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Citations sur Les Testaments trahis (61)

Je ne médirai jamais de la critique littéraire. Car rien n'est pire pour un écrivain que de se heurter à son absence. Je parle de la critique littéraire en tant que méditation, en tant qu'analyse ; de la critique littéraire qui sait lire plusieurs fois le livre dont elle veut parler (comme une grande musique qu'on peut réécouter sans fin, les grands romans aussi sont faites pour des lectures répétées) ; de la critique littéraire qui, sourde à l'implacable horloge de l'actualité, est prête à discuter les oeuvres nées il y a un an, trente ans, trois cents ans ; de la critique littéraire qui essaie de saisir la nouveauté d'une oeuvre pour l'inscrire ainsi dans la mémoire historique. Si une telle méditation n'accompagnait pas l'histoire du roman, nous ne saurions rien aujourd'hui ni de Dostoïevski, ni de Joyce, ni de Proust. Sans elle toute oeuvre est livrée aux jugements arbitraires et à l'oubli rapide. Or, le cas de Rushdie a montré (s'il fallait encore une preuve) qu'une telle méditation ne se pratique plus. La critique littéraire, imperceptiblement, innocemment, par la force des choses, par l'évolution de la société, de la presse, s'est transformée en une simple (souvent intelligente, toujours hâtive) information sur l'actualité littéraire.
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Dans le "Quart Livre", il y a une tempête en mer. Tout le monde est sur le pont s'efforçant de sauver le bateau. Seul Panurge, paralysé par la peur, ne fait que gémir : ses belles lamentations s'étalent à longueur de pages. Dès que la tempête se calme, le courage lui revient et il les gourmande tous pour leur paresse. Et voilà ce qui est curieux : ce lâche, ce fainéant, ce menteur, ce cabotin, non seulement ne provoque aucune indignation, mais c'est à ce moment de sa vantardise que nous les aimons le plus.
Ce sont là les passages où le livre de Rabelais devient pleinement et radicalement roman : à savoir : territoire où le jugement moral est suspendu.
Suspendre le jugement moral, ce n'est pas l'immoralité du roman, c'est sa morale. La morale qui s'oppose à l'indéracinable pratique humaine de juger tout de suite, sans cesse, et toute le monde, de juger avant et sans comprendre. Cette fervente disponibilité à juger est, de point de vue de la sagesse du roman, la plus détestable bêtise, le plus pernicieux mal. Non que le romancier conteste, dans l'absolu, la légitimité du jugement moral, mais il le renvoie au-delà du roman. Là, si ça vous chante, accusez Panurge pour sa lâcheté, accusez Emma Bovary, accusez Rastignac, c'est votre affaire ; le romancier n'y peut rien.
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Ah, il est si facile de désobéir à un mort. Si malgré cela, parfois, on se soumet à sa volonté, ce n'est pas par peur, au contraire, c'est parce qu'on l'aime et qu'on refuse de le croire mort.
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Comme une grande musique qu'on peut réécouter sans fin, les grands romans eux aussi sont faits pour des lectures répétées.
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Vous êtes communiste, monsieur Kundera ?
- Non, je suis romancier.
- Vous êtes dissident ?
- Non , je suis romancier.
- Vous êtes de gauche ou de droite ?
- Ni l'un ni l'autre.Je suis romancier.
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Suspendre le jugement moral ce n'est pas l'immoralité du roman, c'est sa morale. La morale qui s'oppose à l'indéracinable pratique humaine de juger tout de suite, sans cesse, et tout le monde, de juger avant et sans comprendre. Cette fervente disponibilité à juger est, du point de vue de la sagesse du roman, la plus détestable bêtise, le plus pernicieux mal. Non que le romancier conteste, dans l'absolu, la légitimité du jugement moral, mais il le renvoie au-delà du roman. Là, si cela vous chante, accusez Panurge pour sa lâcheté, accusez Emma Bovary, accusez Rastignac, c'est votre affaire ; le romancier n'y peut rien.

[Milan KUNDERA, "Les Testaments trahis", 1995 - un extrait lumineux découvert et offert ici par notre amie babéliote StephanielsReading (Trois cent mille MERCIS à vous !), judicieusement repris par Jacques Bonhomme en sa critique babélienne au sujet de "Thérèse Desqueyroux" [1927] de François Mauriac, puis re-reproduit ici... ]
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Si un vieux paysan à l’agonie a prié son fils de ne pas abattre le vieux poirier devant la fenêtre, le poirier ne sera pas abattu tant que le fils se souviendra avec amour de son père.
Cela n’a pas grand-chose à faire avec une foi religieuse en la vie éternelle de l’âme. Tout simplement un mort que j’aime ne sera jamais mort pour moi. Je ne peux même pas dire : je l’ai aimé ; non, je l’aime. Et si je refuse de parler de mon amour pour lui au temps passé, cela veut dire que celui qui est mort "est".

(p. 324)
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La pudeur est l’une des notions-clés des Temps modernes, époque individualiste qui, aujourd’hui, imperceptiblement, s’éloigne de nous ; pudeur : réaction épidermique pour défendre sa vie privée ; pour exiger un rideau sur une fenêtre ; pour insister afin qu’une lettre adressée à A ne soit pas lue par B. L’une des situations élémentaires du passage à l’âge adulte, l’un des premiers conflits avec les parents c’est la revendication d’un tiroir pour ses lettres et ses carnets, la revendication d’un tiroir à clé ; on entre dans l’âge adulte par "la révolte de la pudeur".

(p. 302)
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La seule chose que je désirais [ ... ] profondément , avidement , c'était un regard lucide et désabusé . Je l'ai trouvé enfin dans l'art du roman . C'est pourquoi être romancier fut pour moi plus que pratiquer un " genre littéraire " parmi d'autres ; ce fut une attitude , une sagesse , une position ; une position excluant toute identification à une politique , à une religion , à une idéologie , à une morale , à une collectivité ; une non-identification consciente , opiniâtre , enragée , conçue non pas comme évasion ou passivité , mais comme résistance , défi , révolte . J'ai fini par avoir ces dialogues étranges : " Vous êtes communiste , monsieur Kundera ? - Non je suis romancier . " " Vous êtes dissident ? - Non je suis romancier . " " Vous êtes de gauche ou de droite ? - Ni l'un ni l'autre . Je suis romancier . "
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Je suis toujours surpris de l'étonnement que provoque la décision (prétendue ) de Kafka de détruire toute son oeuvre . Comme si une telle décision était a priori absurde . Comme si un auteur ne pouvait pas avoir assez de raisons d'emmener, pour son dernier voyage, son oeuvre avec lui .
Il peut arriver, en effet, qu'au moment du bilan l'auteur constate qu'il désaime ses livres .Et qu'il ne veuille pas laisser après lui ce lugubre monument de sa défaite . Je sais, je sais, vous lui objecterez qu'il se trompe, qu'il succombe à une dépression maladive, mais vos exhortations n'ont pas de sens . C'est lui qui est chez lui dans son oeuvre, et pas vous, mon cher !
Autre raison plausible : l'auteur aime toujours son oeuvre mais il n'aime pas le monde . Il ne peut supporter l'idée de la laisser ici, à la merci de l'avenir qu'il trouve haïssable .
Et encore un autre cas de figure : l'auteur aime toujours son oeuvre et ne s'interesse même pas à l'avenir du monde, mais ayant ses propres expériences avec le public il a compris la vanitas vanitatum de l'art, l'inévitable incompréhension qui est son sort, l'incompréhension ( non pas la sous-estimation, je ne parle pas des vaniteux ) dont il a souffert durant sa vie et dont il ne veut pas souffrir post mortem . (Ce n'est,d'ailleurs, peut-être, que la brièveté de la vie qui empêche les artistes de comprendre jusqu'au bout la vanté de leur travail et d'organiser à temps l'oubli et de leur oeuvre et d'eux-mêmes . )
Tout cela, ne sont-ce pas des raisons valables ? Mais si . Pourtant, ce n'étaient pas celles de Kafka : il était conscient de la valeur de ce qu'il écrivait, il n'avait pas une répugnance déclarée envers le monde, et, trop jeune et quasi inconnu, il n'avait pas de mauvaises expériences avec le public, n'en ayant presque aucune .
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