Hétéroclite, déroutant, irritant et attachant. Tels sont quelques-uns des qualificatifs qui me viennent à l'esprit après avoir achevé la lecture de ce roman à propos duquel mes goûts de lecteur ont oscillé entre le pire et le meilleur.
Le pire pour un amoureux du travail stylistique bien fait, s'illustre dans la première partie de l'ouvrage par la surchage insupportable de l'emploi d'un conditionnel modal de phase 2... dit simplement, "quelque chose" vu à partir du passé dont le conditionnel est le futur.
Vous voulez un ou deux exemples ?
-"
Liv Maria penserait, parce que mon père n'était pas ce genre d'homme, mais elle ne dirait rien..."
-" Dans les années qui suivraient,
Liv Maria s'efforcerait de revenir en mémoire dans cette salle de classe, pour revoir le professeur comme elle l'avait vu ce jour-là."
-"Beaucoup plus tard, elle entendrait des mères de famille, quand elle serait elle aussi devenue une mère de famille, dire..."
-"Plus tard, elle penserait : je l'écoutais, mais je n'entendais pas ce qu'il me disait..."
Et cet effet littéraire qui, employé à doses raisonnables et appropriées, peut concourir, tant pour la forme que pour le fond, à faire de votre plume un modèle de virtuosité grammaticale... occupe au sens indésiré du terme, la moitié du bouquin !!! ...
Le pire, c'est aussi ce que la protagoniste du roman exprime ainsi :
-"Comme un cheval dopé, entraîné depuis sa naissance à franchir des obstacles sans les regarder, elle avait été incapable de reculer, incapable de freiner ni de faire demi-tour."
Voilà bien une phrase qui caractérise la singularité narrative de ce livre, qu'on peut appeler élégamment l'ellipse temporelle, mais à laquelle plus prosaïquement j'attribue l'expression empruntée à l'audiovisuel de " en mode accéléré..."
Page 185 dernières phrases :
-"Malgré sa confusion, le reflet de son corps nu dans le miroir l'avait arrêtée net.
Elle était enceinte.
Puis aussitôt page 186 :
-"Huit mois plus tard, elle avait mis au monde Colm."
Et l'auteure, toujours au triple galop, poursuit sa narration effrénée...
Enfin, pour ne pas insister lourdement sur le pire, je dirais que la cerise sur le gâteau en la matière est l'invraisemblance de l'intrigue, fondée sur une probabilité infinitésimale dans une réalité qui se veut crédible.
Le meilleur... car il y en a, c'est d'abord la qualité du thème choisi et traité.
C'est une approche psychologique qui hameçonne le lecteur... quitte à le laisser sur ses doutes, mais ce n'est en rien ni un défaut ni une lacune; c'est un choix !
Enfin, le meilleur, c'est la seconde partie moins débridée, mieux contrôlée, un peu plus posée, davantage intellectualisée ( le passage sur la librairie, les références littéraires, titres d'oeuvres, auteurs, citations sont un régal trop bref...), et c'est surtout la fin... mais là, je me tais.
Liv veut dire vie en Norvégien, et Maria " c'était la tradition insulaire de donner aux garçons comme aux filles le nom de la Madone pour les protéger de la noyade".
Liv Maria sont les deux prénoms éponymes qui donnent son titre au roman.
Liv Maria Tonnerre, tel est son patronyme, est la fille de Mado Tonnerre, patronne d'une auberge familiale sur une petite île au large du Finistère, et de Thure Christensen un marin norvégien, qui, en visite entre deux escales sur l'île, voit en Mado le havre de paix qui lui fait poser définitivement sac à terre.
Sa mère, taiseuse, est un personnage, une héroïne telles Jane Eyre,
Molly Bloom, Anna Karénine.
Son père est un lecteur qui va lui apprendre les livres et lui donner le goût immodéré de la lecture.
Son enfance entre ses parents, ses oncles, l'océan, la pêche, les promenades, la liberté, va avoir un petit goût de paradis que va venir gâcher l'amertume du péché originel.
Victime à 17 ans d'une tentative de viol, sa mère l'envoie, sans explications, à Berlin chez sa tante norvégienne, la soeur de son père.
Première rupture du cordon ombilicale... incompréhensible !
Elle va faire à l'occasion de cet exil la connaissance de
Fergus, un professeur d'anglais natif d'Irlande... un quadragénaire marié et père de trois enfants.
Ils vont s'aimer le temps d'un été. Promettre de s'écrire et... Plus rien !
Fergus ne répond pas à ses lettres.
Entre-temps, un coup de téléphone lui apprend la mort accidentelle de son père et de sa mère.
Rupture définitive du cordon ombilicale ; il faut apprendre à vivre sans mode d'emploi !
Liv Maria décide de reprendre l'auberge familiale mais au bout d'un an, encouragée par ses oncles, elle repart en Amérique du Sud cette fois.
Elle va y mener mille vies, y avoir mille amants. Faire fortune. Retourner une fois encore sur son île natale, puis repartir dans la pampa.
Un beau jour, dans une librairie, entre un jeune Irlandais de cinq ans son cadet.
Coup de foudre mutuel.
Mariage local.
Installation en Irlande.
Son mari la présente à sa belle-mère... choc !!!
Pour faire ce portrait complexe d'une femme entre 17 et 40 ans, aux mille vies, aux mille rencontres... le tout en un peu plus d'une centaine de pages ( après la centaine consacrée à l'enfance et à l'adolescence ), il n'était pas possible à l'auteure de s'arrêter sur les "détails".
Il fallait zapper, survoler les descriptions de tous ordres, les paysages, les dialogues, les personnages "annexes", tout ce qui était de l'ordre de l'intime, du questionnement, des états d'âme.
Il lui fallait être dans l'action, le survol, le zapping coûte que coûte...
D'où pour le lecteur cette impossibilité de se poser, de sortir son mouchoir ou d'exulter.
Liv Maria a été pour moi un courant d'air prometteur qui a débouché sur une disparition...
Liv Maria est un roman que j'ai lu comme je regardais naguère le dessin animé de
Chuck Jones " Bip Bip et Coyote "... sauf que j'ignorais en ouvrant ce bouquin que j'allais devoir lire un bouquin sur le mode dessin animé...
Pour rappel.
"Bip Bip est un drôle d'oiseau bleu (en réalité, un grand géocoucou) qui sillonne les routes du désert californien. Ainsi un coyote décide de le pourchasser malgré sa rapidité qui est loin d'égaler celle de sa proie. Coyote n'aura alors de cesse d'inventer des stratagèmes loufoques (du patin à réacteur à la catapulte géante) pour capturer son repas. Il verra ses idées se retourner les unes après les autres contre lui. Pétard mouillé, élastique capricieux ou enclume facétieuse, Coyote se fera prendre à chaque fois à son propre piège dans l'amusement du téléspectateur tandis que Bip Bip, farceur et malin, nous gratifie d'un panneau à l'humour grinçant pour commenter la situation avant de repartir en lâchant un « bip bip ! » provocateur."
À dire vrai, je n'ai pas encore assez de recul pour déterminer avec certitude si j'ai vu passer un coyote dans un roman ou si j'ai lu l'histoire d'unBip Bip dans un dessin animé.
That's all folks !!!