KUNDERA :
la vie est ailleurs
Je n'ai pas aimé relire ce livre. Certains détails passés inaperçus à la première lecture — il y a de cela quelques années— et qui relèvent d'une volonté délibérée d'écrire un roman à thèse (une constante chez
Kundera, mais qu'il sait souvent faire passer avec brio), m'ont laissée mal à l'aise. C'est la généralisation à outrance : on a le poète, la mère, le peintre, la rousse, la cinéaste, le quadragénaire, etc. ; une terminologie qui efface toute singularité. Seul Jaromil sera nommé, ainsi que Xavier, l'oeuvre et le rêve du poète qui apparaitra plus tard comme son double.
Je ne suis pas convaincue par cette image du poète narcissique égocentrique, en mal de distinction, prisonnier de l'amour d'une mère abusive et castratrice.
Le déroulement de l'histoire tend à être la genèse du/d'un poète :
Cela commence par la mère, une femme déçue par son amour de jeunesse, l'homme qu'elle a épousé. Enfoncée dans la frustration et dans la désillusion, elle reportera sa passion sur son fils dont elle s'émerveillera des moindres gazouillis. L'enfant fera des rimes un peu par hasard et remarquera que cela permet de focaliser l'attention sur lui. Il récidivera, et le phénomène se reproduisant toujours avec les mêmes effets, il en fera un système ; il adoptera une posture qui lui permettra de bénéficier d'une entrée dans le monde gratifiante. Mais il est désormais à la merci du regard des autres. On peut dire qu'il est tombé dans le premier piège du lyrisme ou la fiction devient réalité.
Plus tard, la mère présentera Jaromil à un peintre qui deviendra son amant. le peintre la force à lire des livres dont elle ne comprend pas le sens, tracesur son corps nu des signes cabalistiques ou des dessins à l'encre avant de faire l'amour. Il en fera sa chose, il veut la posséder en totalité, mais c'est en fait sa propre création, son propre désir qu'il adule au point de nier l'existence de la femme. Elle finira par se sentir étouffée et le quittera, prenant pour prétexte qu'elle a à coeur de ne pas choquer son fils par cette liaison.
Jaromil dont la mère a vanté les dons (il dessine des hommes à tête de chien) séduira temporairement le peintre par son originalité ; il l'initie au surréalisme et lui prête des livres, puis Jaromil échappera peu à peu à son emprise pour se fondre dans le paysage révolutionnaire de la Tchécoslovaquie, alors sous régime communisme, qui s'avère être lui aussi un autre piège tissé d 'une fiction celle de l'idéologie. Il devient le poète du réalisme socialiste.
En filigrane, le monstre maternel continue à tendre ses filets pour mieux l'emprisonner allant même jusqu'à choisir ses caleçons.
Jaromil s'avère un personnage peu sympathique, centré sur lui-même, d'une intelligence médiocre, malgré une sensibilité exacerbée et, surtout, demeure incapable de prendre son autonomie. Il finira par comprendre néanmoins que
la vie est ailleurs (référence à
Rimbaud). Il aspire à être un homme, et par dépit, ayant échoué dans sa première relation amoureuse à cause de l'omniprésence de sa mère, il rencontrera une femme qu'il veut à son tour posséder totalement, la rousse, dont il fera sa chose. Celle-ci a beau être simple, soumise, malléable à souhait, elle lui échappera. Et la jalousie de Jaromil le poussera à dénoncer son frère (qu'elle lui a présenté comme un révolutionnaire prêt à s'exiler en pays étranger) pour éprouver sa toute-puissance, convaincu d'avoir accompli son devoir, sans la moindre once de culpabilité.
On apprend par la suite que la rousse avait menti pour ne pas lui dire qu'elle était chez un autre homme (le quadragénaire avec qui elle venait de rompre définitivement par amour pour Jaromil). Elle devra subir des interrogatoires, sera emprisonnée par le régime en place et sortira au bout de trois ans, après la mort de son ancien amant. Son frère, quant à lui, aura disparu, sans doute éliminé par la police.
Jaromil, alors encensé et au sommet de sa gloire, se trouvera, brusquement, en situation d'humiliation à la suite d'une polémique entre poètes. Il est accusé de lâcheté (il affirme avec virulence son indifférence envers le sort du peintre qui a été taxé de Bourgeois et mis au ban de la société par les communistes). Conspué, tourné en ridicule par un de ses confrères, il se réfugiera sur le balcon, dans la nuit glaciale, pour se cacher (échapper cette fois aux regards des autres) et attrapera une pneumonie.
Il décède quelques jours après.
Mort par le froid ; autant dire dans la solitude la plus extrême.
le roman est parcouru par de nombreuses références aux poètes connus (Hugo,
Rimbaud, etc. et à des écrivains tchèques.) S'il est vrai que le parallèle est parfois troublant et donne à méditer, il reste très parcellaire et ne fait pas pour autant de Jaromil un poète. Ce Jaromil a quelque chose d'inauthentique, fait preuve d'une fermeture à l'autre qui confine à l'autisme. Il n'est pas visionnaire ; il n'est pas possédé par la musique des mots au point d'en faire sa passion. La poésie n'est pour lui qu'une posture, un signe de distinction et un point de fuite parmi tant d'autres.
Une démystification du lyrisme et de la poésie? Pourquoi pas ; mais le personnage ne me semble vraiment pas à la hauteur.