Mon coup de coeur pour "
A la grâce des hommes" et la plume de
Hannah Kent combiné à mes rêves, mes désirs d'Irlande m'ont mise logiquement sur le chemin de "
Dans la vallée".
Oui, je sais... ce titre qui donne envie de chanter, qui met tout de suite en tête les premières notes de ce tube qu'on connaît tous encore par coeur, le vent qui souffle sur les plaines de la Bretagne Armoricaine, tout ça… Mais de grâce, oubliez Manau, au moins le temps de rencontrer Norà, Micheàl et la vieille Nance, Mary... Oubliez les et laissez vous envouter par cette histoire tragique, sombre, étouffante... mais fascinante également, enchanteresse pour le meilleur et surtout pour le pire.
1825, sud de l'Irlande. Une vallée isolée, battue par les vents et la famine. Un hameau, à peine un village, niché au creux de la tourbière. C'est ainsi et c'est ainsi que le décor est planté. Ici la pauvreté et le froid se déchirent la survie des habitants que la misère enserre dans ses griffes. La mort aussi et elle frappe d'ailleurs dès le premier chapitre du roman puisqu'il s'ouvre avec celle de Martin, un homme brave et vigoureux, tombé comme par enchantement à la croisée des chemins. Ses compagnons s'empressent alors d'aller annoncer la pauvre nouvelle à sa veuve Norà, que le chagrin transperce. Peu à peu, les voisins et les amis défilent dans la modeste chaumière de cette femme un peu sèche que la fatalité vient d'assommer qui pour la veillée funèbre, qui pour la soutenir et lui apporter un peu de nourriture. Norà, elle , préférerait être seule: pour pleurer bien sûr et parce qu'elle a honte de Micheàl, le petit-fils que Martin et elle avaient recueilli après la mort de leur fille unique. L'enfant, en effet, est étrange, différent: malingre, il ne parle ni ne marche. Parfois, en revanche, il hurle et ses grands yeux sont un peu fiévreux et se promènent étrangement sur ce qui les entourent. Alors oui, Norà a honte et elle tente par tous les moyens de cacher ce gamin que Martin aimait mais qu'elle ne parvient à aimer.
Dans le village, en proie aux superstitions et à la misère, il n'y pas grand chose de plus que les contes et les commérages pour se distraire le soir à la veillée et bientôt ces derniers vont bon train: d'étranges lumières auraient été aperçues juste avant la mort de Martin et après tout on n'a jamais pu expliquer la mort de la fille du couple... Si Micheal est anormal, ce n'est peut-être pas un hasard... Et les poules qui ne pondent plus, les vaches qui ne donnent plus de lait... Cela a commencé quand l'enfant est arrivé
dans la vallée. Suivez mon regard... Il est tellement étrange...
Norà cède à la panique mais nul ne peut l'aider: ni le médecin, ni le prêtre. Elle se tourne alors vers Nance, Nance Roche. La vieille femme vit en marge du village, dans une cabane enclose entre les bois et la rivière, c'est une guérisseuse qui connaît le pouvoir des plantes et des fairies en lesquels elle croit fort, comme d'autres croient en dieu. Alors que l'ancien prêtre la tenait en haute estime, le nouvel arrivant ne voit en elle qu'une folle, une sorcière, une païenne et elle est de plus en plus traînée dans la boue par ceux-là mêmes qui faisaient appel à ses services, la respectaient, croyaient en elle et en sa proximité avec les fairies, les créatures des légendes et des temps anciens...
Chaque jour au village la misère avance, un accouchement vire au tragique et la faim tenaille les estomacs et chaque jour, les gens s'en prennent davantage à Nance, "sorcière" qu'ils crient tous!
Elle pourtant chemine, avance, fait ce en quoi elle croit et elle peut aider Norà: Micheàl n'est pas son petit-fils, non, c'est un changeling, une créature féérique qui a pris sa place. Et elle, Nance Roche, sait comment faire revenir le véritable petit garçon.
Encore une fois et dans une langue toujours très belle qui fait la part (très) belle à la nature, aux arbres, aux fleurs et au chant des sources,
Hannah Kent nous offre un roman poignant à l'extrême et très immersif. L'atmosphère qui se dégage du roman est certes envoutante, elle confine à la fascination mais elle est aussi lourde, pesante, étouffante. Quant aux personnages, ils sont complexes, profonds et si attachants que j'ai été touchée par le destin de chacun d'entre eux (à l'exception du prêtre!), émue, poignardée. Oui, ils font des erreurs et certains de leurs choix ne peuvent qu'angoisser, que terrifier mais quel empathie on éprouve alors à leur égard! C'est d'ailleurs étrange et parfois inconfortable d'avoir cette compassion pour Norà face aux maltraitances dont elle se rend coupable ou pour Nance dont les rituels sont souvent cruels... Oui mais ces deux femmes sont des fruits de leur époque, de leur société et elles ne font que ce qu'elles pensent être juste, bien. le personnage de Nance m'a particulièrement brisée le coeur, déchirée tant je l'ai trouvé émouvant, complexe avec les pans de son passé que la narration nous révèle progressivement...
J'ai vraiment adoré cette lecture qui va bien au-delà de la figure de la sorcière (que par ailleurs j'affectionne tout particulièrement) et qui interroge le folklore, les croyances mais aussi la rumeur ou encore le deuil. C'est un roman qui ne se contente d'être magnifique et émouvant mais qui a aussi une véritable portée ethnologique et c'est passionnant. A noter qu'il est d'ailleurs inspiré de faits réels et d'un procès qui fit du bruit en son temps et de l'histoire tragique de Bridget Cleary... J'aurai volontiers poussé un peu cette étrange exploration en lisant des ouvrages "scientifiques" sur le folklore irlandais à l'épreuve de la société mais malheureusement, les références que proposent
Hannah Kent n'ont pas été traduites... Pas encore.
En attendant, je relirai les légendes.