Citations sur Les Belles Endormies (112)
Les usages du monde, confondus avec le maintien de son ordre, ne faisait peut-être qu'anesthésier le sens du mal.
"Qu'une fille fille aussi provocante que celle-ci, tout "entraînée" qu'elle était, pût être restée vierge, était de toute évidence le signe non point du respect des vieillards, ni de leur souci de tenir leurs engagements, mais plutôt de leur effroyable décrépitude. La virginité de la fille, par contraste, démontrait l'horreur de la vieillesse.
En fait, on parle de passé lointain, mais chez l'homme mémoire et réminiscences ne peuvent sans doute être qualifiées de proches ou lointaines en fonction uniquement de leur date ancienne ou récente. Il peut arriver que, mieux qu'un fait de la veille, un évènement de l'enfance, vieux de soixante années, soit conservé dans notre mémoire et resurgisse de la façon la plus nette et la plus vivante.
Arrivés à Kyôto, Eguchi et la fille s'étaient promenés tôt le matin dans un bosquet de bambous. Les feuilles des bambous brillaient comme de l'argent au soleil levant et frissonnaient dans le vent. Vieillard, il s'en souvenait encore, les feuilles étaient fines et tendres, tout à fait pareilles à des feuilles d'argent, et les tiges semblaient faites d'argent elles aussi. En bordure du bosquet, des chardons et des herbes-de-rosée étaient en fleurs. Encore qu'il semblât que ce n'en fût pas la saison, c'était ainsi qu'il voyait le chemin dans son souvenir.
Cependant sa fille s'était comme épanouie en jeune épouse, et elle avait embelli. A supposer même que ce ne fut qu'une transformation physiologique marquant le passage de la jeune fille à la jeune femme, elle n'aurait sans doute pu avoir cet éclat de fleur s'il y avait eu la moindre ombre sur le plan psychologique. Après la naissance de son enfant, son teint était devenu lumineux comme si elle avait été lavée jusque dans l'intérieur de son corps, et elle avait acquis une sorte de sérénité.
[...] ... le vieux Kiga, celui qui avait introduit Eguchi, avait dit que c'était comme si «l'on couchait avec un Bouddha caché».
L’affreuse décrépitude des lamentables vieillards qui fréquentaient cette maison menaçait de l’atteindre lui-même dans peu d’années. L’immense étendue des désirs, leur insondable profondeur, jusqu’à quel point les avait-il finalement mesurées au cours des soixante-sept années de son passé ? Et puis, autour des vieillards naissent innombrables les filles jolies, à la peau neuve, à la peau jeune. Les désirs rêvés à perte de vue par de misérables vieillards, les regrets des jours perdus à jamais, ne trouvaient-ils pas leur aboutissement dans les forfaits de cette maison mystérieuse ?
Quand la main du vieil Eguchi se retira de dessous la nuque de la fille, elle tourna doucement le visage, les épaules suivirent le mouvement et elle s’étendit sur le dos. Eguchi crut qu’elle allait s’éveiller, et il s’en tint écarté. Le nez et les lèvres de la fille, dirigés vers le haut, baignés dans la lumière du plafond, avaient l’éclat de la jeunesse. Elle souleva la main gauche et la porta à la bouche. Il semblait qu’elle allait sucer son index, à croire que c’était une habitude qu’elle avait en dormant, mais elle ne fit que l’appuyer légèrement sur ses lèvres.
L'odeur de la fille flottait dans l'air et, soudain, une odeur de bébé frappa ses narines. Cette odeur qu'on les nourrissons, qui rappelle celle du lait. Plus douceâtre et plus épaisse que l'odeur d'une fille.
Le camélia quatre fois centenaire déployait la splendide profusion de ses fleurs. Les rayons du soleil couchant étaient comme aspirés à l'intérieur de l'arbre de sorte qu'il semblait régner dans cette masse de fleurs une chaude touffeur.