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Critiques filtrées sur 5 étoiles  

Un beau documentaire récent d'Arte, intelligent et nuancé, consacré à Milan Kundera, montre la complexité de ce grand auteur, la puissance de son analyse du monde et de l'être humain, mais aussi ses aspirations et ses contradictions.
Kundera est un de mes auteurs préférés, si ce n'est le préféré, et ce documentaire m'a conduit à terminer la nouvelle relecture de ses romans, en relisant une nouvelle fois La vie est ailleurs.

Un roman publié en 1973 que j'aborde chaque fois avec appréhension, tant c'est pour moi le plus cruel, le plus plus grinçant, le plus subversif, le plus désabusé, le plus nihiliste de tous ses romans.
C'est sans doute aussi celui où, en partie, Kundera règle une dernière fois ses comptes avec la période communiste de la Tchécoslovaquie, en réalité sa propre période communiste, de la fin des années 40 au milieu des années 50, qu'il a dit plus tard regarder avec un profond dégoût du jeune homme qu'il était alors.
Et de régler ses comptes avec cette illusion lyrique qui l'a saisi, qui lui a fait écrire dans les années 50 plusieurs recueils de poèmes, reniés depuis lors, et qu'il a refusé d'inclure dans l'anthologie de la Pléiade parue en 2011 qui contient toute son oeuvre.

Que cette histoire est grinçante! Quel héros inconscient, grotesque, pitoyable et effroyable, ce Jaromil, cet être immature, enfant surprotégé, vampirisé par son horrible mère, adolescent puis jeune homme complexé, inadapté à la vie sociale, qui va d'abord compenser son problème avec la réalité de tous les jours par une évasion dans l'écriture poétique, puis qui va trouver dans l'action révolutionnaire qui accompagne les débuts de l'ère communiste en Tchécoslovaquie une façon inhumaine, sadique, de s'affirmer, aux dépends même de la jeune fille avec laquelle il vit.
Même sa mort surviendra de façon totalement incongrue, stupide.

Mais aussi cette oeuvre démonte complètement, de façon totalement radicale, tout ce à quoi l'être humain croit, tout ce à quoi l'humain est attaché, y compris la beauté poétique prise par Kundera pour une illusion, au même titre pourrait-on dire que la religion.
Evidemment, si l'on prend la chose au premier degré, ça fait mal, c'est difficile à admettre pour ceux qui, comme moi, aiment Baudelaire, Rimbaud, Verlaine, Mallarmé, Apollinaire, Char, Desnos, Césaire, et tant, tant d'autres poètes.
En définitive, Kundera semble nous dire, en quelque sorte « La poésie est l'opium du peuple », ne vous fiez pas à l'illusion lyrique qu'elle vous apporte. Et aussi, la vie n'est qu'une supercherie, tout y est relatif, rien n'a de sens.
Et je crois que c'est ce refus apparent de tout, richesse et notoriété bien sûr, mais aussi religion, politique, poésie, qui fait que Kundera est clivant, rejeté, voire détesté, par un certain lectorat.

Mais, il faut voir au-delà. Et la réponse aussi est dans ce roman, dans l'émouvant chapitre intitulé le quadragénaire. Cet homme qui a connu la « jeune fille rousse », la petite amie de Jaromil, celle dont le témoignage insensé de ce dernier contre son frère a conduite en prison, ce quadragénaire, l'accueillera à sa sortie de prison avec humanité, avec une compassion désintéressée.
Cette partie du roman nous invite à penser que, dans un monde désenchanté, où rien ne mérite notre adhésion, où rien, y compris la poésie, n'est à sacraliser, seules ont valeur humaine, la compassion, l'attention désintéressée, la « main secourable ».

Pour conclure, et ne pas être trop long, un petit mot pour dire, que comme toujours, la construction du récit est parfaite, et que l'écriture a toujours cette petite musique spéciale, en apparence si simple, comme du Mozart.
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Une figure passée au peigne fin…
Au-delà du roman, c'est un portrait psychologique et symbolique que nous dévoile l'auteur. Impossible de fermer un tel bouquin sans essayer d'en extirper le sens profond. Maître dans l'art de disséquer la complexité du genre humain, Kundera nous scotche littéralement dans cet ouvrage qui a pour héros (ou plutôt anti-héros) un jeune poète dénommé Jaromil.

Sous le joug d'une mère exclusive ayant sacrifié toute vie sentimentale pour son fils, le jeune-homme ne pourra s'extraire du monde de l'enfance, prisonnier jusqu'à la mort de ce binôme étouffant. Tous les stigmates de l'immaturité sont représentés à travers lui. Susceptible, colérique et jaloux, l'adolescent se laisse dévorer par ses frustrations et son désir permanent de plaire au plus grand nombre…quitte à flatter le régime de plus en plus contesté. A l'heure où gronde en sourdine la protestation et où le pays voit se dresser des intellectuels contestataires, lui ne perçoit le monde qu'à travers son nombril et se réfugie naïvement dans un lyrisme exacerbé. Seule sa gloire potentielle compte.

Difficile de ne pas y voir une critique acerbe de la poésie! Kundera sème le trouble avec ce titre évocateur qui n'est pas sans nous rappeler les mots de Rimbaud dans Une saison en enfer : « La vraie vie est absente ». La force de ce roman, c'est son impertinence. Jaromil est-il Rimbaud ? Kundera a-t-il voulu briser une figure de la poésie en nous livrant le portrait d'un gamin couvé qui ne peut grandir et s'affranchir de la pression maternelle ? Troublant quand on sait que Rimbaud fut élevé par une mère rigide, exigeante en l'absence de son père… Et cette quête permanente de reconnaissance? Ce comportement excessif, inhérent à la jeunesse ? Cette mort prématurée avant d'avoir atteint l'âge de maturité ? La confusion est à son comble !

Dans ce roman, on ne saurait dire si Kundera s'attaque ironiquement à l'image du poète ou s'il vise à écorcher la jeunesse dans son ensemble en dénonçant les défauts qui lui sont propres. « le monde des adultes sait bien que l'absolu n'est qu'un leurre, que rien d'humain n'est grand ou éternel. » Tout est dit. Et c'est à travers le chapitre du quadragénaire que l'on découvre une approche de la vie tout-à-fait différente : une approche beaucoup plus calme, plus simple, plus consciente qui contraste avec l'effervescence désordonnée des pensées adolescentes excessives.

N'oublions pas que Kundera a quarante ans lorsqu'il écrit ce roman et qu'on est en 1969! Alors, où est la vie ? Ni dans la révolution, ni dans le lyrisme… A mon humble avis, la réponse de l'auteur se situe ailleurs (en lien étroit avec la notion d'âge et de maturité). Mais ça, c'est un autre débat…
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Technique d'écriture géniale qui illustre peut-être déjà le titre : la vie, celle qui est censée être racontée, est ailleurs. Où ?
La Vie est ailleurs, raconte l'histoire de Jaromil, un poète, un vrai poète même s'il n'a pas de talent. Jaromil est un poète parce qu'il est d'une innocence totale qui le rend parfois ridicule et toujours terriblement touchant. Ce poète est pris au piège de l'histoire de son pays, la Tchécoslovaquie, entre les années 1930 et celles qui ont suivi le Printemps de Prague. Printemps d'une ville et d'un pays en instance de renouveau. Mais on sait combien les promesses du temps sont trompeuses. La germination est étouffée dans l'oeuf et l'âge lyrique – c'était le premier titre choisi par Kundera -, sommé de mettre un bémol à ses envolées. Alors que reste-t-il à faire dans un monde dévoré par la violence liberticide, dévasté par la désespérance ? Tenter de rire en songeant à une épopée héroïque, se moquer tendrement de tout ce à quoi on tient : l'enfance, la révolution. Tout ce qui ne peut pas être, sauf à être ailleurs. Où ?
La Vie est ailleurs est un livre politique dans la mesure où Kundera pose un regard pénétrant sur l'histoire et la politique de son pays. Il peut en parler, il les a subies en tant que victime. Il en témoigne. Mais l'esprit de sa dissidence ne s'arrête pas là. Par-delà une conjoncture précise, l'écrivain tchèque s'attaque à l'idée même de la politique, celle que Valéry appelle l'idole. Iconoclaste, Kundera s'attaque à toutes ces histoires du monde, confondues dans l'espace et dans le temps, qu'il traite sur le mode de la dérision pour en faire une gigantesque tragi-comédie. L'histoire pourrait être une vaste plaisanterie, et dans ce cas, le poète est irrémédiablement condamné à ne pas y trouver sa place, il prend les choses trop au sérieux. Entre le poète et le monde, un miroir trompeur et déformant. S'il traverse l'écran et s'avise de mettre le pied de l'autre côté, ailleurs que l'ailleurs où il est, il meurt. Lermontov, Pouchkine, Maïakovski, Shelley, Byron, Lautréamont, Rilke, Rimbaud, et même ce Jaromil, poète raté de la Vie est ailleurs : tous présentent un défaut de fabrication inné. Chez eux, «l'anatomie a perdu l'esprit», ils ne sont qu'«un coeur qui gronde». le poète cherche une occasion de concrétiser ses élans mais la vie se dérobe et propose la mort. Mort par balle, par l'eau, par le feu, par le béton contre lequel on vient donner du front.
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Comme promis, j'enchaîne avec un autre Kundera après La Plaisanterie. Adorant la poésie depuis mes années d'agrégation, j'ai choisi le fameux roman de Kundera mettant en scène un poète, me disant que j'allais me régaler... Et je dois bien dire que ce fut à la fois une lecture jouissive, extatique, horrible, cauchemardesque, répugnante, étouffante, iconoclaste, écorchant l'ego... C'est assurément un des romans les plus sombres de Kundera, quand bien même l'humour et l'ironie qu'on lui connaît sont présents.

C'est donc l'histoire d'un certain Jaromil, poète auto-proclamé dès la naissance, et même avant, dans sa conception-même, par sa mère. Son prénom signifie d'ailleurs "qui aime le printemps" ou "qui est aimé par le printemps"... le découpage en parties typique des romans de Kundera nous annonce la couleur avec "Le poète naît" jusqu'à "Le poète meurt". Dès le commencement, on voit cet enfant chéri conçu et fantasmé, typique des personnages de Kundera qui cherchent à fabriquer un sens grandiose, historique, littéraire à leur vie, à recopier des modèles dans leur existence, mais l'on devine simplement que l'on va assister à sa chute d'autant plus spectaculaire et pathétique, sans toutefois se figurer le déroulement du roman et l'ampleur de la chose. Jaromil enfant nous apparaît en effet comme un enfant pourri gâté, mégalomane, qui se croit génie dès le bas âge, ce qui est soigneusement cultivé par sa mère. Au fur et à mesure, la lecture me rappelait le Portrait de Dorian Gray, tant dans l'évolution négative du personnage, que dans la thématique récurrente du miroir, de la beauté juvénile adolescente, du potentiel sous-texte homosexuel, du rapport avec le peintre, que dans le style très agréable retranscrit à merveille par le regretté François Kérel... Les premières parties du roman sont les plus légères et on se dit simplement que Jaromil n'est qu'un sous-Rimbaud cliché couvé par sa mère qui se croit, comme beaucoup de personnages de Kundera, aussi important qu'il n'est en réalité insignifiant.

La deuxième partie nous prend par surprise avec un interlude sur un personnage nommé Xavier. Kundera adore mêler roman et essai, jouer avec ses romans, interrompre ses romans, les commenter, ce qu'il fera d'ailleurs de façon magnifique dans la cinquième partie "Le Quadragénaire", mais ici, il nous laisse dans le flou deviner ce qu'il confirmera par la suite : Xavier est un double fantasmé de Jaromil adolescent, vivant moult aventures extravagantes, passant d'une péripétie à une autre, de fenêtre en fenêtre, de décor en décor, de femme en femme, de rêve en rêve (les fans d'Inception apprécieront !), et m'a tout du long rappelé un personnage de Jean-Paul Belmondo entrant et sortant par les fenêtres, d'aventure en aventure...

Kundera reste Kundera, et la troisième partie sur l'adolescence de Jaromil s'intitule... "Le poète se masturbe" :) L'on découvre les premières amours de Jaromil et l'on se surprend à revivre en détails notre propre adolescence... Kundera m'a notamment bluffé à ce sujet, j'ai revécu mes propres émois adolescents de façon assez inédite, pas tant par le titre de la partie mais bien par les tourments intérieurs de Jaromil. Jusqu'à cette partie, le roman restait innocent, léger, semblait simplement nous narrer la vie pitoyable d'un personnage bouffon se prenant pour Rimbaud et ses déconvenues répétées. Il prend une autre dimension avec la quatrième partie "Le poète court" où, dans un élan de fuite de sa mère, Jaromil entre en collision avec le monstre des romans de Kundera : le communisme. Tout comme celui-ci broyait Tomas dans L'Insoutenable Légèreté de l'être ou Ludvik dans La Plaisanterie, il dévorera Jaromil, mais pas de la même façon. de poétaillon se rêvant Rimbaud étouffé par sa mère, il deviendra un petit inquisiteur fanatique délateur zélé, aveugle et enfiévré, le petit communiste parfait et jusqu'au boutiste. La fin de sa relation avec le peintre, qui était son mentor, est aussi inoubliable qu'inattendue, et l'enfoncement de Jaromil dans une doctrine machinique, dans un suivi ovin de foule, dans un suivi de l'Histoire (toujours moquée par Kundera) sidèrera le lecteur et fera entrer une noirceur dans le roman qui en était jusqu'alors absente et qu'on ne devinait pas venir. Ce qui était seulement un roman sur un raté qui se rêve immense et qui échoue (typique de Kundera) devient un roman de plus où la folie communiste (aussi typique de Kundera) dévore les personnages et nous vaccine contre ce type de régime. Jaromil reniera ses principes passés, ses idoles passées, idolâtrera la doctrine, et connaîtra le succès en devenant le bon petit poète du bon côté de l'Histoire dont il crachera aveuglément les slogans. Ce qui lui est jeté au visage par un personnage vers la fin du roman est aussi cru que véridique. Je me garderai bien de mentionner les détails, mais la descente aux enfers idéologique du personnage et ses conséquences autour de lui n'en finissent pas de sidérer le lecteur. le répit de la cinquième partie, avec les commentaires méta-textuels de Kundera, un renversement de point de vue, est tout aussi bienvenu qu'apaisant et essentiel. J'ai adoré ces jeux de mises en scène de la part de l'auteur qui éteignait provisoirement un décor, comme au théâtre, pour en allumer un autre, et l'on retrouve là aussi un thème qui lui est cher : L'incompréhension éternelle entre les êtres. Lorsque vient enfin le dénouement pathétique de Jaromil, le peu de pitié et de sympathie qu'il avait pu nous inspirer s'est envolé depuis longtemps, et sa fin est aussi pitoyable que celle des personnages habituels de Kundera. Et les analogies avec Dorian Gray perdurent jusqu'à la toute fin...

C'est un roman qui violente le lecteur, ce que j'ai dit au début, sensation qui m'est rarement arrivée, du moins ainsi. D'abord, la mère de Jaromil (qui est d'ailleurs seulement appelée "Maman" dans le roman, seul Jaromil - et Xavier - est désigné par son propre nom dans le roman). Ce livre est l'anti-Livre de ma mère d'Albert Cohen. le Livre de ma mère m'a bouleversé il y a plus de dix ans, et ma propre mère joue un rôle fondateur plus qu'essentiel dans ma propre vie. J'ai beau être très friand des histoires à la Oedipe, je crois que je n'avais jamais lu un roman ou même digéré une fiction sous quelque forme que ce soit, où la relation mère-fils est aussi toxique et écoeurante, et en même temps me tendant un reflet déformant que j'avais beaucoup de mal à accepter. La mère de Jaromil est plus proche de la mère de Norman Bates dans Psychose que de Jocaste, Phèdre ou Lucrèce Borgia. Dans les trois dernières parties, on est littéralement étouffé, elle nous rend fou, et pourtant, on se reconnaît, jusqu'à un certain point, dans cette relation en tant que fils, et c'est là le plus terrifiant. La mère de Jaromil est un personnage aussi passionnant, mémorable et effrayant que son propre fils, et vous autres fils très proches de votre mère, cette lecture ne vous laissera pas indemnes. En bon personnage de Kundera, elle aussi calque sa vie sur des modèles, essaie d'y donner plus de sens et de grandiose qu'elle n'en a en réalité, et toute sa vie, c'est son fils, pour le meilleur comme le pire du pire. Nous est rappelée la force de la littérature, qui peut nous émerveiller, nous faire rire, et nous faire profondément souffrir.

Ensuite, Kundera touche une autre corde sensible (et j'ai vu que certains ici en avaient été encore plus chagrinés). On le connaît iconoclaste et provocateur, et il s'amuse ici à ridiculiser les grands poètes en rendant leurs vies et destinées aussi pitoyables et vides de sens que celles de Jaromil. Ils y passent tous : Rimbaud, Lermontov, Jiri Wolker, Frantisek Halas, le jeune Victor Hugo, Baudelaire... On peut être égratigné de voir nos idoles tournées en dérision et rester perplexe par les raisonnements souvent par trop binaires de Kundera (enfance/adulte, imaginaire/réalité, rêverie poétique/monde réel, maturité/immaturité, etc.) qui pourraient paraître aussi manichéens et dogmatiques que la doctrine socialiste qu'il a tant en horreur. Mais tout comme dans L'Insoutenable Légèreté de l'être, passé le petit coup de poing dans l'estomac, Kundera parvient, à la fois grâce à son humour, sa malice, et sa maestria argumentative, soit à nous faire valider son propos, en connivence avec lui, soit à lui rendre son clin d'oeil amusé adressé au lecteur. Les grands poètes restent les grands poètes dans ce roman et conservent leur part de grandiose, quand bien même il s'amuse à les dépeindre comme d'autres éternels fils à maman rêveurs dont la vie est une farce pathétique. Il reste un de mes auteurs favoris malgré tout : D'une part, l'on est pas obligé d'être constamment d'accord avec ce qu'on lit, et d'autre part, il possède quand même le don, parmi tant d'autres, de nous faire approuver (ou reconnaître avec réticence et en ronchonnant !) les sophismes les plus absurdes et provocateurs avec une démonstration aussi drôle qu'implacable...

Voilà ce que je peux dire, un roman qui accomplit plusieurs tours de force : Nous centrer sur un personnage pathétique, pitoyable, misérable, méprisable (même s'il y a aussi des moments où on le trouve touchant, surtout vers le milieu), nous tendre un miroir répugnant jusqu'à nous faire vomir, nous fils, dans notre propre relation avec notre mère, et se moquer avec espièglerie de certaines de nos idoles, et l'on souffre autant que l'on apprécie à la fois l'écriture (et donc la traduction) splendide que le roman en lui-même, et le retour de tous les thèmes de prédilection de l'auteur. Bon, je vais quand même partir vers un ailleurs maintenant, vers d'autres aventures, par la fenêtre, exactement comme Xavier ou Bébel...
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Pour moi, c'est probablement le meilleur roman de Kundera.
Jaromil est capricieux, Jaromil est imbu de sa personne, Jaromil devient cruel, Jaromil est puant, Jaromil se croit poète... puisque maman le dit.
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« Les situations possèdent leur propre automatisme, auquel on ne peut échapper ». Un rien suffit parfois à les déclencher : un geste irréfléchi, un mot dit d'esprit, le désir de faire une farce. Une mécanique se met alors en marche qui, en certaines circonstances, mène à de graves conséquences. C'était l'argument de la Plaisanterie, l'inoubliable premier roman de Milan Kundera. Cette mécanique fonctionne également dans plusieurs des nouvelles de Risibles amours, jusqu'à donner le vertige. Dans la Vie est ailleurs, deux machines, la psychologique et la sociale, conjuguent davantage leurs effets pour dessiner la voie étroite sur laquelle se meut, de la naissance à la mort, le pitoyable héros de ce livre amer et drôle, et pour finalement le broyer.
Nous sommes à Prague, il y a une trentaine d'années. Une fille, quelque peu romantique, de riches commerçants se fait engrosser par un ingénieur sans le sou. du mariage, plus mal assorti encore sur le plan des sentiments, naît un enfant, Jaromil, sur lequel la mère reporte tout son amour frustré. Elle s'extasie sur ses premiers mots, suscite chez lui le sentiment du pouvoir que détient la parole, le mène, sans qu'elle s'en aperçoive et à mesure qu'il grandit, à faire de cette parole un usage poétique. L'adolescent aligne des vers dont il constate la force de séduction sur les autres, le propre plaisir qu'ils lui procurent. Confiné dans les jupons de sa mère, terrorisé par les filles qui en même temps l'obsèdent, il jongle avec des mots : « amour », « destin », « mort » dont il serait bien en peine de dire à quoi ils correspondent vraiment, mais qui lui font un univers artificiel et magique sur lequel il règne, à la façon, souffle Kundera, de quelques autres génies adolescents : Rimbaud, Lermontov, Maïakovsky.

Ce monde imaginaire suscité par les mots et dont un peintre surréaliste a contribué à lui ouvrir les portes en l'invitant à laisser parler son subconscient, comporte un large continent de rêve où Jaromil évolue sous forme d'un double qu'il a nommé Xavier. Xavier se livre à des exploits amoureux, à des actions héroïques, par lesquels Jaromil prend d'éclatantes revanches sur sa terreur des filles, sur sa condition de fils dépendant. Xavier refuse avec hauteur tous les compromis, se déclare amant de l'absolu. de même que Jaromil peut écrire un brûlant poème d'amour après s'être contenté d'épier par un trou de serrure la bonne prenant son bain — il n'a pas osé pousser la porte —, de même Xavier dans ses rêveries peut aller jusqu'à dénoncer « la lâcheté qui fait de la vie une demi-vie et des hommes des demis-hommes ». La poésie, pour Jaromil, est une fuite et le rêve joue un rôle compensatoire. Les mots qu'il sait utiliser avec bonheur sont, pour les autres et lui-même, un alibi trompeur, il reste désespérément lié à sa mère. « Charles Baudelaire, dit en a parte l'auteur, tu auras quarante ans et tu auras encore peur de ta mère ».

En 1948, l'accession des communistes au pouvoir, grâce, précise Kundera, à l'armée et à la police, va-t-elle donner à Jaromil l'occasion de rompre le cercle maléfique ? Bien des raisons le poussent pour qu'il adhère au Parti. Son père, à l'insu de la mère et du fils, s'était enrôlé dans la résistance et est mort en déportation. Il fait désormais figure de héros officiel. Et si Jaromil n'ose pas se dresser contre sa mère, il suffit d'un de ces incidents mineurs que Kundera aime placer à l'origine des drames — elle remet en ordre, devant des invités, la chevelure du garçon, qui à grand-peine l'avait voulue rebelle — pour que celui-ci, humilié, se « jure et être toujours du côté de ceux qui veulent radicalement transformer le monde ». Il deviendra même d'autant plus fanatique dans sa foi qu'il continue de piétiner devant les portes de sa propre vie.
Il parvient à « exister », un court moment, grâce à une jeune fille à lunettes, approchée dans un cercle de discussion. Tout s'arrange pour qu'enfin il perde son pucelage. Las ! l'ombre de la mère plane sur la chambre où il va la posséder. C'est le fiasco. Jaromil se rejette vers son destin de poète. Il écrit des vers « socialistes ». Il espère par eux s'intégrer à la communauté d'élite qui « fait la révolution » et dit vouloir « changer la vie ».

Par la vitrine d'un grand magasin, il a remarqué une vendeuse. La vie lui joue de nouveau un mauvais tour : c'est l'amie de la jolie brune qui lui échoit, une rouquine maigriote et laide auprès de qui, néanmoins, il va jouer les amoureux romantiques, épris d'absolu et jaloux insupportables. Bonne fille, elle se prête au jeu. Elle a d'autre part, on l'apprendra plus tard, de plus solides satisfactions. Jaromil, qui a laissé tomber la défroque surréaliste, poursuit son ascension. Chantre des « héros positifs » et du régime, il est invité, consécration suprême, à figurer dans un récital de poésie donné à la police. Les policiers, plus sensibles à sa jeunesse que vraisemblablement à sa poésie, lui font un succès. Il est prêt à mourir pour la classe ouvrière. Un jour que la jeune rousse arrive en retard au rendez-vous et, devant sa colère, cherche désespérément une excuse, elle ne trouve rien de mieux qu'un faux aveu : elle a tenté de dissuader son frère de passer à l'Ouest. Jaromil, poète officiel, communiste gonflé de foi et d'héroïsme, voit clairement son devoir : il court signaler le cas à la police. Une machine qui, cette fois, n'a rien à voir avec l'automatisme des situations psychologiques se met en branle : la jeune fille est arrêtée et disparaît. Pour la première fois de sa vie, Jaromil se sent un homme. Il est entré dans le monde où les paroles agissent vraiment, condamnent, emprisonnent, tuent. S'il n'est pas sans regretter son amie, enflé de bonne conscience, il se sent capable de tous les courages.

Il s'attaque maintenant à une femme belle et désirable, haut placée dans la hiérarchie. Sa nature couarde reprend le dessus, tandis que la mère continue de veiller. Des aventures humiliantes le mènent à une mort sans gloire (une banale pneumonie) dans les bras de sa chère maman. Dix ans plus tard, alors que s'estompe « le temps de l'horreur », mais c'était aussi, écrit Kundera, « le temps du lyrisme, et le poète régnait avec le bourreau », le nom de Jaromil ne dit plus rien à personne. Il fait partie des mauvais souvenirs qu'on veut oublier, l'entracte sera de courte durée : jusqu'en août 1963.

Ce livre aux multiples résonances, ce grand livre courageux où êtres et événements sont dépouillés de leurs apparences mensongères, agit sur le lecteur à la façon d'un jet de vitriol. Un humour corrosif fait sécher le rire sur les lèvres et va jusqu'à ruiner de l'intérieur, insidieusement, quelques-unes des valeurs auxquelles, ici, nous avons encore la faiblesse de tenir. Kundera ne peut pas croire que l'idéal d'émancipation doive aboutir à de nouveaux maîtres, plus cruels encore que les anciens. Ce désir, qui ne passe pas toujours avec la jeunesse, de « transformer le monde », de « changer la vie », faut-il le ranger au rayon des vieilles lunes ? L'amour, la poésie ne doivent-ils pas gagner un certain point d'incandescences pour exister vraiment, et nous permettre de passer les limites de notre condition ?

Précisément, la voici passée aux rayons X, notre condition. Elle est historique, sociale, familiale, biologique et, en toutes ses composantes, infiniment dépendante. Il faut l'envisager sans pessimisme mais avec lucidité, dans le souci, avec les armes qui nous sont données, de faire tomber un à un les carcans qui nous paralysent et nous empêchent de vivre. La foi égare, la recherche de l'absolu, revanche compensatoire sur nos infirmités, transforme des vessies en lanternes qui obscurcissent un peu plus notre chemin. « La vie est ailleurs » : dans la conquête d'une autonomie fondée sur le respect de soi et des autres, sur le refus de blesser, en nous et chez les autres, le vivant. Telle pourrait être la morale de ce conte philosophique façon XVIIIe siècle.
On la voit le mieux à l'oeuvre, cette morale, dans un des épisodes finaux. La jeune fille rousse, sortant de prison, son frère innocent tué, sa famille décimée, se réfugie chez l'amant libertin avec qui elle « trompait » Jaromil. Elle se blottit, pauvre loque privée de toutes les raisons de vivre, dans les bras de ce quadragénaire qui, en vertu de l'automatisme des situations, songe un instant à remettre en marche la mécanique amoureuse. Comment faire l'amour avec ce corps pitoyable dont l'âme a été « arrachée » ? Un flot de compassion envahit l'ex-amant. C'est alors qu'il assiste à la naissance en lui d'un phénomène inattendu : par « une mystérieuse transsubstantiation » la bonté s'est muée en désir physique, « incompréhensible », bouleversant, au-delà de tout désir, de toute sensualité. le quadragénaire ignorait jusqu'à ce moment que la possibilité de franchir ses propres limites gisait, endormie, au fond de lui. Transgresser notre condition ce n'est peut-être rien d'autre que de découvrir en nous les possibilités de la transgresser en commençant par nous rendre maître de tout notre territoire, avec nos propres forces.





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J'ai relu ce livre déjà ancien (1969, donc une année seulement après l'entrée à Prague des chars soviétiques), que je trouve assez remarquable. Pourtant, je ne pense pas qu'il s'agisse d'un des best-sellers de Milan Kundera.
Son décor - la Tchécoslovaquie tenue en laisse par Moscou - est "daté"; d'ailleurs, de nombreux passages du roman stigmatisent avec un humour féroce la société communiste d'alors. Mais, à mon avis, ce n'est pas le plus important. C'est le personnage principal qui retient l'attention. Il se trouve que Jaromil est jaloux, mesquin, arriviste, immature, sous l'emprise d'une mère abusive... et j'en passe ! Manifestement, l'auteur l'a créé sans aucune empathie et le manipule avec une ironie mordante. Ce type de caractère n'est pas rare aujourd'hui comme c'était aussi le cas en 1969. Mais les anti-héros ne sont pas si fréquents dans les romans; donc le personnage présente sur le plan littéraire une vraie originalité. Mais, de plus, le "héros" est un poète, ce qui devrait susciter notre intérêt et même peut-être nous le rendre sympathique. Ce n'est absolument pas le cas, pourquoi ? Je crois que le lecteur ne lui pardonne pas de mettre son art au service du Pouvoir en place, d'une manière opportuniste et vaguement risible. A la fin du roman, M. Kundera est particulièrement caustique avec Jaromil: dans une scène d'anthologie, le "héros" est amené à se cacher sur un balcon en hiver et il y prend froid, pendant qu'à l'intérieur un couple fait l'amour sous ses yeux. A ce point, l'auteur écrit avec cruauté: « le coup de feu claqua, Lermontov porta la main à son coeur et Jaromil tomba sur le béton glacial du balcon. Hélas ! Nous sommes en Bohème où la gloire des coups de feu se confond si souvent avec la dérision des coups de pied ». N'est pas Lermontov qui veut !
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J'ai adoré ce roman et je suis fasciné par l'écriture et les réflexions de Milan Kundera. J'ai trouvé ce livre drôle, ironique et grinçant. C'est une forme de satire intelligente de la jeunesse, de son lyrisme et de ses idéaux. le texte tourne en dérision ceux qui cherchent à trop théoriser le monde.

En gros, on suit le parcours d'un jeune poète tchèque, dépassé par la réalité de la vie et qui va se laisser emporter par différentes illusions pour ordonner ce réel. Idolâtré par un amour maternel possessif et écrasant, il écrit des vers, tombe amoureux et se passionne pour la Révolution Socialiste. Ces activités l'enferment dans une attitude narcissique et dans une vision idéalisée du monde qui le font sortir de la réalité.

Outre la relation mère-fils, qui est bien traitée dans ce livre, la thématique principale est le lyrisme de la jeunesse : cette quête de liberté et d'absolu pour dépasser la banale réalité. J'ai trouvé cet angle d'attaque très intéressant. C'est une critique du communisme, mais aussi de toutes formes d'idéologies et d'essentialisme.

Comme toujours, en maniant tout l'art de l'ironie, Kundera montre la vie humaine dans sa complexité et sa relativité. Il contribue à détruire les certitudes et à démystifier les idéologies.
Lien : http://evanhirtum.wordpress...
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Si chacun est passé des illusions de l'adolescence aux réalités de l'âge adulte, peu auront à subir les épreuves de ce personnage. Etre tourmenté, enfermé dans sa vie imaginaire, il ne devra le passage dans la vie réelle, à laquelle il aspire ardemment, qu'aux dangereux changements politiques de son époque. Ce récit explore la question de la création, de l'humain qui cherche son soi, de l'amour...bref de l'humanité dans toute sa complexité.

Gerald
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Jaromil naît d'un père indifférent et d'une femme qui se trompe. Alors qu'elle croit vivre une histoire d'amour, son mari la trompe avec un jeune juive qu'il essaiera d'extraire du camp de Terezin où il se fera prendre. D'emblée, la duplicité s'installe. A quel avenir ce Jaromil qui traverse les années où la Tchécoslovaquie est communiste ? Sera t'il l'Enfant adoré de sa mère, celui qui la comprend et ne la délaisse jamais? Sera -t'il ce grand poète qu'elle voudrait qu'il soit et que par extension lui-même veut être, celui qi sera la voix de la révolution et du prolétariat? Sera-t-il celui qui gravit les étapes de la renommée et égale les Lermontov, Shelley, Byron et Maïakovski, qu'il cite? Sera -t'il celui qui séduit les femmes et sait ensuite les encenser dans ses poèmes? Il semble bien que Jaromil, que sa mère rend, par son amour aveugle et son admiration forcenée, fort imbu de lui-même est fort peu adroit à déjouer les pièges d'un monde où chacun semble prendre un malin plaisir à le renvoyer à un lui-même bien trop chargé en hésitations. La vraie vie est ailleurs, certes, et sans cesse elle échappe au jeune poète qui, pourtant, s'inscrit tout entier dans ses poèmes.
Ce qui m'a plu dans ce texte magistral, ce sont les romans dans le roman, les changements de points de vue, la façon qu'a Kundera de jouer avec son lecteur. Jaromil croit dominer une petite amoureuse qui a une autre liaison dont elle lui a rien dit. Il croit faire un acte politique en se vengeant de son amoureuse dont le frère veut quitter clandestinement le pays alors que celui-ci n'en a jamais eu l'intention et qu'il condamne deux innocents. Il veut séduire par sa faconde une cinéaste qui ne se soucie pas de lui et, trop aveuglé ou trop excessif, il préfère mourir de froid. Sa mère fait et défait sa légende tandis que ceux qui le côtoient l'admirent fugitivement avant de se détourner de lui.
Magnifique texte paradoxal qui prend la structure d'un roman et, des années après avoir été publié, continue de surprendre par la beauté mouvante de son écriture et la multiplicité de lectures qu'il propose.
Du grand art.
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