Comment survivre après tant de souffrances, d'épreuves, d'humiliations, de tourments, de cauchemars, de visions ,de peurs , d'impuissance face à la barbarie des hommes, de remise en question , de terreur absolue, de détresse infinie ?
C'est un beau texte cru et saisissant dans sa férocité que nous transmet Michèle Kahn avec humilité et justesse, extrême sensibilité , un beau récit de vie ,douloureux , un « échange » en cinq récits vibrants entre le Schnorrer : « le mendiant du quartier « et un homme riche qui a tout , revenu de sa déportation en Pologne ....
Elle effectue un travail de mémoire, juste, poignant, en relatant dans le détail ce que transmit Stanislaw Marymarz , le déporté revenu à Stanislaw le Schnorrer ( ils ont le même prénom) , récit vrai .....où l'on regarde le bourreau en face, qui rappelle les grands textes déjà lus—-qu'il s'agisse des livres de Charlotte Delbo, Robert Antelme , ou Primo Levi -----et tant d'autres.
« Son désir de survivre si fort, le rendit sourd ,aveugle et muet, crevant de faim, roué de coups, décharné, aux os saillants , couvert de poux »
« La faim gonflait douloureusement son estomac, » empoisonnait son sommeil, le tenait éveillé ,rêvant au hasard de nourritures riches , ruisselant de sueur, la vue brouillée, bientôt la mort des autres l'indifféra, il apprit même à sa battre pour ne pas crever et préserver sa maigre ration....."
Cette part d'expérience humaine , travail ultime d'une mémoire longue, veiller à transmettre , ne pas reléguer cette part ——-de l'Histoire et de la Barbarie ——-afin de ne rien oublier , peur de l'oubli , peur que cela recommence , humilité face à Dieu, partage, remise en question , fête de la vie ,ce récit bouleversant porte la FORCE du souvenir et de la douleur , de telle façon que de pareilles SAUVAGERIES en plein vingtième siècle ne soient point reléguées dans un ABSTRAIT lointain : Celui qui n'a pas éprouvé dans son corps les outrages subis par les déportés , celui-là ne pourra jamais dire : Je Sais .
Un témoignage qui permet de cerner la vérité au plus près, un récit vrai auquel rien n'a été rajouté ....
Lorsque j'ai lu le titre sur Babelio en découvrant une critique , j'ai commandé ce récit , réédité d'ailleurs . ( publié en 2000) .
« Tous les moyens étaient bons pour nous détruire .
Ainsi le grand ravier de Dachau accueillait des mutilés , tuberculeux, erysipélateurs, gangréneux,tous inaptes à reprendre le travail...
Et là, tant bien que mal, on les soignait .
Tandis que nous, les juifs, dans les camps spéciaux où nous avions été voués à la boue, à la puanteur , à la pourriture , à la vermine, à peine étions - nous déclarés inutiles que les nazis nous liquidaient , comme les tziganes et les résistants français.... »
A lire pour ne pas oublier .
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une agréable surprise!! un très bon livre!! un échange entre le "mendiant" du quartier et un homme riche, qui a tout et pourtant il prend à témoin ce pauvre homme et décide de lui raconter son histoire chaque semaine. Sa déportation en Pologne, sa souffrance passée et actuelle, ses pertes, ses peurs. Peur de l'oubli, peur que ça recommence, son humilité face à Dieu, son impuissance face à la barbarie des hommes. qu'ont-ils en commun ces deux hommes, hormis leur prénom ? Rien et tout à la fois, un très beau récit de vie, une remise en question et un besoin de partage. Magnifique.
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– Un jour, derrière la fenêtre de l’infirmerie, je dessinai la tourelle de cadavres érigée au milieu de la cour. Leur immobilité tragique. Les bouches entrouvertes pour happer le dernier souffle d’air. Les doigts minces, fragiles, gantés d’une peau blanche, à peine bleutée…Et tout à coup, en-dessous, ça commence à bouger, d’abord doucement puis avec force, et voici qu’un cadavre écarte les autres, se fraie un chemin, sort la tête, les yeux exorbités, regarde à gauche et à droite pour repérer l’endroit, d’éventuelles présences, se dégage, se lève, se met à courir et soudain s’arrête, gêné au pied, continue à courir à cloche-pied tout en arrachant l’étiquette fixée à son orteil, cette étiquette des morts qui portait le nom, le numéro, la nationalité, qui ne voulait pas se laisser arracher, et l’homme, comique dans son agacement, qui triomphe enfin, repart en courant et disparaît.
Marek, qui avait déjà beaucoup souffert, me dit une nuit :
Si je veux survivre à tout prix, vois-tu, ce n’est pas pour moi, – j’ai perdu tous les êtres qui m’étaient chers –, mais c’est pour raconter au monde ce que les nazis nous ont fait... Je crains de ne pas tenir jusqu’au bout. Toi, petit, tu as encore des chances. Promets-moi de témoigner en mon nom.
« Ils assimilaient le Juif au rat, le ravalaient au rang de vermine, de bête malfaisante , de microbe, de parasite ou de bacille nuisible, ce qui à leurs yeux légitimait toutes les violences . Les Polonais regardaient faire avec complaisance . »
Éviter les coups et manger. Ces deux idées fixes, obsédantes, révélèrent des êtres lâches, crapuleux, égoïstes. Elles transformèrent des hommes en ânes sauvages obéissant aux lois animales de la survie. Les nazis avaient réussi à faire régner la haine en excitant les instincts les plus vils.
Un jour où nous nous étions plaints d’une soupe encore plus claire que d’habitude, il avait éclaté de rire, disant que nous ne connaissions pas notre bonheur. Les Juifs de Radom, enfermés dans le ghetto muré depuis avril 1941, auraient envié notre sort .
Michèle Khan - Loin de Sils Maria