En soulevant les textes anciens, on découvre que les modernes n'ont rien inventé. Cela pourrait être décevant, mais c'est aussi fascinant car les idées se répètent sans jamais se ressembler complètement. Ainsi,
Nicolas de Cues, pétri d'influences antiques maturées, parvint à extraire d'influences extérieures une intuition intime qu'il exprima selon le paradigme de son milieu et de son époque. Foi et mathématiques s'unissent afin de corroborer et de préciser des idées que
Platon n'aurait pas reniées. Pourtant, pour comprendre
Nicolas de Cues, il n'est pas nécessaire de traîner derrière soi un lourd bagage philosophique. Partage-t-on ses intuitions ? Ses démonstrations seront limpides.
Nicolas de Cues déploie seulement quelques concepts axiomatiques qu'il déclinera ensuite sur différents modes pour en explorer les modalités plus subtiles.
D'un point de vue absolu, le Maximum et le Minimum sont équivalent : « Il est manifeste que de l'infini au fini, il n'y a pas de proportion. Pour cette raison, il est aussi très clair que là où l'on trouve un plus et un moins, on ne parvient pas au Maximum pur et simple parce que les choses qui admettent un plus et un moins sont des grandeurs finies ». On retrouve ce concept dans les valeurs absolues des mathématiques et moralement, une telle disposition d'esprit permet de pressentir le relativisme et les discussions morales d'un certain
Nietzsche placé
par-delà le bien et le mal. Nous comprendrons aussi le concept de l'Unité trine qui relie Unité, Egalité et Connexion. le Maximum (qui est aussi le Minimum) éternel et absolu peut être tour à tour l'une de ces trois modalités : la physique quantique ne balbutie-t-elle pas derrière cette unité trine polymorphe ? « Ainsi nous avons prouvé que l'Unité est éternelle, que l'Egalité est éternelle et que, de même, la Connexion est éternelle. Mais il ne peut y avoir plusieurs éternels. Si, en effet, il y avait plusieurs éternels, alors, puisque l'Unité précède toute pluralité, elle précèderait par nature l'éternité, ce qui est impossible. […] Donc, Unité, Egalité et Connexion sont un. » En d'autres termes, ces trois principes portent des noms que l'on rencontre plus habituellement dans la terminologie chrétienne : « […] L'Unité est appelée Père, l'Egalité Fils, et la Connexion Amour ou Esprit-Saint. Ces noms ont été donnés seulement eu égard aux créatures […] ». Et Nicolas de Cues aborde cet autre point décisif qu'est celui de la sémantique, considéré ici d'un point de vue essentiellement symbolique.
Notre monde, qui est une contraction du Maximum, ne peut se faire une idée de l'éternel qu'en employant différents moyens qui sont à sa disposition, dont le langage. Cet ensemble de signes arbitraire n'est qu'une convention et ne permet pas d'exprimer ce que Wittgenstein appellera le « mystique » : « Pareillement, les peines des damés sont au-delà de toutes les peines imaginables et descriptibles. C'est pourquoi, dans tous ces signes d'harmonies musicales de joie, d'allégresse et de gloire que les Pères nous ont transmis, se trouvent des signes connus de nous comme des indices pour penser à la vie éternelle, signes sensibles très approximatifs, infiniment distants des réalités intellectuelles qu'aucune imagination ne peut percevoir ».
Nicolas de Cues énonce cela clairement en utilisant les signes mathématiques. Son verbe est aussi concis et précis que ses démonstrations. Il nous fera comprendre que, la ligne finie étant une manière contractée d'être de la ligne infinie, de même le triangle est une ligne infinie, et de même le cercle est une ligne infinie. de là, nous pouvons supposer les différents modes d'être : la ligne infinie, la figure géométrique, la possibilité de la figure géométrique. Nous pouvons également affirmer que tout est tout.
Jusque-là, la docte ignorance de Nicolas de Cues nous semble mensongère. de l'ignorance, il ne semble point y en avoir. En réalité, il faut atteindre sa grande compréhension –qui est grande mais pas maximale- pour comprendre qu'il est impossible d'en savoir davantage. On acceptera alors, en se montrant humble, de ne pas pouvoir en savoir plus que notre mode d'être ne peut le supporter. Dans l'ordre des choses, il faut admettre que nous devons nous contenter de ce que nous pouvons comprendre. C'est là la Docte Ignorance.
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