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EAN : 9782226016423
334 pages
Albin Michel (13/04/1983)
4.72/5   9 notes
Résumé :
Le processus d'individuation vécu et décrit par C.G. Jung constitue l'axe de la psychologie des profondeurs. Il aboutit à la réalisation d'une totalité psychique transcendant le moi et dénommée Soi, rassemblant en elle les contraires et offrant empiriquement les caractéristiques du « dieu intérieur » de la philosophie éternelle. Aïon étudie le Soi dans son rapport avec l'Homme-Dieu chrétien.

Le Christ lumineux est confronté dès l'origine avec sa cont... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
L'archétype du Soi constitue la clé de voûte du système jungien. Il représente la totalité à laquelle est censée conduire l'individuation. Soit, mais personne ne sait représenter, définir ou expliquer la totalité, sinon peut-être de la plus juste façon, c'est-à-dire l'apophatique. Jung ne choisit cependant pas cette voie et le symbole constituant, selon lui, la meilleure forme que puisse prendre une chose inconnue pour se faire comprendre à nous, c'est à travers les différentes occurrences de manifestation symbolique du Soi que celui-ci, par circumambulation, se laissera sinon définir, du moins approcher. L'homme ne peut que tendre vers la connaissance du Soi, sans jamais y toucher. Avec « Aïon », Jung nous propose donc différentes études sur la phénoménologie du Soi.


Les différences culturelles conditionnant les différences représentationnelles, Jung restreint volontairement son étude à l'aire du monde occidental même s'il se permet parfois des incursions dans la spiritualité orientale, supposant qu'au-delà des différences civilisationnelles, il existe un dénominateur commun plus profond – peut-être la possession et la maîtrise du langage, soit dit en passant. S'occupant donc prioritairement de notre civilisation, Jung juge que le Christ en est le maître symbole, organisateur des représentations les plus importantes des deux derniers millénaires. Ce symbole ne serait toutefois pas éternel – les spéculations qui lient la numinosité du Christ à l'ère des Poissons ne datent pas d'hier. Mais comment pouvons-nous comprendre le rapport qui a existé entre le Christ et ses multiples autres variantes symboliques ? Quelles sont les métamorphoses auxquelles doit nécessairement se soumettre un symbole, de son éclosion à sa décomposition ? Et de quelle mort s'éteint donc un symbole ? Ces questions apparaîtront éminemment empreintes de modernité.


Jung évoque la configuration dans laquelle se trouvait la matrice psychique humaine qui aurait permis à la figure du Christ d'être accueillie dans la gloire et de connaître ensuite diverses déclinaisons symboliques. Si le Christ a trouvé sa pleine numinosité dans le cadre de cette configuration mentale spécifique désignée par la prédominance de la symbolique du poisson dans l'Antiquité, notamment auprès des gnostiques, puis dans le cadre de la prédominance de la symbolique de la pierre dans l'alchimie médiévale, Jung s'interroge sur les attentes psychologiques de l'homme moderne qui présideraient à l'incarnation vivante de la numinosité christique à travers un symbole qui lui serait spécifique. Nous devons bien le reconnaître : la figure du dieu vivant décline, les hommes ont perdu la ferveur religieuse, et le sens s'éloigne jour après jour de nos existences.


« On néglige malheureusement de façon totale le fait que l'homme d'aujourd'hui est placé devant des exigences beaucoup plus grandes que celui des temps apostoliques : ce dernier n'avait aucune peine à croire à la naissance virginale du héros et du demi-dieu, et Justin pouvait encore utiliser cet argument dans son Apologie ; de même, l'idée d'un homme-dieu rédempteur n'avait rien d'inouï, (...). Mais nous ignorons tout désormais de la grâce divine qui oignait la personne des rois. Les récits merveilleux des évangiles qui entraînaient aisément la conviction des hommes de jadis seraient une pierre d'achoppement dans une biographie contemporaine, et produiraient le contraire de la foi. La nature merveilleuse et prodigieuse des dieux allait de soi dans le mythe encore vivant, et elle avait une signification toute spéciale et propre à convaincre, dans le raffinement philosophique de celui-ci. (...)
Mais pour l'homme moderne cette croyance est un mystère inaccessible ou une curiosité historique, et le plus souvent cette dernière hypothèse prévaut. L'homme de l'Antiquité ne voyait aucune énormité dans la vertu de l'eau bénite ou la métamorphose des substances, car il y avait aussi des sources médicinales dont les effets étaient incompréhensibles, et des modifications chimiques dont la nature apparaissait comme merveilleuse. »


Jung explique cet état de fait par la moindre naïveté dont serait revêtue notre civilisation par rapport à la civilisation antique quant au fait religieux. Ce désenchantement serait lié à l'attente d'une parousie qui ne s'est finalement jamais manifestée. Avec le recul, nous pouvons regretter le manque de pertinence de Jung dans ses explications – pertinence dont Freud, pourtant, témoignait déjà dans « Malaise dans la civilisation » : si le symbole maître régulateur des autres symboles et des relations des hommes entre eux et avec le divin n'a plus de poids, ce n'est pas en raison de sa dégradation substantielle mais bien plutôt à cause de la pulsion de mort qui, parfois, triomphe des forces de vie, et s'incarne dans certaines nouvelles formes de discours comme force de déliaison. Jung émet pour sa part l'hypothèse que le symbole pourrait être devenu obsolète, comme une voiture diesel à l'heure des restrictions dites écologiques, et qu'il ne flatterait plus ce nouveau penchant, apparu chez l'homme de la période industrielle, pour la découverte de nouveautés se succédant à des vitesses toujours plus effrénées sur le marché. En quelque sorte, l'homme moderne serait déçu par le mauvais produit christique : satisfait ou remboursé. le remboursement, en matière de choses religieuses, se produit de la sorte : l'homme renie inconsciemment la divinité en se créant de nouveaux symboles d'idolâtrie. Evidemment, ceux-ci ne durent pas, puisqu'ils sont profanes et qu'ils s'alignent donc sur l'inconstance des passions humaines, mais ils peuvent se renouveler très rapidement, et leur manque de consistance peut ainsi être dissimulée.


« Mais comme le Christ ne réapparaissait pas, une certaine régression ne manqua pas de se produire. Lorsqu'un tel espoir faiblit et qu'une attente exacerbée est déçue, la libido réintègre nécessairement l'homme, et la conscience de lui-même augmente par l'intensification de ses processus spirituels personnels, c'est-à-dire qu'il passe progressivement jusqu'au centre de son champ de conscience. Il s'établit alors, d'un côté, une certaine séparation de la sphère pneumatique, de l'autre, une certaine approche du domaine de l'ombre. Corrélativement, la conscience morale s'aiguise et parallèlement, le sentiment de la rédemption se relativise. »


Jung explique encore la déliquescence du catholicisme par le refoulement de son ombre – concept appliqué donc indifféremment aussi bien aux hommes qu'à la religion sans tisser le rapport qui relie les deux entités. Contrairement aux idées gnostiques qui reconnaissaient l'existence d'un mauvais démiurge pour jouir de la vie d'une certaine façon, la dogmatique chrétienne aurait selon Jung « contourné le problème » en parlant de la privatio boni, doctrine selon laquelle le mal n'existerait pas en tant que tel mais ne serait qu'une privation de bien. Jung s'insurge contre ce qu'il considère être comme une mutilation du Soi. La force maléfique n'en disparaîtrait pas pour autant, elle serait simplement rejetée ailleurs, par exemple sur la figure de l'Antéchrist. Lorsque la conscience refuse d'accorder de l'attention aux formations de l'inconscient, celles-ci ne cessent de trouver des moyens de plus en plus insistants et de plus en plus totalitaires pour se faire connaître. En voulant se préserver de l'aspect irrationnel qui caractérise l'inconscient, en refusant d'accueillir ses faiblesses, ses manquements et ses défauts, la religion chrétienne aurait exacerbé les forces de l'ombre. Nous remarquons toujours que Jung parle de cette religion comme d'un fait autonome qui serait pourtant structurellement établi sur le modèle humain. Il n'est ainsi ni psychanalyste (car il parlerait des hommes qui ont fait le discours religieux) ni théologien (car il supposerait alors que Dieu, qui n'est pas qu'une unité relative comme l'est l'homme, agit peut-être selon des mobiles et en vertu de fins dont la connaissance et la compréhension nous sont inaccessibles).


« Si un fait intérieur n'est pas rendu conscient, il se présente de l'extérieur, comme destin. Autrement dit, si l'individu demeure monolithique et ne devient pas conscient de son opposition interne, il est probable que l'univers devra figurer le conflit et être scindé en deux. »


Jung estime donc que la religion chrétienne, si elle veut toujours figurer dans les meilleures ventes sur le marché de la spiritualité, doit permettre au symbole christique de se rabibocher avec l'ombre, the dark side of the soul. Les hommes modernes ne voudraient plus de la perfection (mais qui a jamais cru que le Dieu chrétien était parfait ?), ils veulent désormais de la totalité, comme le laisserait bientôt présager la vitalité croissante du New Age avec ses idées-bonbons vite mangées, mal digérées. La conjonction des opposés, la voie du tiers inclus, le neti-neti – idées déjà toutes suggérées dans la Bible, mais sans doute pas assez explicitement, sans doute plus assez spectaculairement pour l'homme moderne. Il faut du clinquant, un combat apparent entre les forces du bien et du mal. Heureusement, Star Wars allait bientôt être créé mais en attendant, il fallait bien exprimer le besoin ressenti par quelques-uns de représenter cet affrontement. Besoin qui tient peut-être moins de la spiritualité que de la simple jouissance à voir le mal et le bien faire semblant de s'affronter. L'ombre n'étant pas intégrée, le Diable reflue sur terre, nous dit Jung, et il prend pour cette apparition les apparences les plus fourbes pour que les hommes, insouciants, le confondent avec le bien.


« Il [le Diable] est d'autant plus redoutable qu'on sait moins le reconnaître. Mais qui pourrait le soupçonner sous des noms aussi bien sonnants que prospérité générale, sécurité de l'existence, paix des peuples, etc ? Il se camoufle sous les idéalismes et sous tous les -ismes dont le pire est le doctrinarisme, cette manifestation la moins spirituelle de toutes les manifestations de l'esprit. »


L'ombre provoquerait donc la domination du Diable sous la figure du faux bien. Ce sont les bonnes intentions des « belles âmes ». le Christ ayant déjà beaucoup dit et montré à propos de ça, rien n'est besoin de rajouter ou de soustraire.


Cet essai, bien qu'il se propose comme une analyse extrêmement érudite, fouillée et originale des sources du christianisme, interroge par ses raccourcis et étranges condensations de l'homme au Christ/christianisme et du Christ/christianisme à l'homme. Parlant du Christ, il nous semble parfois que Jung ne parle que de l'homme, mais qu'il ne le sache pas lui-même. Finalement, ce n'est pas le Christ qui a besoin d'être updaté mais l'homme à qui il profiterait peut-être de prendre du recul sur certaines formes calcifiées de discours et sur certaines pensées-réflexes qui le dispensent de toute réflexion circonstanciée.

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Citations et extraits (94) Voir plus Ajouter une citation
Je ne donne à ce concept [de libre-arbitre] aucun sens philosophique, mais j’entends par là le fait psychologique bien connu de ce qu’on nomme « libre décision », c’est-à-dire le sentiment subjectif de la liberté. Mais, tout comme notre libre arbitre se heurte aux nécessités de l’environnement, il trouve ses limites au-delà du champ de conscience dans le monde intérieur subjectif, c’est-à-dire là où il entre en conflit avec les faits du Soi. De même que les circonstances extérieures nous heurtent et nous limitent, le Soi se comporte à l’égard du moi comme une donnée objective à laquelle la liberté de notre vouloir ne peut pas changer grand-chose. C’est même un fait bien connu que non seulement le moi ne peut rien contre le Soi, mais que même il est parfois assimilé par des composantes de la personnalité inconsciente comprises dans le processus d’évolution et qu’il est modifié par elles à un degré élevé.
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Il est souvent tragique de voir à quel point d'évidence un homme gâche sa propre vie et celle des autres sans pouvoir, pour rien au monde, discerner dans quelle mesure toute la tragédie vient de lui-même et se trouve sans cesse alimentée et entretenue par lui-même. Sans doute sa conscience n'y est-elle pour rien, car elle se lamente et maudit un monde perfide qui se retire à une distance de plus en plus lointaine. C'est bien davantage un facteur inconscient qui tisse en lui les illusions voilant le monde et le voilant lui-même. Et l'ouvrage tend vers la forme d'un cocon dans lequel le sujet est finalement enfermé.
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Le symbolisme archétypique naturel qui décrit une totalité embrassant à la fois l'élément lumineux et l'élément obscur est, dans une certaine mesure, en contradiction avec la conception chrétienne, mais non, ou à un degré relativement moindre, avec la vision yahviste du judaisme. cette dernière paraît plus proche de la nature et semble par suite mieux correspondre à l'expérience immédiate. Toutefois les hérésies chrétiennes ont tenté de naviguer entre des écueils du dualisme manichéen devenu un tel danger pour l'Eglise primitive, d'une manière qui tînt compte du symbole naturel et, parmi les symboles du Christ, il en est de très importants qui sont communs avec le diable, bien que cela n'ait exercé aucune influence sur le dogme.
Les tentatives les plus fructueuses pour découvrir des expressions symboliques adéquates du Soi sont, de loin, celles des gnostiques. Ceux-ci étaient en réalité, pour la plupart, des théologiens, comme par exemple Valentin ou Basilide, mais, à la différence de l'orthodoxie, ils se laissaient influencer à un degré élevé par l'expérience immédiate. Ils constituent par suite, à l'égal des alchimistes, une véritable mine d'informations concernant tous les symboles naturels émanant du développement de la prédication évangélique.
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Qu’a donc finalement à offrir la réalité banale avec ses bureaux d’état civil, ses salaires mensuels, ses loyers, etc., qui puisse faire contrepoids aux frissons mystiques de la hiérogamie, à la femme constellée que poursuit le dragon et aux pieuses équivoques qui enveloppent de leur trame les noces de l’Agneau ?
A ce degré du mythe qui restitue au mieux l’essence de l’inconscient collectif, la mère est à la fois vieille et jeune, Déméter et Perséphone, et le fils est à la fois l’époux et le nourrisson endormi ; état de plénitude indescriptible, avec lequel naturellement ne peuvent, et de loin, rivaliser les imperfections de la vie réelle, les efforts et les fatigues de l’adaptation, ainsi que la souffrance des multiples déceptions devant la réalité.
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La doctrine chrétienne est un symbole hautement différencié qui exprime l'élément psychique transcendant, "l'image de Dieu" (imago Dei). Le Credo est le "Symbole". Il comprend pratiquement tout ce qu'on peut constater de fondamental sur les manifestations du facteur psychique dans le domaine de l'expérience intérieure, mais il ne s'étend pas à la nature, du moins pas d'une façon perceptible. C'est pourquoi il y a eu au cours de tous les siècles chrétiens des courants parallèles ou sous-jascents de l'esprit qui cherchaient à cerner non seulement la nature extérieure, mais aussi la nature intérieure dans son aspect empirique.
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