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Bunkichi Fujimori (Autre)Armel Guerne (Autre)
EAN : 9782253030737
190 pages
Le Livre de Poche (01/11/1982)
3.82/5   725 notes
Résumé :
Traduit du japonais par Bunkichi Fujimori
et Armel Guerne
Préface par Armel Guerne


À trois reprises, Shimamura se retire dans une petite station thermale, au coeur des montagnes, pour y vivre un amour fou en même temps qu'une purification. Chaque image a un sens, l'empire des signes se révèle à la fois net et suggéré. Le spectacle des bois d'érable à l'approche de l'automne désigne à l'homme sa propre fragilité.

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Critiques, Analyses et Avis (116) Voir plus Ajouter une critique
3,82

sur 725 notes
Pays de neige qui dégage lumière, quiétude profonde, et fraîcheur. Par sa froidure Komako, la geisha à la chaude chevelure noir profond et au doux sourire, ressemble à ce lieu et suscite l'attention de Shimamura, artiste riche et oisif venu se ressourcer dans les montagnes. Tout comme l'effort gratuit qu'elle met en toute chose la lui rend plus proche, elle le fascine. Mais il tient à garder la maîtrise de leur relation, en dépit du formidable « incendie de glace » qu’il devine en elle qui le déroute et l'attire délicieusement...


Kawabata sait que l'essentiel est ce dont on ne parle jamais dit Armel Guerne dans sa préface. C'est vrai, Yasunari Kawabata préfère parler d'un paysage de neige austère à la magnifique brillance, de l'harmonie des gestes et des vêtements d'une geisha, plutôt que des sentiments intenses qu'elle inspire. C'est là toute la profondeur et la magie du propos contemplatif du prix Nobel de littérature japonais dont la banalité et la sérénité apparentes n'existent que pour mieux suggérer une réflexion et une sensualité abouties autant qu'une folle passion.
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J'étais tranquille, j'étais peinard, en train de terminer « Jours barbares » en plein trip surf (au passage, si les vagues vous fascinent ou du moins ne vous laissent pas indifférent, alors regardez l'excellent documentaire passant en ce moment sur canal, « Laird Hamilton surfeur de l'extrême », une légende de son vivant le gars), en plein trip surf donc, allongé sur le sable avec le bruit des vagues plein les oreilles, captivé, hypnotisé, quand soudain je dis à la bretonne allongée à coté de moi : « c'est quoi ce bruit de fond qui revient à intervalle régulier ? » En fait c'était sa lecture du moment qui lui tirait des soupirs d'ennui page après page. Etant toujours prêt à être solidaire et ne voulant la laisser seule dans le néant, dès qu'elle a eu fermé le bouquin, je m'en suis emparé pour l'accompagner dans la douleur. Pas terrible l'idée, j'irai même jusqu'à dire mauvaise, très mauvaise. Quel con !!!
« Pays de neige ». Déjà le titre laissait présager du pire. J'ai jamais eu la moindre sympathie pour la neige et ma dernière expérience (Fleur de neige) s'était révélée désastreuse.
Bon, j'avoue que je savais où j'allais car les gouts littéraires de la bretonne et les miens ont une sensibilité assez proche dans une majorité de domaines et là, vu sa mine, ça sentait pas bon.
Euh… à part le coté solidarité, je confesse que ce qui m'a motivé aussi c'était de pouvoir écrire deux ou trois conneries dans un billet et comme par hasard cette mauvaise raison, je l'ai payé plein pot.

Au risque de peiner quelques ami(e)s de babel, j'irai bien jusqu'à dire : C'est quoi ce truc inconsistant où il ne se passe strictement rien pendant 189 pages et ou il faut attendre la 190e pour avoir enfin une sensation de bien être, de légèreté, cette foutue page 190 qui est la dernière et la fin du supplice. le truc est d'une lenteur qui ferait passer Doc Gyneco pour un hyper actif sous extasie.
L'histoire, un mec vient tous les ans se faire une pute (la même) au pays de neige, à la montagne quoi, tout en espérant rencontrer une nana du coin (copine, enfin presque, de Komiko la geisha) croisée dans le train lors du voyage qui commence le livre. Bon c'est pas tout à fait écrit comme ça, il y a un soupçon de retenue en plus que dans mon court résumé mais l'idée est là. Il semblerait que ce soit une histoire d'amour. Perso, les oui qui veulent dire non ou oui, les non qui disent oui ou non, les peut être qui ne savent plus sur quel pied danser, ça me fatigue vite en général. Là ça m'a épuisé. Et puis la geisha bourrée (au saké, what else ?) ça me titille pas l'émotion.
Les dialogues sont, comment vous dire, d'une platitude extrême, étoilée au championnat du monde de l'insignifiance.
Allez parce que c'est vous, quelques répliques de Komiko :
« Vous n'avez aucune idée de ce que c'est pour moi… Je reviendrai plus tard, si j'ai le temps de me laver les cheveux » (p137).
« Je l'avais dit et je l'ai fait. Je suis venue, prononça-t-elle avec un intense et perceptible effort de concentration. Et à présent je m'en vais. Je rentre me laver les cheveux » (p.138)
Du Nabila dans Komiko, oui y en a.
Je ne saurai dire si c'est l'histoire qui rend l'écriture sans relief ou si c'est l'écriture qui rend l'histoire chiante. Les deux ? Oui.
Yasunari Kawabata, prix Nobel de littérature euh… je ne suis pas un littéraire mais si faut écrire ça pour être Nobel alors ma grâce naturelle me laisse à penser que je peux encore devenir danseuse étoile, et ça ya trois jours encore je n'y aurais jamais cru.
Une étoile et c'est bien payé.
Champion du monde.

Ps : pour ce qui est de la solidarité livre de… enfin qui ne me convient pas du tout du tout, je suis en indisponibilité de longue durée.
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Dans les livres de Kawabata (1899-1972) les femmes sont souvent passives : belles endormies  et autres objets précieux à admirer. Dans Pays de neige au contraire, on a une femme bien vivante, lucide et passionnée. Komako la geisha est un personnage inoubliable.
Pays de neige est un roman énigmatique plein d'ellipses et de non dits. C'est au lecteur de comprendre ce que les personnages n'avouent pas, d'interpréter certains passages comme l'incendie mystérieux à la fin et d'imaginer la suite. le livre s'inscrit dans la longue tradition picturale et poétique japonaise avec ses magnifiques tableaux enluminés de neige. Mais c'est aussi un roman expérimental très moderne, composé de 11 fragments ou nouvelles sur lesquels Kawabata a travaillé pendant plus de dix ans, de 1935 à 1947 avec une interruption due à la guerre. Il a publié une version définitive en 1948 qu'il a revue en 1971.
Le roman ne suit pas la chronologie des faits et raconte trois voyages au Pays de neige. On commence par le second en suivant Shimamura, un bourgeois oisif de Tokyo qui va retrouver Komako sa maîtresse, geisha dans une station thermale montagneuse isolée. Dans le train, Shimamura est captivé par une jeune beauté qui soigne un jeune homme malade. Il l'observe à travers le reflet de la vitre. Quand il arrive à la station, Shimamura se montre toujours épris de la jeune Komako et celle-ci est passionément amoureuse de lui, ce qui va à l'encontre de ses intérêts. Il repart, au moment même où Yōko (la belle femme du train) vient supplier Komako de se rendre au chevet de Yukio (le jeune homme malade) à l'agonie. La troisième visite a lieu à l'automne suivant. La relation reprend en apparence comme si rien ne s'était passé mais l'un comme l'autre pressentent qu'il s'agit de leur dernière rencontre.
C'est le récit d'une passion ardente vouée à disparaître. Shimamura est un riche dilettante marié et père de famille. Il s'intéresse aux arts, en particulier au ballet occidental car il a un air d'irréalité qui permet à son imagination d'errer librement. Il est toujours ailleurs, détaché, d'où une apparence froide mais il est réellement amoureux. Komako est une femme d'origine modeste, très vivante, lucide, moderne. C'est en toute connaissance de cause qu'elle vit une passion éphémère, sans entrave et sans remords avec un homme marié. On la connaît peu à peu grâce à des fragments de dialogues entendus par son amant. Lui ne dit rien. Ses contradictions, ses états d'âme, sa mélancolie sont suggérés grâce aux descriptions sensorielles de paysages, de détails physiques ou de végétaux, le plus souvent réfléchis sur des vitres ou des miroirs. Il va sans dire que beaucoup d'évocations nous échappent et/ou sont sujettes à de multiples interprétations. La chambre Camélia des amants évoque par exemple la fleur rouge hivernale mais aussi, le roman d'Alexandre Dumas fils racontant la passion fatale d'un jeune bourgeois pour une courtisane mais aussi l'opéra de Verdi (La Traviatta) dont est friand le protagoniste. Elle suggère l'impermanence, la fatalité, la maladie, la mort mais sans pathos, sans lourdeur aucune. le merveilleux paysage glacé est aussi une illusion d'innocence ou de pureté : la neige recouvre sous sa fine pellicule tout à la fois la jeunesse prête à s'embraser et sa disparition.
Ce livre est en réalité d'une richesse inépuisable. A lire et à relire encore.
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C'est le début de l'hiver et Shimamura, riche oisif tokyoïte se rend pour la deuxième fois dans une petite station thermale du Pays de neige. Au printemps, il y avait fait la connaissance de Komako, une des geishas qui vivent dans les auberges de montagne. Dans le train qui l'emporte vers les sommets, il ne peut s'empêcher de remarquer la beauté de Yôkô alors même qu'il a entrepris ce voyage pour rejoindre Komako. Sur place, la geisha se donne corps et âme à cet homme pourtant distant, et par ailleurs, marié et père de famille, qu'elle sait n'être que de passage dans sa vie. Pourtant, à l'automne, il revient encore une fois vers elle.

Récit d'une passion qui n'ose dire son nom, Pays de neige est aussi le livre de la lenteur, de la beauté, de la nature, de la poésie. Kawabata nous emmène dans les montagnes japonaises pour un voyage au pays de la sérénité, à une époque désormais révolue quand les riches habitants de la capitale partaient de ressourcer dans les montagnes pour se purifier et se reposer. Là, ils étaient accueillis par des geishas chargées de les divertir et de les dorloter. Shimamura est de ces hommes qui n'ont pour but que de s'entourer de beauté, sans autre souci que de satisfaire leurs désirs. Esthète, il aime l'art, la danse, surtout les ballets européens, il est sensible à la douceur d'un tissage ou d'une peau de femme, la lumière des étoiles, la majesté des cimes enneigées, le charme d'un regard, les notes d'un shamisen. Dans le village d'altitude où il se retire, Komako et Yôkô symbolise, l'une la passion, l'autre le mystère tout en restant insaisissables toutes les deux. Spectateur, Shimamura observe, subit, s'émeut, s'émerveille, se réjouit. La palette des sentiments des deux amants reste dans le non-dit, la subtilité, la pudeur. Par contre, la nature environnante étale ses beautés, de la blancheur immaculée de la neige à la rousseur exubérante des feuilles d'érable, du vert scintillant des rizières à l'éclat argenté de la chaume...
Un roman délicat et sensuel, à goûter comme un cadeau du passé venu d'un Japon idéal et rêvé. Un chef d'oeuvre tout en simplicité.
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Shimamura, rentier entre deux âges, vient régulièrement se ressourcer dans une petite station thermale de montagne perdue au « Pays de neige ». Est-ce par goût des aventures amoureuses sans lendemain, est-ce la fascination des paysages majestueux ? Sans doute un peu des deux car, bien que marié, ce tokyoïte voyage toujours seul…

Cet homme à la sensibilité égocentrique de désoeuvré se fait une joie de retrouver la jeune geisha, Komako, qu'il a fréquentée le printemps précédent.
Dans le train qui parcourt la montagne enneigée de ce début décembre il contemple fasciné le visage de sa voisine de compartiment qui se reflète dans la vitre : Yoko, une superbe femme, accompagne un jeune homme visiblement malade.

Par le plus grand des hasards, il se trouve que la geisha Komako habite chez la mère du jeune malade aperçu dans le train. le jour où Komako lui fait visiter sa chambre, Shimamura ébahi croise Yoko.
Qui sont vraiment ces deux jeunes femmes ? Quels liens les unissent au jeune homme en fin de vie ? Shimamura le oisif, attiré et par Komako et par Yoko, se perd en conjectures dans « son petit univers délicieusement morose ».

L'écriture de ce court roman est de toute beauté, à la hauteur de la magnificence des cimes enneigées.
D'aucuns trouveront peut-être ce roman contemplatif de Kawabata quelque peu figé mais dans cette station thermale qui n'est que ravissement visuel il n'y a pas le feu au lac !
C'est toutefois par un incendie tragique que ce termine ce petit voyage au « Pays de neige ».

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Citations et extraits (92) Voir plus Ajouter une citation
En train, à la tombée de la nuit, Shimamura observe le visage d'une femme (Yôko) qui se reflète dans la vitre.

Sur le fond, très loin, défilait le paysage du soir qui servait, en quelque sort, de tain mouvant à ce miroir; les figures humaines qu'il réfléchissait, plus claires, s'y découpaient un peu comme les images en surimpression dans un film. Il n'y avait aucun lien, bien sûr, entre les images mouvantes de l'arrière-plan et celles, plus nettes , des deux personnages; et pourtant tout se maintenait en une unité fantastique, tant l'immatérielle transparence des figures semblait correspondre et se confondre au flou ténébreux du paysage qu'enveloppait la nuit, pour composer un seul et même univers, une sorte de monde surnaturel et symbolique qui n'était plus d'ici. Un monde d'une beauté ineffable et dont Shimamura se sentait pénétré jusqu'au coeur, bouleversé même, quand d'aventure quelque lumière là-bas, au loin dans la montagne, scintillait tout à coup au beau milieu du visage de la jeune femme, atteignant à un comble inexprimable de cette inexprimable beauté.

Dans le ciel nocturne, au-dessus des montagnes, le crépuscule avait laissé quelques touches de pourpre attardée et l'on pouvait encore distinguer, très loin, sur l'horizon, la découpure des pics isolés. Mais ici, plus près, c'était le défilé constant du même paysage campagnard, complètement éteint maintenant et privé de toute couleur. Rien pour y retenir l'oeil. Il défilait comme un flot de monotonie,d'autant plus neutre et d'autant plus estompé, d'autant plus vaguement émouvant qu'il courait pour ainsi dire sous les traits de la jeune femme, derrière ce beau visage émouvant qui semblait le rejeter tout autour dans la même grisaille. L'image même de ce visage, il est vrai, semblait si peu matérielle qu'elle devait être transparente elle aussi. Cherchant à savoir si elle l'était vraiment, Shimamura crut un mouvement voir le paysage au travers, mais les images passaient si vite qu'il lui fut impossible de contrôler cette impression.

L'éclairage dans le wagon, manquait d'intensité, et ce que voyait en reflet Shimamura était loin d'avoir le relief et la netteté d'une image dans un vrai miroir . Aussi en vint-il facilement à oublier qu'il contemplait une image reflétée dans une glace, pris peu à peu par le sentiment que ce visage féminin, il le voyait dehors, flottant et comme porté sur le torrent ininterrompu du paysage monstrueux et enténébré.

Ce fut alors qu'une lumière lointaine vint resplendir au milieu du visage. Dans le jeu des reflets, au fond du miroir, l'image ne s'imposait pas avec une consistance suffisante pour éclipser l'éclat de la lumière, mais elle n'était pas non plus incertaine au point de disparaître sous elle. Et Shumamura suivit la lumière qui cheminait lentement sur le visage, sans le troubler. Un froid scintillement perdu dans la distance. Et lorsque son éclat menu vint s'allumer dans la pupille même de la jeune femme, lorsque se superposèrent et se confondirent l'éclat du regard et celui de la lumière piquée dans le lointain, ce fut comme un miracle de beauté s'épanouissant dans l'étrange, avec cet oeil illuminé qui paraissait voguer sur l'océan du noir et les vagues rapides des montagnes."



La Voie Lactée

« Oh ! la Voie lactée… elle est splendide » s’exclama Komako, courant toujours devant lui, les yeux levés vers le ciel.

La Voie lactée… En la regardant lui aussi, Shimamura eu l’impression d’y nager, tant sa phosphorescence lui parut proche, comme si elle l’eût aspiré jusque-là. Le poète Bashô en voyage, était-ce sous l’impression de cette immensité resplendissante, éblouissante, qu’il l’avait décrite comme une arche de paix sur la mer déchaînée ? Car c’était juste au-dessus de lui qu’elle inclinait sa voûte, enserrant la terre nocturne de son étreinte pure, indéchiffrable, sans émoi. Image pure et proche d’une volupté terrible, sous laquelle Shimamura, un bref instant, se représenta sa propre silhouette découpée en une ombre aussi multiple qu’il y avait d’étoiles, aussi innombrablement multipliées qu’il y avait là-haut de particules d’argent dans la lumière laiteuse et jusque dans le reflet miroitant des nuages, dont chaque gouttelette infime et rayonnante de lumière se confondait avec son infinité, tant le ciel était clair, d’une limpidité et d’une transparence inimaginables. Cette écharpe sans fin, ce voile infiniment subtil, subtilement tissé dans l’infini, Shimamura ne pouvait en détacher son regard. »
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« Oh ! la Voie lactée… elle est splendide » s'exclama Komako, courant toujours devant lui, les yeux levés vers le ciel.
La Voie lactée… En la regardant lui aussi, Shimamura eu l'impression d'y nager, tant sa phosphorescence lui parut proche, comme si elle l'eût aspiré jusque-là. le poète Bashô en voyage, était-ce sous l'impression de cette immensité resplendissante, éblouissante, qu'il l'avait décrite comme une arche de paix sur la mer déchaînée ? Car c'était juste au-dessus de lui qu'elle inclinait sa voûte, enserrant la terre nocturne de son étreinte pure, indéchiffrable, sans émoi. Image pure et proche d'une volupté terrible, sous laquelle Shimamura, un bref instant, se représenta sa propre silhouette découpée en une ombre aussi multiple qu'il y avait d'étoiles, aussi innombrablement multipliées qu'il y avait là-haut de particules d'argent dans la lumière laiteuse et jusque dans le reflet miroitant des nuages, dont chaque gouttelette infime et rayonnante de lumière se confondait avec son infinité, tant le ciel était clair, d'une limpidité et d'une transparence inimaginables. Cette écharpe sans fin, ce voile infiniment subtil, subtilement tissé dans l'infini, Shimamura ne pouvait en détacher son regard.
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Et ce fut l’air de Kanginchô qu'elle se mit à jouer. Instantanément Shimamura se sentit comme électrisé, parcouru par un long frisson qui lui mit la chair de poule jusque sur le plein des joues, pensa-t-il. Il lui sembla que les premières notes creusaient un creux dans ses entrailles, y ménageaient un vide où venait retentir, pur et clair, le son du samisen. C'était plus que de l'étonnement chez lui : une stupéfaction qui l'avait presque renversé, assommé comme un coup bien ajusté. Emporté dans un sentiment qui confinait à la pure vénération, submergé, noyé presque sous une mer de regrets, attendri, perdant pied, incapable de résister, il n'avait plus qu'à se laisser aller à cette force qui l'emportait, à se livrer sans défense, avec joie, au bon plaisir de Komako. Elle pouvait faire de lui ce qu'elle voulait. [...] Komako avait plongé son regard dans le ciel pur au dessus de la neige. "La résonnance est tout autre par un temps pareil". La richesse de la sonorité, sa puissance harmonique étaient bien, en effet, comme elle l'avait laissé entendre. Et quelle différence, aussi, par le cadre, dans cette solitude intime, loin des embarras de la ville, loin des artifices de la scène, sans les murs du théâtre, le public, au coeur de cette claire matinée d'hiver, dans cette transparence de cristal où le cristal de la musique semblait élancer son chant vibrant et pur jusque sur les pointes neigeuses des montagnes, au loin, là-bas, à l'horizon !
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La nuit se tenait immobile, figée, sans le moindre soupçon de brise, et le paysage se revêtait d'une austère sévérité. On avait l'impression qu'un grondement sourd, dans le sol, répondait au crissement du gel qui resserrait la neige partout, sur l'étendue. Il n'y avait pas de lune. Les étoiles, par contre, apparaissaient presque trop nombreuses pour qu'on crût à leur réalité, si scintillantes et si proches qu'on croyait les voir tomber et se précipiter dans le vide. Le ciel se retranchait derrière elles, toujours plus profond et plus lointain, là-bas, vers les sources enténébrées de la nuit. Les sommets de la haute chaîne, confondus en une seule ligne de crêtes, dressaient contre le ciel étoilé leur masse imposante, y découpant un horizon inquiétant, énorme et noir. Sur l'ensemble du paysage, toutefois, régnait une seule harmonie faite de pure sérénité et de tranquillité grandiose.
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Il retrouva sa liberté de pensée avec la fin du chant. « Elle m’aime. Cette femme est amoureuse de moi. » Mais cette idée le gêna.

Komako avait plongé son regard dans le ciel pur au-dessus de la neige. « La résonance est tout autre par un temps pareil. » La richesse de la sonorité, sa puissance harmonique étaient bien, en effet, comme elle l’avait laissé entendre. Et quelle différence, aussi, par le cadre, dans cette solitude intime, loin des embarras de la ville, loin des artifices de la scène, sans les murs du théâtre, le public, au cœur de cette claire matinée d’hiver, dans cette transparence de cristal où le cristal de la musique semblait élancer son chant vibrant et pur jusque sur les pointes neigeuses des montagnes, au loin, là-bas, à l’horizon !

Livrée à elle-même, travaillant seule sa musique dans ce coin perdu de ses montagnes, Komako n’était-elle pas pénétrée, enrichie dans son être par les ressources magiques, les puissances secrètes et les vertus de cette nature, avec laquelle elle communiait peut-être à son insu ? La nature grandiose et sauvage de la haute vallée. Ne la trouvait-elle pas dans sa solitude même, la force triomphale de sa farouche volonté, qui lui permettait de dompter jusqu’à ses propres peines ? Car même en tenant compte des rudiments qu’elle avait pu acquérir à la base, partir de la seule partition écrite pour parvenir à l’exécution de cette musique difficile, l’avoir travaillée ainsi et pouvoir enfin la jouer de mémoire, cela représentait incontestablement un triomphe immense de la volonté.

Peine perdue que cette façon de vivre. Énergie gâchée. Effort vain. Shimamura le pensait, non sans entendre au fond de soi le long appel muet qui réclamait sa sympathie du fond de cette désolation. (p. 89)
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Vidéo de Yasunari Kawabata
Extrait du livre audio "Les Belles Endormies" de Yasunari Kawabata lu par Dominique Sanda. Parution CD et numérique le 10 août 2022.
https://www.audiolib.fr/livre/les-belles-endormies-9791035404031/
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