Les petites veines noires s’étaient encore étendues. Elles couraient à présent le long de son bras et de son épaule, tatouaient sa peau d’une encre invisible aux yeux des autres.
À chaque centimètre qu’elles grappillaient, Jonathan se sentait perdre le contrôle de lui-même. Le maintenir lui demandait toute son énergie. Il ne se rendait plus que rarement dans la salle commune, car il craignait de se trahir. La moindre conversation avec ses camarades prenait des allures de torture. La voix dans sa tête, mélangée à celle de ses amis, lui donnait envie de leur hurler de se taire, tous autant qu’ils étaient.
Il avait essayé de lutter, mais il perdait le contrôle sur elle. Elle était devenue omniprésente, intervenait à tort et à travers. Elle menaçait de le rendre fou.
Méfie-toi d’elle, lui souffla-t-elle alors qu’il croisait Alerya. Elle ne doit rien connaître de ton secret.
Instinctivement, Jonathan porta la main sur la manche de sa chemise et s’assura qu’elle recouvrait bien son bras, jusqu’au poignet.
Alerya le salua d’un sourire qui creusait deux adorables fossettes dans ses joues. Il prit sur lui pour lui répondre et sut sans même avoir besoin de se regarder dans une glace, que le sien manquait de chaleur. Il s’empressa de s’échapper avant qu’elle n’entame la conversation. Il n’avait pas la force de faire semblant que tout allait bien.
Tremblant d’une peur panique, il regagna sa chambre. Tournant en rond, il finit par s’asseoir sur sa couche et se prit la tête entre les mains.
— Dieux, donnez-moi la force de surmonter ça.
Il y avait très longtemps qu’il n’avait pas prié. Peut-être était-ce même la première fois qu’il implorait les dieux de le secourir. Mais il ne savait plus à qui s’adresser.
— Donnez-moi la force. Je vous en supplie.
Pour toute réponse, un rire résonna dans sa tête.
Tarjil creva la surface du lac et essuya l’eau de ses yeux. Avec toute la crasse qu’il avait accumulée ces derniers jours, il avait eu l’impression d’avoir trois couches de peau au lieu d’une.
Revigoré, il essora ses tresses, puis sortit du lac sans se soucier qu’on puisse le voir. Les Jayendrilens ne craignaient pas la nudité. Les soldats non plus, d’après ce qu’il avait pu constater tous ces longs mois à leur côté. Mais il n’avait rien à craindre, il était seul.
Il avait découvert le lac en s’aventurant alentour de leur camp établi pour la nuit, et celui-ci devait bien se trouver à un kilomètre de distance des soldats. Tarjil eut un grognement satisfait. Si les hommes voulaient se baigner, il leur faudrait trouver l’endroit tout seul ; il n’avait aucune intention de partager sa trouvaille avec eux.
Dès le départ, il avait compris que sa présence irritait les soldats. Le fait qu’il refuse de porter une armure et persiste à combattre torse nu, sa hache farouchement attachée à son dos, lui valait mille et un sarcasmes.
— Au moins, s’il se fait toucher, on sera débarrassé de lui plus vite, avait-il entendu une fois.
— Comment vas-tu ? demanda-t-elle doucement.
Il haussa les épaules.
— Aussi bien que va un soldat après une bataille. Il y a toujours des remords et des regrets. Des choses que l’on aurait voulu éviter. Des choses que l’on aurait dû faire. C’est comme ça. Il faut l’accepter.