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René Sieffert (Autre)
EAN : 9782253029892
124 pages
Le Livre de Poche (30/11/-1)
3.78/5   1032 notes
Résumé :
Dans quel monde entrait le vieil Eguchi lorsqu’il franchit le seuil des Belles Endormies ?

Ce roman, publié en 1961, décrit la quête des vieillards en mal de plaisirs. Dans une mystérieuse demeure, ils viennent passer une nuit aux côtés d’adolescentes endormies sous l’effet de puissants narcotiques. Pour Eguchi, ces nuits passées dans la chambre des voluptés lui permettront de se ressouvenir des femmes de sa jeunesse, et de se plonger dans de longues... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (157) Voir plus Ajouter une critique
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sur 1032 notes
Quel choc émotionnel et littéraire ! Un vrai chef-d'oeuvre !

En poussant la porte d'une mystérieuse demeure japonaise, le vieil Eguchi, soixante-sept ans, sait juste qu'il va passer la nuit auprès d'une jeune fille endormie, plongée dans un profond sommeil par une drogue puissante qui garantit son inconscience pour la nuit. L'expérience le trouble certes, tant l'inconscience de l'adolescente le prive d'un quelconque échange, mais rapidement les souvenirs et les sensations affluent à la faveur d'une odeur corporelle, la position d'une main, le galbe d'un sein aperçu sous la couverture...quantité de petits détails qui trouvent un écho puissant dans sa mémoire. Lui qui venait là sur les conseils d'un ami par curiosité, persuadé de ne pas faire encore partie " des clients de tout repos ", de ne pas être " un vieillard qui déjà a cessé d'être un homme ", se retrouve submergé par des souvenirs agréables des femmes qui ont marqué sa vie, il se laisse alors aller à de subtiles réflexions sur l'existence, la mort.
La force de vie qui émane de ces belles endormies, loin de le désespérer en lui faisant prendre conscience de sa propre décrépitude, le stimule, l'invite à rêver, il renouvelle d'ailleurs l'expérience plusieurs nuits avec des endormies différentes qui suscitent des méditations variées. Sa réticence initiale vaincue, cela devient agréable pour lui, c'est indéniable, comme un voyage au coeur de lui-même, suscité par la seule présence passive d'une jeune beauté offerte.

J'ai retrouvé ici les thèmes chers à KAWABATA, premier prix Nobel de littérature japonais en 1968 : la beauté, la solitude, la mort, que j'avais découvert dans Tristesse et Beauté, autre magnifique roman à l'écriture dépouillée et poétique.
J'apprécie tout particulièrement la façon si subtile mais sans chichis avec laquelle il nous fait partager toutes les expériences d'Eguchi, avec finesse, et même tendresse aussi, sans aucune vulgarité. Ce qui étant donnée l'histoire, n'était pas évident. J'avoue avoir redouté une débauche de perversions malsaines dans cette histoire singulière à la lecture de la quatrième de couverture : il n'en est rien. Ce n'est pas à la débauche mais à la méditation que les clients, comme les lecteurs sont invités. Mêlant érotisme, beauté et mort, KAWABATA en dégage une belle méditation intemporelle sur la vie, le désir, un hymne touchant ! Un bel hommage selon moi à la beauté des femmes.

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Je ne sais si j'ai de la suite dans les idees mais il m'arrive d'avoir de la suite dans mes lectures. Apres le Memoire de mes putains tristes je me suis plonge dans le livre qui l'avait inspire, de l'aveu meme de Garcia Marquez, Les belles endormies.

J'avais lu ce livre il y a tres longtemps. J'etais jeune et je crois bien que je n'y avais vu, legerement amuse, qu'un texte lubrique. A la relecture, et a mon age avance, je le trouve un peu perfide: un beau texte qui peut susciter, melees, enchevetrees, compassion et indignation. Il incommode et seduit.


Un homme age passe cinq nuits dans une maison, close s'il en fut, ou il peut coucher au cote de jeunes filles endormies. Pas avec, seulement a leur cote. Il ne peut que les toucher, les caresser, leur parler sans espoir de reponse, les humer, les sentir, et s'endormir en revant.

Et justement il reve. Des reves dans son sommeil et des reves eveilles. Et de vieux souvenirs lui reviennent et le hantent. Des souvenirs de femmes. Des amours passageres de sa vie. La jeune fille a qui il vola un baiser quarante ans avant, ses premiers ebats sexuels avec une geisha jalouse, une autre amante avant son mariage, une femme mariee qui fut sa derniere passion de jeunesse, une mysterieuse etrangere avec qui il passa deux nuits quand il avait deja la soixantaine. Mais aussi ses filles, surtout la plus jeune, qui, a son etonnement et a son desarroi, s'ouvrit a la sexualite avant son mariage, et avec qui il fit un voyage memorable vers un temple a la vegetation luxuriante. Et vers la fin s'impose l'image de la premiere femme qu'il ait connu, sa mere. Sa mere, morte de tuberculose quand il etait tout jeune.

Kawabata nous confronte avec la solitude, la tristesse et la demission que peut etre la vieillesse. Les hommes vieux de ce conte ne peuvent plus interesser une femme, ils ne s'en approchent, en catimini, que quand elles sont endormies et ne peuvent les repousser. Ils n'osent rien entreprendre pour amorcer avec elles une quelconque aventure et ne font que ressasser les souvenirs de leurs aventures de jeunesse. Et ces belles endormies sont a l'image de la societe qui ne voit ni entend les vieux, elles ne se rendent meme pas compte qu'ils sont a leur cote, elles ne veulent pas les voir. Et de toutes facons les vieux non plus ne voudraient pas qu'elles les voient dans leur decrepitude, ils ne denudent la ruine qu'est leur corps que quand elles sont endormies. Ce livre est donc un conte sur le passage du temps, qui confronte la senescence impuissante a la verdeur des souvenirs de jeunesse (Verde, que te quiero, verde!). Et sur les rapports entre les generations et les rapports des vieux avec la societe qui les entoure. La societe qui est endormie face aux besoins des plus vieux.

Mais ces vieux ont encore des appetits de libido. Et le livre prend une tournure que je dois en toute conscience qualifier de malsaine. Ce n'est pas l'appetence sexuelle, meme si impuissante, des vieillards, qui est malsaine, mais la sente qu'elle prend dans le livre, la facon de la realiser. Avec de toutes jeunes filles, dont des mineures de 14 ans. Qui plus est, des mineures droguees, inconscientes, qui sont releguees au niveau de viande a l'etal, pire que ca, au niveau d'objets inanimes, de poupees gonflables. La femme-objet. C'est perturbant.

Mais c'est justement la que niche toute la subtile perversite de Kawabata l'ecrivain. Il fait transiter son lecteur entre l'essence masculine et l'element feminin, ou le contraire; entre la tendresse et la luxure; entre le peche et la vertu; entre l'obscurite et la lumiere; entre le reve et la veille; entre les fins et les commencements. Oui, entre la compassion et l'indignation. Entre la comprehension, l'acceptation et l'intolerance. Entre la benediction et l'anatheme. Kawabata a ecrit un livre qui charme et incommode. C'est toute une prouesse.


Ce livre est appreciable. Il n'est pas plus choquant qu'un livre sacre, la Bible: “Le roi David etait vieux, charge de jours; on l'enveloppait de vetements sans qu'il en fut rechauffe. Ses serviteurs lui dirent: Que l'on cherche pour mon seigneur le roi une jeune fille vierge qui se tiendra devant le roi et aura soin de lui; elle reposera dans tes bras et la chaleur reviendra a mon seigneur le roi. On chercha une belle jeune fille dans tout le territoire d'Israel; on trouva Abisag, la Sunamite, et on l'amena au roi. La jeune fille etait fort belle. Elle devint la garde du roi et elle le servit, mais le roi n'eut pas commerce avec elle (Rois I, chap.1)".
Un livre a lire donc, et a savourer justement parce qu'il emeut et remue son lecteur.


P.S. Et moi? Calmez vous, je suis vieux mais pas impotent. N'en deplaise a Mallarme, la chair n'est pas triste, heureusement, et je n'ai pas encore lu tous les livres.

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Dans un article, Garcia Marquez nous décrit une scène qu'il a vécue pendant un voyage en avion où il était assis à côté d'une belle fille qui dormait tout au long du vol. Cette scène lui rappela ce roman qu'il aurait aimé écrire : "Les Belles Endormies" de Kawabata.

L'histoire même du roman peut paraître bizarre, voire devenir sujet de dégoût. C'est une histoire au limite de l'atroce. Mais comme nous ont appris les grands écrivains ; il n'y a pas de mauvais ou bon sujet en littérature, l'écrivain artiste doit savoir comment le présenter au lecteur. Heureusement, Yasunari Kawabata est l'un de ces écrivains talentueux qui savent le faire avec maîtrise et magie.

Ce court roman, sorte de poèmes en prose réunis et rassemblés avec art, est un très beau texte sur les effets de l'âge, de la vieillesse et le désir toujours vif de la chair. C'est l'histoire d'un vide, du dernier cri contre la mort. Un vieillard se rend à la fontaine de jouvence pour retrouver sa jeunesse. Mais tout ce qu'il retrouve est une jouissance factice et dérisoire avec un arrière-goût d'amertume. Même le lecteur ressent ce mélange de tristesse et de beauté qui émane de chaque page. Les filles endormies, objets de convoitise et d'observation, étalent leur beauté corporelle (avec leur odeur minutieusement décrite, leur peau, leur chevelure…) devant le vieillard. Ce dernier affronte les affres de la solitude, la vieillesse et la mort en partageant ce lit avec ces belles créatures. Or cette condition même ne fait qu'aggraver la situation puisqu'elle augmente la tristesse de sa solitude (la fille endormie ne sent même pas la présence du vieil homme) et l'atrocité de la vieillesse (incapable devant cette chair). Mais c'est pour lui aussi une occasion de rêver dans cette atmosphère de pénombres, d'odeur douceâtre et de bruits tendres le berçant, seuls refuges contre la pensée de la mort dont on sent la présence. Cette histoire ressemble à l'histoire d'Orphée mais dans une version où les rôles sont inversés ; le vieillard descend dans ce lieu ténébreux mais c'est la fille qui ne doit pas le regarder sinon tout le charme disparaît (la fille doit dormir jusqu'au départ du vieillard).
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« Les belles endormies » est un livre du prix Nobel de littérature Yasunari Kawabata. Il a été écrit en 1961. C'est un roman court qui décrit 5 nuits d'un homme de 67 ans, Eguchi, qui se rend dans une maison accueillant des vieillards devenus impuissants au sens sexuel. En ce lieu ils peuvent passer la nuit auprès de jeunes femmes nues et endormies car droguées.
*
Avant de développer mon propos et sans vouloir relancer une controverse récente portant sur une critique de cet ouvrage je voudrais quand même insister sur quelques points factuels et, surtout, sur un état d'esprit qui me semble nécessaire avant de commencer cette lecture :
- Cet ouvrage ne porte pas sur la pédophilie (relations sexuelles avec des enfants) car il n'y a pas d'enfants. Il ne porte même pas sur l'hébéphilie puisque la plus jeune de ces « filles » a 16 ans et qu'elle ne vit absolument rien de sexuel. La sexualité telle que nous l'entendons est d'ailleurs très largement absente de tout ce roman.
- Cet ouvrage ne porte pas plus sur la notion de viol puisque les jeunes filles, par avance, sont consentantes.
- Cet ouvrage ne fait en aucun cas l'apologie de ce type de relations. Au contraire Kawabata insiste à diverses reprises sur le côté sordide de ces vécus (lire "mes" citations pour s'en convaincre).
- Tout aussi important c'est une fiction. Aucun lecteur sensé ne va ressentir le besoin, en lisant un policier, de se dire ou de faire savoir que l'assassinat c'est mal ni se demander si l'écrivain a des penchants homicides.
.
Mais, encore plus fondamental que ce qui précède, il n'est tout simplement pas possible d'aborder et encore moins de comprendre profondément cet ouvrage en plaquant stérilement nos valeurs sur une société autre. C'est l'altérité de la pensée de Kawabata mais aussi de cette sensibilité, qui ne saurait être séparée artificiellement du Japon du début du XXe siècle si cher à l'auteur, qui nous permet à la fois de ressentir profondément toute la singularité de ce livre splendide et, simultanément, de vivre une mise en abyme par rapport à ce que « nous » sommes en tant qu'occidentaux en ce début de XXIe siècle. Dit plus simplement c'est la singularité de cet ouvrage qui fait une part conséquente de son intérêt pour nous.
*
Je ne désire pas « raconter » ce roman. D'abord j'ai dit l'essentiel en quelques lignes et, ensuite et surtout, ce n'est pas ce qui en fait l'intérêt. Pour moi ce dernier est majeur et lié à :
- La beauté de la plume et l'évocation, entre sensualité et douleur, que Kawabata nous offre lorsqu'il décrit Eguchi regardant chacune des « belles endormies ». Sans être jamais à proprement parler érotique le regard très intense porté sur le corps singulier de chacune de ces femmes, l'évocation toute en finesse des sentiments de ce vieillard sont des moments forts. Par la très fine évocation de l'âme humaine, par le fait de permettre à chaque lecteur de ressentir pleinement ce que vit le personnage principal il y a sans conteste la plume d'un écrivain de génie ayant, en prime, acquis une parfaite maîtrise de son art complexe. J'ai, sur ce plan, ressenti des sentiments comparables à ceux suscités par certains des livres de Zweig, autre passionné de l'âme humaine.
- L'atmosphère de ce roman est unique. Sauf à avoir une lecture biaisée il est clair que ce livre ne prétend pas décrire une quelconque réalité, au moins sur le plan factuel. Le prétexte improbable à savoir une sorte de maison close sans relations sexuelles et qui accueillerait, avec d'ailleurs (et c'est essentiel) une cérémonie du thé comme préambule de la nuit et un petit déjeuner le lendemain, des vieillards génère une atmosphère assez onirique. Cette dernière est renforcée par une chambre qui semble hors du monde, l'évocation des sons extérieurs, l'explicitation de rêves et, bien entendu, par l'existence de ces femmes à la fois physiquement intensément présentes pour chaque sens d'Eguchi et absentes par ailleurs car rêvant.
- La réflexion sur un sujet rarement traité à savoir la déchéance physique, le vieillissement et ses conséquences corporelles mais aussi mentales et sociales, l'évolution du désir ou plutôt des désirs. Les livres d'amour sont infiniment nombreux, ceux sur ce thème pourtant majeur sont exceptionnels. Cette thématique est abordée ici avec pudeur mais aussi intensité et beaucoup de lucidité. Éros rencontre Thanatos et une lecture psychanalytique, sans être indispensable par ailleurs, peut permettre une saisissante mise en abyme. Des thématiques secondaires peuvent aussi retenir notre attention comme la corrélation entre différentes formes d'impuissance (l'aspect sexuel étant second au final) et la montée de pulsions de mort (pour soi et autrui), la force de la solitude, le souvenir et la relecture de sa vie, l'intensité des souvenirs corporels comparé aux autres au crépuscule d'une existence, le rapport à l'autre en amour, entre corps et « âmes », entre autres. En effet, pour le lecteur comme pour le vieil Eguchi, ce livre génère des rêveries qui, autant que des réflexions analytiques, guident vers une compréhension bien plus profonde. C'est un livre qui se ressent et se vit au moins autant qu'il se pense.
*
Au-delà de ce qui est si intéressant dans « Les belles endormies » j'ai cherché à comprendre pourquoi ce livre suscitait de telles réactions d'une part et pourquoi il me troublait d'autre part. J'ai trouvé trois types de réponses partielles :
- Si ce livre n'a rien de pédophile il peut nous choquer pour d'autres raisons. D'une part il s'agit, ce qui est de plus en plus condamné moralement voire pénalement en Europe, de prostitution. D'autre part les « filles » sont droguées ce qui peut nuire à leur santé et, le plus essentiel sans doute, ces femmes endormies s'avèrent totalement impuissantes. Leur consentement à cet état de fait n'est jamais mis en doute mais « nous » avons dans l'éthique de nos sociétés, ancré la conviction que chacun, à chaque instant, doit pouvoir décider lucidement de ce qui lui arrive. En pratique c'est largement une chimère mais là ce n'est pas le cas sur un plan effectif et c'est hautement troublant. Cet abandon/soumission/absence peut sembler érotique à certains, il est surtout choquant pour la plupart d'entre nous aujourd'hui.
- Au-delà ce livre touche à trois de nos principaux tabous occidentaux : la sexualité, la vieillesse et la mort. En Europe, actuellement, les personnes âgées sont largement cachées, masquées voire « invitées » à rejoindre des dites « maisons de retraite » où nous ne laisserions pas nos animaux domestiques en pension estivale. Les vieillards ont largement un statut secondaire et n'ont guère intérêt à revendiquer une égalité de traitement effective dans tous les domaines face à des jeunes.
Les malades et, pire, les mourants, sont cachés dans des hôpitaux et la mort est largement le principal tabou occidental. Les journaux, les films, les magazines font l'apologie de la « parfaite santé » et de la « beauté », jusqu'à pousser à l'anorexie une partie des adolescents les plus fragiles.
La sexualité, tout en étant omniprésente dans nos médias est largement encadrée et ne montre guère que des comportements jugés « normaux" et, surtout, entre êtres sains moralement et physiquement. Elle doit par ailleurs être consentie et joyeuse.
« Les belles endormies », en montrant de jeunes femmes soumises aux désirs de vieillards choque donc tout un corpus de valeurs mais aussi de représentations occidentales du monde. Implicitement un être âgé ne devrait plus avoir de sexualité ni même de désirs. S'il en ressent ces désirs doivent être « normaux » voire largement dénués de pulsions, presque aseptisés. Surtout son statut hautement dévalorisé doit absolument lui interdire de désirer un être jeune. Sinon il ne peut être que répugnant, pervers et à rejeter. Là est selon moi l'origine de ce qui nous choque le plus dans cette lecture. Être mis en abyme et réfléchir sur ces questions de façon neutre n'est pas inintéressant.
- le troisième point est que, en rendant profondément humain le vieil Eguchi il nous est difficile de ne pas réfléchir, même confusément, à la perspective plus ou moins lointaine de notre déchéance, ce qui n'est jamais confortable et peut susciter la recherche d'un prétexte pour disqualifier le livre et penser à autre chose. Et si je prenais du Soma, pardon, et si je lisais une romance plutôt ?
*
Pour conclure je me suis interrogé, à titre personnel, sur le fait de savoir si, vieillissant ou malade, j'aurais le même regard et les mêmes besoins, les mêmes priorités que cet homme. Il me semble que sa façon de percevoir le monde l'a mené à une extrême et assez tragique forme de solitude. Est-ce réellement inévitable ? Chacun trouvera je pense ses réponses à ces questions en temps utile, mais s'interroger auparavant, et pourquoi pas par le biais de lectures telles que celle-ci n'est-il pas judicieux ?
***
Je vous encourage à découvrir ce livre, en sachant l'aborder comme un voyage parfois difficile, à n'entreprendre qu'une fois moralement et intellectuellement, affectivement aussi, prêts à vivre quelque chose de signifiant. À cette condition vous devriez pouvoir en retirer beaucoup. Je vous souhaite de vivre une expérience marquante, en accompagnant ce merveilleux écrivain, dans le Japon du siècle dernier.
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De Kawabata, je ne connaissais rien. Jusqu'à ce qu'une critique récente suivie d'une trainée de poudre conduisant à une polémique me pousse à ouvrir ce livre.


La littérature nous offre de beaux exemples de romans qui nous mettent mal à l'aise. Qui nous font réfléchir sur qui nous sommes et comment nous voyons ce qui nous entoure. Des romans que nous lisons différemment selon notre âge, notre humeur du jour, et surtout selon des lunettes qui colorent notre lecture en fonction de filtres personnels. Des romans qui nous offrent de voir des morceaux de réalité, du rêve, du fantastique, de la fiction.

Ce livre nous emmène dans un voyage de fin de vie. Est ce vrai ? Est-ce inventé ? Cela n'est guère important. Eguchi est âgé de 67 ans, ce qui pouvait lors de la publication de ce texte paraitre comme un vieil homme. Un ami lui a recommandé une maison spéciale avec ses règles propres : un endroit où il peut passer une nuit allongé aux côtés d'une femme vierge nue endormie. Une femme dont il touchera la chevelure, les cils, les dents. Un peu sceptique à l'issue de sa première nuit, Eguchi décide cependant de renouveler cette expérience. Observer chacune de ces jeunes filles est un révélateur, lui revient alors un moment de son passé lié à une fleur et surtout à une femme aimée. de façon inattendue ses souvenirs lointains sont vifs et précis.


Les relations sexuelles d'un client vieillissant avec une jeune prostituée (ou même une enfant comme j'ai pu le lire par ailleurs) n'ont pas leur place ici. Kawabata décrit le désir qui sous-tend. Celui d'un homme qui au seuil de sa vie n'a plus personne à qui parler et se retrouve seul.
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Citations et extraits (112) Voir plus Ajouter une citation
Les dents de la fille sous le doigt d’Eguchi paraissaient au toucher enduites d’une substance légèrement visqueuse. L’index du vieillard, glissant entre les lèvres, suivit la rangée de dents. Deux fois, trois fois dans un sens, puis dans l’autre. La partie externe des lèvres donnait l’impression d’être sèche, mais l’humidité du dedans s’y communiquait et la rendait lisse. À droite, il y avait une dent qui avait poussé vers l’extérieur. Eguchi essaya de prendre cette dent entre le pouce et l’index. Après cela, il eût voulu passer le doigt sur la face interne des dents, mais la fille, bien que dormant, tenait les mâchoires fortement serrées, de sorte qu’il ne put les écarter. Lorsqu’il retira son doigt, celui-ci était couvert d’un enduit rouge. Avec quoi allait-il essuyer ce rouge à lèvres ? S’il le frottait sur la taie de l’appui-tête, la tache paraîtrait avoir été faite par la fille elle-même alors qu’elle était couchée sur le ventre, mais il lui sembla que le rouge ne partirait point s’il ne léchait d’abord son doigt. Chose étrange, à l’idée de porter à la bouche son doigt maculé, il éprouva une sensation de malpropreté. Le vieil homme frotta donc son doigt sur les cheveux de la fille, au-dessus du front.

Chapitre 2
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Il était évident que la fille ne dormait là que par amour de l'argent. Cependant, pour les vieillards qui payaient, s'étendre aux côtés d'une fille comme celle-ci était certainement une joie sans pareille au monde. Du fait que jamais elle ne se réveillait, les vieux clients s'épargnaient la honte du sentiment d'infériorité propre à la décrépitude de l'âge, et trouvaient la liberté de s'abandonner sans réserve à leur imagination et à leurs souvenirs relatifs aux femmes. Était-ce pour cela qu'ils acceptaient de payer sans regret bien plus cher que pour une femme éveillée ?
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Et ces vieillards, on pouvait deviner qu'au sens où l'entend le vulgaire, c'étaient des gens qui avaient réussi dans la vie, et non des ratés. Cependant, certains d'entre eux devaient avoir assuré leur réussite en faisant le mal et ne la maintenaient qu'en répétant leurs forfaits. Ceux-là n'avaient pas la paix du coeur, ils étaient plutôt des anxieux, des vaincus. Ce qui montait du fond de leur poitrine quand ils étaient étendus au contact de la nudité d'une jeune femme endormie, peut-être n'était-ce que la terreur de la mort prochaine et le vain regret de leur printemps disparu. Peut-être y avait-il aussi le remords de la dépravation de leurs actes passés et les malheurs domestiques habituels aux gens qui réussissent. Il est possible qu'il n'y ait pas pour les vieillards de Bouddha qu'ils puissent prier à genoux. Une belle fille nue dans leurs bras, ils versent des larmes glacées, s'abîment en bruyants sanglots et gémissent, mais la fille les ignore et jamais ne s'éveillera. Les vieillards n'en éprouvent nulle honte, leur vanité n'en souffre nulle blessure. Ils sont absolument libres de regretter, libres de se lamenter. Considérées sous cet angle, les "Belles Endormies" ne seraient-elles pas des sortes de Bouddhas ?
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Tout en pressant doucement dans sa main les cheveux tombants de la fille, le vieil Eguchi essaya de retrouver son calme en s’efforçant de se confesser à lui-même les fautes et les dépravations de son passé. Mais ce qui lui revenait à l’esprit, c’étaient les femmes de ce passé. Et ce que le vieillard se complaisait à évoquer, ce n’était ni la durée, brève ou longue, de ses relations avec elles, ni leur beauté ou leur laideur, ni leur esprit ou leur sottise, ni leur distinction ou leur vulgarité, ni rien de ce genre. […] C’étaient des femmes qui, à ses caresses, avaient répondu de toute leur sensibilité en s’oubliant elles-mêmes, qui avaient déliré, inconscientes de plaisir. […] Qu’en sera-t-il de cette petite fille quand elle sera, bientôt, arrivée à maturité ? se dit le vieillard, et de la paume de la main il parcourut son dos.

Chapitre 3
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Peut-être était-ce une des pitoyables consolations des vieillards que de s’abîmer dans le souvenir des femmes d’un passé à jamais révolu, en tripotant une belle qui ne pouvait s’éveiller de son profond sommeil, mais Eguchi éprouvait plutôt une chaude sérénité empreinte d’un sentiment de solitude. Il s’était contenté de vérifier du bout des doigts que les seins de la fille n’étaient pas mouillés, mais après cela nulle idée trouble n’avait surgi, comme par exemple d’effrayer la fille quand elle se réveillerait bien après lui-même, et qu’elle découvrirait du sang sur son sein. La forme du sein lui avait semblé belle. Cependant le vieillard se demandait distraitement comment il avait pu se faire que le sein de la femelle humaine, seule parmi tous les animaux, avait, au terme d’une longue évolution, pris une forme si belle. La beauté atteinte par les seins de la femme n’était-elle point la gloire la plus resplendissante de l’évolution de l’humanité ?

Chapitre 1
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Vidéo de Yasunari Kawabata
Extrait du livre audio "Les Belles Endormies" de Yasunari Kawabata lu par Dominique Sanda. Parution CD et numérique le 10 août 2022.
https://www.audiolib.fr/livre/les-belles-endormies-9791035404031/
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