Dans cet ouvrage aux illustrations humoristiques percutantes, les auteurs s'attachent à démanteler 36 métaphores utilisées classiquement pour parler du vivant. Souvent, ce ne sont pas vraiment des métaphores, mais des expressions idiomatiques voire des abus de langage. A travers six chapitres dédiés aux écosystèmes, à la biodiversité, à l'évolution, à l'espèce humaine, au fonctionnement de l'organisme et aux gènes, sont passés en revue différents biais philosophiques associés à des métaphores courantes en sciences de la vie. Anthropomorphisme, essentialisme, finalisme, idéalisme, réductionnisme… Autant d'écueils vers lesquels il est facile de verser quand on tente de comprendre et d'expliquer le vivant.
L'approche de cet ouvrage, intéressante d'un point de vue épistémologique, replace chacune des métaphores ciblées dans le contexte de l'époque qui les a vu naître. L'état de l'art au moment de leur émergence, les croyances en vogue, les systèmes sociopolitiques en place, les propres disciplines, convictions ou intentions même de ceux qui les ont imaginées, ont contribué à donner une coloration à ces images porteuses de sens. À la lumière des savoirs actuels, ce sens s'écarte bien souvent de la réalité des faits scientifiques. Les auteurs proposent alors une alternative, quand cela est possible… ou condamnent tout simplement.
Alors oui, parfois le ton est un peu péremptoire, moralisateur, péchant peut-être par excès de rigueur, même si l'intention est toujours louable. Je me suis demandé à quel public s'adressait ce livre. Il est à conseiller aux enseignants et aux porteurs de savoirs vulgarisés, probablement moins au lecteur lambda, qui pourra être rebuté par l'exigence intellectuelle, certaines répétitions et injonctions. En tant que chercheur impliqué dans l'enseignement universitaire et la médiation scientifique, j'ai apprécié cette lecture qui permet de s'interroger sur la manière dont il est possible de transmettre des notions complexes du vivant en sortant des carcans des habitudes et de l'imagerie collective historique.
Pour autant, je reste moins arcbouté que les auteurs sur certaines positions. Il est notamment critiqué l'usage de concepts ou termes issus des sciences économiques ou informatiques par exemple, mais n'oublions pas que les mouvements transdisciplinaires, même s'ils véhiculent des concepts parfois impropres en biologie, ont contribué à faire avancer de nombreux fronts de science. Les sciences du vivant ne doivent pas rester consanguines (tiens, une métaphore !). le propre d'une métaphore scientifique est de rendre accessible un savoir aux profanes, mais aussi d'appréhender une question ou un concept à travers un prisme différent. C'est faire un pas de côté, parfois au détriment de l'exactitude scientifique, parfois aussi en faveur de la créativité ou même de la sérendipité. Fritz Khan n'a pas complètement tort : une métaphore, « eh bien, c'est faux, mais compréhensible. » Pour autant, je suis d'accord avec les auteurs, il existe des métaphores meilleures que d'autres. Mais le choix d'une métaphore dépend aussi en grande partie du public auquel elle s'adresse. Pour terminer, juste un mot sur ce titre, « Démystifier le vivant », qui laisse entendre l'existence de volontés mystificatrices. Certes, des conspirateurs, des mystificateurs, il y en a toujours eu. Mais de nombreuses métaphores évoquées dans cet ouvrage n'ont jamais caché de telles volontés. Elles ont juste été élaborées avec « les moyens du bord », à une époque donnée, dans un environnement donné. Alors dans un siècle, quel regard porteront les scientifiques sur nos métaphores modernes ?
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De manière générale, les métaphores établissent des liens entre nos concepts et notre environnement, entre soi et les autres, elles décrivent notre vision de la réalité, en pratiquant la superposition ou la correspondance des formes, des relations, des propriétés, des processus. C'est l'adéquation de cette superposition qui fait sa puissance, et non l'explication de l'objet lui-même. La métaphore est donc une figure de style fondée sur une analogie implicite: elle désigne une chose par une autre, de nature ou de domaine différent, sans expliciter les points de similitude: elle se laisse deviner.
On pourrait dire : Australopithecus afarensis, notre lointain cousin. La métaphore du cousinage est moins fausse que celle de l'ancêtre. Elle renvoie au fait qu'un cousin est un collatéral, pas un ascendant. Le nom d'espèce évite de personnifier le fossile. "Australopithecus afarensis, notre lointain parent" serait une expression risquée. En effet, dans la langue française, il existe deux sens au terme "parent". Soit il désigne quelqu'un d'apparenté (sans signifier le degré de parenté), soit il désigne l'ascendance directe ("mes parents").
Les métaphores scientifiques sont utiles pour dire et réussir à comprendre ce qui n'est pas encore connu. Comme l'explique la physicienne et philosophe des sciences Evelyne Fox Keller (née en 1936): "Pour parvenir à expliquer leurs efforts quotidiens, ils [les scientifiques] doivent inventer de nouveaux mots, expressions ou formes de langage qui puissent indiquer ou souligner des phénomènes qui n'ont pas de descripteurs littéraux. [...] La souplesse du langage figuré est indispensable.
Sur le plan pédagogique et didactique, l'usage des analogies organes-machines est très discutable et doit être manié avec ménagement : on peut y avoir recours en première approximation pour fournir une représentation simplifiée de phénomènes complexes à condition d'engager ensuite systématiquement une réflexion critique sur leurs limites et leur inexactitude.
Le dernier problème posé par la métaphore du "poumon vert" porte sur une difficulté à envisager les processus biologiques et géologiques sur un temps long: 99%du dioxygène que les êtres vivants respirent aujourd'hui ne provient pas des forêts actuelles, ni même d'ailleurs du phytoplancton de nos océans (l'autre "poumon de la planète").
FESTIVAL DES UTOPIALES 2023
Evolution et héritage
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Les intervenants : Héloïse Chochois, Annabelle Kremer-Lecointre, Michael Roch, David Val-Laillet
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