Cette adaptation se laisse lire, même très agréablement. Parfois, certains portraits – particulièrement ceux de Daisy et Gatsby – font penser aux dessins de l'illustrateur américain
Norman Rockwell. Voir la planche de la page 68 où Daisy et Gatsby, en gros plan, se trouvent dans une salle art-déco. L'atmosphère art-déco, justement, et typique de New York, est bien restituée. Quant à l'intrigue, elle tient la route, sans mauvais jeu de mots pour ceux qui connaissent l'histoire. Sauf que…
Gatsby le Magnifique, de
Francis Scott Fitzgerald, est bien plus profond que cette bande dessinée ne le laisse voir. En effet le roman de Fitzgerald déborde d'une mélancolie dont on ne retrouve que vaguement la trace ici.
Le personnage de Gatsby, littéralement hanté par Daisy dans le roman, devient ici un simple amoureux triste qui, bien que touchant, ne peut être comparé à son original, bien plus dense, à la fois éthéré et tourmenté par une idéalisation telle qu'il ne peut être qu'insatisfait de la réalité : « Il avait dû y avoir des moments, même cette après-midi-là, où Daisy ne s'était pas montrée tout à fait à la hauteur de ses rêves, non par sa faute à elle, mais en raison de la colossale vitalité de son illusion à lui, qui l'avait dépassée, avait tout dépassé », explique le roman. Point trace de ces rêves ici qui, pourtant, feront écrire à Fitzgerald, après la mort de son personnage : « Il avait payé le prix fort pour avoir vécu trop longtemps avec un rêve unique. »
Idem pour la haute société de la côte Est, bien plus cynique et égocentrique dans le roman tandis que là elle est juste frivole. Un extrait retranscrit du roman raconte cependant combien ce monde n'était pas celui de Gatsby, l'être sensible par excellence : « C'étaient tous deux - Tom et Daisy - des insouciants, ils cassaient les choses et les êtres, puis allaient se mettre à l'abri de leur argent ou de leur prodigieuse insouciance ou de ce qui les liait l'un à l'autre, et ils laissaient à d'autres le soin de nettoyer les dégâts qu'ils avaient faits...»
Seul Nick Carraway – le narrateur – s'approche le plus de son homologue romanesque.
Évidemment, il est question d'une adaptation, et une adaptation ce n'est pas l'original. Mais l'oeuvre de Fitzgerald – car son roman est à lui seul une oeuvre comme l'était L'Attrape-coeur, de Salinger – joue encore ici de malchance, après le film de Baz Luhrmann qui était un ratage magistral selon moi. Seul le long-métrage de Jack Clayton, avec Robert Redford dans le rôle de Gatsby, s'approchait le plus de l'essence même du roman de Fitzgerald.
Quand on a dit ça, il est indéniable qu'avec son album,
Pete Katz nous prouve qu'il aime sincèrement ce roman du panthéon de la littérature américaine et au-delà, qu'il a voulu aborder « dans le respect et la passion qu'il mérite vraiment », comme il le souligne dans sa préface. Son dessin est touchant, quoiqu'un peu « scolaire » en ce sens qu'il est très – trop – propre sur lui. Parfois, j'ai même la fâcheuse impression de lire un roman-photo.
Mais je ne parlerai pas de déception car j'ai lu cette histoire – très schématisée par rapport à l'original – avec un certain plaisir, je dois bien l'admettre.