A l'occasion du retour de
Fumiyo Kouno, j'ai eu l'envie de lire (et relire) l'ensemble de sa bibliographie. Voici donc son titre le plus ancien parmi ceux parus chez nous : le truculent et cocasse
Une longue route, chronique d'une vie de couple bien particulière.
Ses précédents titres que je vous avais présentés avaient tous également ce même motif qui semble lui tenir à coeur et qu'elle présente dans la phrase d'
André Gide qu'elle aime « Je ne me suis jamais senti grand goût pour portraire les triomphants et les glorieux de ce monde, mais bien ceux dont la plus vraie gloire est cachée. » C'est ce qu'elle fait, elle nous présente des héros ordinaires, des hommes et des femmes discrets, mais qui pourtant brillent par leurs actions simples.
Ce sont souvent des femmes au foyer qui ont cette posture chez elle, que ce soit dans
le Pays des cerisiers qui ressort ce jour ou dans Dans un recoin de ce monde qu'il faudrait peut-être remettre en avant également et elle reprend ce motif ici. Mais contrairement aux deux titres qui suivront
Une longue route, elle propose ici quelque chose de plus humoristique et truculent encore, avec Michi, qu'on a poussé à épouser Sosuke pour une vague histoire de dettes, Sosuke, un époux abominable, qui perd sans cesse son travail et la trompe tout le temps. Comment faire de ce départ calamiteux une histoire savoureuse ? Il faut s'appeler
Fumiyo Kouno.
C'était la première fois, elle le dit, qu'elle se lançait ici dans un format long d'histoire sur plusieurs pages (3-4 en l'occurrence), elle garde donc sans le vouloir le rythme des comics strips tellement enjoués et portés par l'art du rythme et de la chute, ce qui fonctionne à merveille. Elle s'amuse donc et nous aussi, à nous dépeindre ce quotidien tendre et maladroit, basé sur une relation sans amour mais avec une tendresse naissante, pleine de faut semblant mais avec également un joli fond de vérité qui apparaît peu à peu, auprès d'un couple totalement improbable et désuet pour nous. Je sais que certains n'ont pas aimé, moi, j'ai adoré !
Suivre la douce Michi dans son quotidien est savoureux. Je me suis souvent pliée en deux en la découvrant totalement stoïque face aux inventions de Sosuke pour la tromper, dépenser ses sous et se comporter comme un parasite. Elle est forte ! Celui-ci est un excellent portrait d'homme à l'ancienne, qui ne fait rien dans la maison, exige tout de sa femme et va même jusqu'à la tromper. C'est vraiment la caricature du pauvre type ! Mais c'est justement ce qui est drôle ici. L'autrice le pousse jusqu'à l'extrême mais elle rend ça drôle car elle met beaucoup de tendresse aussi dans l'écriture de celui-ci, jeune homme banal, porté sur les femmes, nul au travail et avec chaque jour un nouveau rêve impossible à réaliser. Il vit dans son monde.
Fumiyo Kouno a eu un grand talent pour capturer avec tendresse et humour le vaudeville et le ballet auxquels se livrent les deux personnages. Il y a un superbe équilibre entre la satire sociale du couple à la japonaise et l'humour que nécessite ce genre d'histoire pour avoir une tension qui se tient sur autant de courts chapitres. Elle enchaîne les petits moments du quotidien avec talent pour que rien ne semble ennuyeux. L'humour porte chacune de nos rencontres avec eux. On aurait très bien pu suivre leurs petites histoires de manière hebdomadaire dans notre journal comme on retrouvait Boule et Bill ou le Petit Spirou dans notre enfance.
Le seul petit bémol, pour moi, vient de son dessin que je trouve parfois trop « jeune », trop « chibi » pour les personnages qu'elle dessine. Cela permet d'avoir cet effet comic strip que j'aime, mais c'est perturbant d'avoir une femme mariée dessinée comme une adolescente… Cependant, je dois reconnaître qu'il y a aussi beaucoup de tendresse dans son trait et que ça, ça me touche. J'aime sa façon toujours pleine de bonhommie de raconter aussi graphiquement leurs aventures et les quelques chapitres quasi muets qui parsèment le volume et rythment les saisons de l'histoire sont parmi les plus beaux et émouvants, car évoquant les aspirations cachées de chacun, coincé dans ce mariage arrangé.
Histoire certainement inattendu, d'un couple improbable,
Fumiyo Kouno impose dès ce premier volume son style, un style simple, un peu désuet où les héros sont ordinaires. Taniguchi au féminin, je retrouve chez elle, la même douce satire sociale derrière un humour tendre et efficace qui sait délivrer ses flèches. Ici, elle a l'art et la manière de croquer un époux détestable mais un couple attachant. Hâte de la retrouver dès aujourd'hui dans une nouvelle histoire : Les fleuristes du coin de la rue.
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