Ruskin nous donne un regard neuf sur les monuments, les fresques, les peintures, en les ramenant vers nous. Et surtout, Ruskin démolit avec une férocité de prophète les niaiseries de la critique artistique, les petitesses de l’Université et l’aplatissement de l’opinion devant les fausses idoles.
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Car pour aider à la compréhension d'une oeuvre d'art, pour nous retenir un instant de plus devant un détail de sculpture, Ruskin met le monde physique tout entier à contribution, comme il amis tout à l'heure le monde moral. Ici, dans le pli d'un voile et dans sa chute, il voit la loi mystérieuse qui régit les mondes et là, dans la courbe d'un pétale, il a vu la fleur qui annonce un Dieu. Toutes les notions scientifiques ou morales accumulées par les siècles se groupent naturellement autour de l'objet qu'il examine avec vous.
Beauté plastique des figures autant que pittoresque des paysages, — cela s’entend de reste, car si nous voulons qu’elle réside dans le corps humain tel que l’a fait la Nature, est-ce à dire que les types ordinairement choisis par les réalistes représentent la Nature et s’approchent de la Beauté? Voici un gros électeur ou un menu fonctionnaire assis à la terrasse d’un café et qui, d’un geste approprié, prend un bon bock , ou goûte quelque absinthe. Il est courbé sous le poids de maladies ataviques, déformé par les accessoires du vêtement moderne, renfrogné par les passions et les vices de notre temps, les muscles atrophiés par un trop long repos, la peau pâlie et décolorée sous les linges inutiles, la main tremblante d’alcoolisme.... Est-ce là l’homme de la Nature? Et s’il fut jamais au monde un être artificiel, n’est-ce pas lui? Est-ce la femme naturelle, que la morphinomane, ou que la chlorotique, ou que la peinte au filo d'oro , ou que l’émaillée? Est-ce la Nature qui a fait ces mains d’ouvriers modernes, qui a mis ces durillons sur celles du corroyeur et ces bourses séreuses à celles du découpeur sur métaux? Est-ce une teinte naturelle que celle du visage sous la lampe Edison?
L'auditoire écoutait recueilli, manœuvrant avec la ponctualité d'un peloton prussien pour se porter en face de telle ou telle figure, suivant les indications du mince livre rouge et or. Parfois le ton s'élevait jusqu'à l'invocation. Quelques lointains bruits d'orgue l'accompagnaient en sourdine. Des souffles d'air parfumés de fleurs passaient comme un encens. Les points d'or des mimosas, touchés par des rais de soleil, brillaient dans les mains comme des cierges. Je remarquai que ces voyageuses se tenaient sur la pierre sépulcrale des ambassadeurs espagnols qui ont donné leur nom à cette chapelle. Ce qu'elles lisaient semblait aussi une gerbe de fleurs jaillie d'un passé mort. Quels étaient donc ce livre, cet office inconnu, le prêtre de cette religion de la Beauté? le sacristain, revenu par là, me jeta ce nom: RUSKIN!
Voilà une thèse posée. Tout lecteur sait ce qui va se débattre et à quels résultats plastiques, tangibles, à quelles modifications de ses jugements et des oeuvres futures, mène le parti qu'on prendra.Il prévoit que Michel-Ange, avec ses académies contournées, que Raphaël avec ses figures neutres et muettes sur des corps si parlants, que Ribera avec l'expression douloureuse de ses faces, seront proscrits par cette définition du grand art et que les primitifs au contraire et certains artistes de la première renaissance seront donnés en modèles. S'il aime par-dessus tout le mouvement des membres déployés, le choc des grappes humaines, les grands effets de rides et de contractions des muscles faciaux, il prendra parti contre l'esthéticien. Mais, en prenant parti contre sa thèse, il rendra du moins hommage à sa clarté. Il le désapprouve, donc il l'a compris.
Assurément on eût fort étonné les négociants de la Cité, si on leur eût révélé que M. John James Ruskin, si exact à son comptoir, si ponctuel à ses échéances, si expert en bon sherry, avait des velléités d'artiste. Mais le fait est qu'une fois rentré chez lui, il devenait un être enthousiaste et chimérique. Il lavait à la hâte une aquarelle, ou bien, prenant quelque oeuvre nouvelle de Walter Scott, quelque vieille pièce de Shakespeare, il en faisait d'une voix harmonieuse et passionnée la lecture à sa femme et à son fils.