Citations sur Un oiseau blanc dans le blizzard (77)
…il n’y a pas d’adjectifs pour décrire la légèreté, la blancheur légère que je ressens. C’est comme si j’avais été prise dans un filet diaphane – je suis désincarnée, le filet ne retient que mon essence, qui flotte dans la brise. Ou alors, comme si j’avais des poids attachés à mes poignets et à mes chevilles, mais ces poids sont plus légers que moi, comme si je portais une robe faite d’émotions – un tricot humide et invisible.
Je porte une chemise de nuit faite de brume, dans laquelle je suis invisible.
L’hiver nous est tombé dessus en petits fragments célestes brillants d’oxygène et d’éther, qui viennent frapper le sol comme de minuscules éclats de verre froid.
En vérité, ma mère a disparu vingt ans avant le jour où elle est réellement partie. Elle s’est installée dans la banlieue avec un mari. Elle a eu un enfant. Elle a vieilli un peu plus chaque jour – de cette façon qu’ont les épouses et les mères d’âge moyen d’être de moins en moins visibles à l’œil nu. Vous levez peut-être les yeux de votre magazine quand elle entre dans la salle d’attente du dentiste, mais elle est en fait transparente.
Quant à la femme plus jeune qu’elle fut un jour, celle que vous auriez pu remarquer, elle n’est plus qu’un fantôme, une fille spectrale qui s’éloigne et finit par disparaître dans le blizzard.
Un peu d’humidité parcourait le froid, un courant de chaleur circulait par en-dessous, ce courant sentait la glace fondue, les vieilles feuilles, l’odeur des atomes océaniques, comme si un énorme ventilateur, tourné vers nous, avait été mis en marche au large des côtes de Floride et qu’au moment où le vent soulevait cet air pour l’amener au nord-ouest, vers notre poche de l’Ohio, il avait accumulé les odeurs des autres États traversés : les couvoirs de poisson, la laine luisante des éleveurs de moutons, les montagnes dénudées et les terrains de foot boueux du Kentucky, la légère brume feutrée des vieilles Ronéos des années soixante, qui flottait toujours au-dessus des centaines d’écoles primaires – cette irritante odeur de papier, de déchets industriels, l’odeur de dentelle des vieilles dames, humide et douceâtre, pulvérisée en pluie fine sur nos visages.
En vérité, ma mère a disparu vingt ans avant le jour où elle est réellement partie. Elle s'est installée dans la banlieue avec un mari. Elle a eu un enfant. Elle a vieilli un peu plus chaque jour - de cette façon qu'ont les épouses et les mères d'âge moyen d'être de moins en moins visibles à l'oeil nu. Vous levez peut-être les yeux de votre magazine quand elle entre dans la salle d'attente du dentiste, mais elle est en fait transparente.
Quant à la femme plus jeune qu'elle fut un jour, celle que vous auriez pu remarquer, elle n'est plus qu'un fantôme, une fille spectrale qui s'éloigne et finit par disparaître dans le blizzard.
Ou alors elle s'est réincarnée en moi.
Je me suis peut-être glissée dans la peau que ma mère a laissée derrière elle, je suis peut-être devenue la jeune fille que ma mère avait été, celle qu'elle voulait encore être. Je portais peut-être sa jeunesse comme une écharpe aérienne, comme un accessoire, tout en éclats nerveux et en perles collantes, et c'est peut-être pour cela qu'elle passait autant de temps à me regarder avec cette expression mélancolique dans les yeux.
Je portais quelque chose qui lui appartenait, quelque chose qu'elle voulait récupérer. C'était écrit partout sur son visage.
Plus je regarde, plus ce vide devient vide et clair. Comme si j’avais ouvert une porte sur de l’espace pur – plat, mais caverneux et brillant –, comme si, si jamais j’entrais, j’allais tomber pour toujours dans le futur.
Mais l’avenir m’ennuie.
Je me vois en train de suivre cet avenir, comme une feuille dans un courant d’air.
Je me vois en train de le manger, comme un cœur fait de flocons d’avoine.
Il ne lui restait plus rien d'autre à faire que de planifier le néant des jours à venir.
"J'ai seize ans lorsque ma mère se glisse hors de sa peau par un après-midi glacé de janvier - elle deveint un être pur et désincarné, entoué d'atomes brillants comme de microscopiques éclats de diamant, accompagnés, peut-être, par le tintement d'une cloche, ou par quelques notes claires de flûtes dans le lointain - et disparaît.
Personne ne la voit s'en aller, mais elle est bel et bien partie.
La veille au matin, ma mère était encore une femme au foyer - qui, depuis vingt ans, maintenait notre maison dans un état de propreté et de stérillité qui aurait pu rivaliser avec l'esprit de l'hiver lui-même ; alors, peut-être a-t-elle tout simplement fini par s'épousseter elle même, en un nuage lumineux qui s'est envolé par la fenêtre de la chambre, un nuage fait d'une poudre douce comme le talc, qui s'est mélangé avec des flocons qui tombaient, avec la poussière céleste et les cendres lunaires qui flottaient au loin."