Il y a dans ma vie de lectrice deux auteurs que je lis deux fois à quelques jours d'intervalle, c'est :
Julia Kerninon et
Erri de Luca. Deux univers mais pour moi la première lecture est celle de l'envoûtement jusqu'au vertige, la deuxième plus languissante me permet de mettre de l'ordre dans les émotions éprouvées.
En exergue la citation de
Faulkner prend tout son sens quand on suit le travail d'écrivain. Chacun de ses livres est un hymne à la littérature, aux mots et aux femmes.
Toutes Caroline (
Buvard), Théodora (
Le dernier amour d'Attila Kiss), Julia (
Une activité respectable) Helen (
Ma dévotion) forment de beaux portraits de femmes, à des âges différents, mais avec des dénominateurs communs : un secret, un quotidien, assumer différents rôles, le silence. En fait elles sont toutes à leur manière, libres, fières et incontrôlables.
Ces caractéristiques sont le nectar de
Liv Maria.
Le roman débute par un prologue court et espiègle :
Liv Maria Christensen commente la vie sexuelle de ses parents alors qu'elle n'est même pas conçue.
Puis la petite fille est fascinée par le couple de ses parents, sur cette toute petite île bretonne. Ils sont physiquement disproportionnés.
« Cette surprise que les autres manifestaient devant ses parents,
Liv Maria la balayait sans une hésitation. C'était évident. Son père était un lecteur, et sa mère était une héroïne. »
Lui Norvégien a largué les amarres par amour.
« La différence entre ta mère et les autres femmes, c'est la même qu'entre une pomme domestique et une pomme sauvage. »
La petit Liv pousse librement nourrie par les particularités de sa famille.
« Son père était un lecteur, et il avait fait de sa fille unique une lectrice. Sa mère lui apprendrait la dureté et le silence, ses oncles lui apprendraient la pêche et la conduite, mais d'emblée, le plus tôt possible, son père lui avait appris à lire. »
Mais à 17 ans un événement fait qu'elle est « déplacée par sa mère » à Berlin chez sa tante paternelle.
Un monde nouveau, qu'elle appréhende avec la liberté qui est la sienne et elle tombe amoureuse de son professeur
Fergus qui est là le temps d'un été, ils jouent avec les mots, s'inventent une liberté, mais l'été a une fin.
« Elle qui n'avait été que pêche, solitude et curiosité, elle était désormais ici, sur la terre ferme, en Allemagne de l'Ouest, et elle avait une histoire d'amour saisissante... »
Une autre fracture dans sa vie va la propulser au Chili, un hasard dû à son amour des mots et elle deviendra la chica d'Ignacio mais pas seulement car
Liv Maria est très active. Elle n'a peur d'aucun métier elle gagne son indépendance. Elle grandit et n'oublie pas son premier amour
Fergus.
Au coeur du livre le lecteur va en apprendre plus sur
Fergus et saura des choses que Liv ne découvrira que plus tard. J'ai trouvé ce procédé très intéressant, non parce qu'il marquerait une montée en puissance mais surtout parce qu'il donne de la profondeur à ce qui va suivre, du sens à la chute.
Elle va ensuite rencontrer Flynn un jeune homme de son âge qui la ramènera en Irlande, où ils s'installeront pour fonder une famille presque comme tout le monde. Les maternités, la vie quotidienne tout est là pour s'ancrer.
Même la reprise d'une librairie où
Liv Maria va régner, avec pour devise : « Si vous voulez les nouveautés, vous n'avez qu'à aller chez Waterstones à Cork. Ici, il n'y a que des bonnes nouvelles du passé. »
Dans ce roman l'auteur va encore plus loin dans l'exploration des composantes d'une personnalité, que se cache-t-il derrière le miroir des apparences ? Qui dit secret implique l'effet boomerang, et pour
Liv Maria c'est inexorable. Mais entre le ressenti de
Liv Maria et la réalité est-ce aussi inexorable que cela ?
Un roman éblouissant par la forme et le fond, je ne cesse d'aimer me plonger dans cette exploration des mille facettes de la femme. C'est subtil, vibrant, charnel et sensuel et d'une liberté absolue.
« Mais le contraire d'oublier,
Liv Maria, ce n'est pas se souvenir- c'est apprendre. »
Un bijou de notre Rentrée Littéraire 2020, je remercie l'auteur et les éditions L'Iconoclaste pour ce SP.
©Chantal Lafon-Litteratum Amor 22 août 2020.