Lorsque tu m'en veux, c'est comme le monde en entier qui me tourne le dos. Je donnerais tout ce que j'ai pour toi. C'est parce que j'essaie de te mériter coûte que coûte que j'accumule les maladresses. Aujourd'hui, je me suis interdit de te contrarier ou de te décevoir. Pourtant, c'est exactement ce que je n'arrête pas de faire.
Cette femme a besoin de toi. Sa vie dépend de ton choix. Depuis que tu l'as vue, tes yeux rayonnent. Elle illumine ton intérieur. Quelqu'un d'autre, à ta place, serait en train de chanter à tue-tête sur les toits. Si tu ne chantes pas, Attiq, c'est parce que on ne te l'a pas appris. Tu es heureux, mais tu l'ignores. Ton bonheur te déborde, et tu ne sais comment t'en réjouir... Sous d'autres cieux, ton désarroi attendrirait la ville entière. Mais Kaboul ne comprend pas grand'chose à ce désarroi. C'est parce qu'elle a renoncé à lui que rien ne lui réussit, ni les joies ni les peines.
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A Kaboul, les joies ayant été rangées parmi les péchés capitaux, il devient inutile de chercher auprès d'une tierce personne un quelconque réconfort.
Une meute de taliban gravite autour du sanctuaire pour intercepter les badauds de passage et les obliger manu militari à rejoindre les fidèles.
Les jours passent, pachydermes insolents. Atiq ballote ente l'incomplétude et
l' éternité. Les heures s' effacent plus vite que les flammèches ; les nuits
veulent aussi infinies que les supplices .
On peut tout savoir sur la vie et sur les hommes, mais que sait-on vraiment sur soi ?
Les gens clopinent à travers les venelles, la sandale raclant le sol poudreux. Voile opaque et pas somnambulique, de maigres troupeaux de femmes rasent les murs sous la garde rapprochée de quelques mâles embarrassés.
Le seul moyen de lutte qui nous reste, pour refuser l'arbitraire et la barbarie, est de ne pas renoncer à notre éducation. Nous avons été élevés en êtres humains, avec un œil sur la part du Seigneur et un autre sur la part des mortels que nous sommes ; connu d'assez près les lustres et les réverbères pour ne croire qu'à la seule lumière des bougies, goûté aux joies de la vie et nous les avons trouvées aussi bonnes que les joies éternelles. Nous ne pouvons accepter que l'on nous assimile à du bétail.
Tu étais malheureux parce que je n' ai pas su donner un sens à te vie . Si tes yeux ne parvenaient pas à rendre sincères tes sourires, c'est à cause de moi .Je ne t' ai offert ni enfants ni de quoi t' en consoler .
Dehors, le jour se lève, et les chagrins du monde aussi.