que nous comptons dans la pâleur
du jour que lèche une langue de pierre
le peu de biens que nous laisse l'hiver.
Poèmes de Jean Joubert, extraits de "Longtemps j'ai courtisé la nuit", et de Jean-Marie Berthier, extraits de "Ne te retourne plus".