Après
Ornela Vorpsi, voici un autre auteur albanais, et il m'en reste une troisième écrivaine originaire de l'Albanie,
Anilda Ibrahimi, mais l'ouvrage que j'ai reçu d'elle "
Il tuo nome è una promessa" est en version originale et lire un livre en Italien me prend un peu plus de temps, surtout si j'entends en faire une critique.
Dans ma critique du livre d'
Ornela Vorpsi "
Buvez du cacao van Houten", j'ai écrit une grosse bêtise en disant qu'elle ait été ma première écrivaine albanaise, ce qui est faux, parce que j'ai grandiosement oublié
Ismaïl Kadaré. Comment j'ai fait mon compte pour oublier "
Le général de l'armée morte" , "
Avril brisé", "
Printemps albanais" etc. je l'ignore, mais je m'excuse humblement auprès de mes ami-e-s de Babelio et la pauvre Anilda deviendra donc la numéro 4 albanaise.
"Je ne raffole pas des frontières", écrit l'auteur dans la première phrase du préambule du livre. Moi, qui ai pourtant eu la chance de n'avoir jamais été obligé de fuir, je les déteste. Pour des raisons professionnelles et privées j'ai passé des centaines de frontières et j'ai profondément horreur de l'arbitraire et de la désinvolture de certains douaniers et autres agents des frontières plus ou moins qualifiés. Ce qui me gêne particulièrement c'est qu'en cas d'abus de ces braves gens on n'a aucun recours. Où peut-on aller se plaindre lorsqu'un douanier ne rend pas la monnaie de l'achat d'un visa touristique, ou qu'il vous confisque des cartouches de cigarettes qui vont directement dans sa besace personnelle, comme cela m'est arrivé à la frontière austro-roumaine ? Comme simple individu l'on y est sans défense. Dans un aéroport international on peut aller protester auprès de la direction, au risque naturellement de manquer ainsi son vol.
Et la droite nationaliste, pour des soi-disantes raisons de sécurité, veut renforcer les contrôles frontaliers, même à l'intérieur de l'Union européenne, comme si c'est aux postes-frontières que l'on arrête par hasard les grands terroristes et criminels !
Les "inconvénients" aux frontières qui nous irritent comme citoyens européens sont évidemment négligeables en comparaison des excès en tous genres auxquels les migrants et réfugiés sont continuellement confrontés.
Pas étonnant que
Gazmend Kapllani, venant de sa lointaine Albanie, avoue qu'il a attrapé "Le syndrome de la frontière", dont il énumère et explique les symptômes dans son ouvrage.
D'abord un mot sur la longue dictature communiste d'
Enver Hoxha (ou Hodja), le staliniste-maoïste qui a régné 43 ans, de 1941 jusqu'à sa mort en 1985. L'Albanie du "Guide Éternel" - titre qu'il affectionnait - était une grande prison pour les simples citoyens et sauf la nomenclature autour de ce despote et quelques fous fanatiques, tout le monde ne rêvait que de partir, d'aller chercher le bonheur ailleurs.
Ce fût notamment le cas de
Gazmend Kapllani, qui, en janvier 1991, à l'âge de 24 ans, a entrepris la longue marche de 125 kilomètres de Korçë (Koritsa) en Albanie à Kalambaka dans la province de Thessalie en Grèce.
Comme l'auteur le note dans son épilogue "Mon but n'était pas de parler de moi, mais du syndrome de la frontière.
Et effectivement le bref récit de son périple vers et dans sa nouvelle patrie, la Grèce, sert surtout à illustrer la réalité du pauvre immigré, en l'occurrence albanais, chez le voisin grec où il n'a jamais été invité, ce qu'on lui fait ressentir pratiquement de façon systématique.
La nécessité d'apprendre la langue du nouveau pays, de trouver un boulot pour survivre et un coin pour s'installer, qui ne soit pas trop taudis ou porcherie, forment les grands impératifs immédiats pour tout nouvel arrivant.
L'auteur en arrivant connaissait un mot en Grec moderne, "efcharistó" (merci) et, en 2006, il a écrit cet ouvrage dans cette langue, tout comme "
Je m'appelle Europe" en 2010. Il est vrai qu'il avait entrepris de sérieuses études de philosophie, sciences politiques et histoire à Athènes, où il a obtenu un doctorat à l'université Panteion.
En 2015, au bout de 24 ans de vie en Grèce, mécontent que l'État grec lui a refusé la citoyenneté, il est parti définitivement pour les États-Unis. Actuellement, il assure des cours à l'université DePaul à Chicago. Kapllani, qui a entretemps 52 ans, peut être contacté sur le site "gazikap.blogspot.com".
En route, l'auteur fait la connaissance de quelques autres réfugiés avec qui ils forment un petit groupe. Il y a 2 chauffeurs de camion qui rêvent de faire un jour la route Berlin-Bagdad, comme chauffeurs de poids lourds ; le débrouillard Djemaĺ et le jeune qu'on a surnommé "le Petit obsédé" parce qu'il phantasme de rencontrer une superbe nana, mais qui s'appelle en réalité "Marenglen", un prénom fabriqué de Marx, Engels et
Lénine. Arrivé dans la ville portuaire d'Igoumenítsa, où l'équipe voit pour la première fois de leur vie une télé en couleurs grand format, le jeune s'exclame, tout étonné, "mais il n'y a pas de sexe !" Chez lui à Tirana, il avait trafiqué son antenne de télé pour capter certaines émissions spéciales diffusées par certaines chaînes privées de l'autre côté de la mer adriatique.
La grande valeur de cet ouvrage réside, à mon avis, dans l'évocation des sentiments des réfugiés, qui savent que pour eux il n'y a pas de retour possible et que malgré leurs efforts ils n'arrivent pas à se faire accepter, une situation schizophrénique, et ils continuent d'être considérés comme "un immigré illégal, illicite, illégitime..." Ce que l'auteur qualifie aussi comme "la névrose de l'enracinement impossible".
La veille d'une journée qu'ils savent sera très dure, 2 immigrés discutent et l'un essaie de faire rire l'autre ; et
Gazmend Kapllani de conclure : "... l'humour du bouc émissaire est un crédit éphémère que le ciel consent à l'enfer".